Le but de ce commentaire est de mettre en évidence, verset après verset, les liens qui unissent l'Épître de Jacques à l'évangile de Luc et aux Actes des Apôtres.
Auteur et Datation
La tonalité d'ensemble laisse supposer que la lettre, faite de recommandations, ait été rédigée par une personne exerçant l'autorité; et de fait, parmi les différents Jacques du Nouveau Testament elle est aujourd'hui communément attribuée à Jacob/Jacques, le “ frère du Seigneur” et guide de la communauté de Jérusalem au début des années 40 jusqu'à son martyr en 62.
À sa façon de traiter l'hédonisme et les richesses, il correspondait à ce que Hégésippe et Épiphane rapportaient de lui.
Certaines expressions détiennent des allusions au milieu sacerdotal (Jc 1:13b; 2:7; 3:9; 5,14);
Galiléen, il a pu faire appel à un frère de la Diaspora pour assumer la traduction en Grec. Vient assez naturellement le nom de Barnabé, originaire de Chypre et auteur présumé de l'épître aux Hébreux dont certains versets offrent un parallèle direct avec Jacques (Jc 2,21-25) et dont les citations, elles aussi, étaient tirées directement de la LXX (cf Jc 2:10-11). Qu'il l'ait dictée en plusieurs fois à son traducteur est cohérent avec un développement des thèmes en spirale. Une traduction faite bien plus tardivement à l'intention d'un auditoire chrétien-helléniste aurait fait disparaître les formulations hébraïques comme "les Douze tribus d'Israël" , “Le Seigneur Sabaoth” ou “le Dieu Un”.
La lettre était connue de l'évangéliste Matthieu qui, écrivant après 70, s'y est référé (J 1:4; 5:7, 12).
Comme elle n'est pas marquée par la théologie de la Rédemption, exposée dans l'épître aux Hébreux et divulguée par les lettres de Paul, elle leur est probablement antérieure. Une datation haute est de plus en plus envisagée par la critique littéraire. On peut remonter à la période qui suivit la converson de Paul car l'épître s'achève sur l'allusion au retournement d'un pécheur qui pourrait bien avoir été Saul ; en effet, selon les Homélies Clémentines, Saul avait manifesté son adversité dès la fin du discours de Gamaliel, poussant Jacques du haut des marches du temple. Mettant en pratique les paroles du Christ, Jacques avait du prier pour lui de manière instante jusqu'à obtenir sa conversion dont le récit est donné à trois reprises dans les Actes.
La Christologie de l'Epître
Scruter l'épître conduit à une surprise heureuse:
Une lecture rapide aurait tendance à considérer que le Christ ne tient qu'un rôle très effacé dans la pensée de l'auteur. Il s'avère qu'il en a caché la personnalité pour permettre au lecteur de le trouver progressivement au fur et à mesure de sa méditation. Le choix du Grec et le parti littéraire concourent à cet effet.
Dieu (θεὸς) est nommé 17 fois, et 12 fois sous le nom Kurios; en outre Kurios est joint au nom de Jésus-Christ qui est nommé deux fois (1:1; 2:1). Or six fois sur douze, Kurios semble désigner le Christ autant que Dieu lui-même (4:10 et 5:7,8,10,14,15); Jésus est en outre appelé le "Juste" (5:6) et si les attributs de législateur et de juge sont ceux de Dieu ce sont aussi les siens (v 4:12; 5:9). La personne du Christ et celle de Dieu sont progressivement unifiées au cours de l'épître à travers le nom Seigneur par un glissement à peine perceptible dès le v 3:9 . Jacques avançait avec beaucoup de prudence en écrivant à ses frères de la Diaspora. Il semblerait que son épître ait constitué la toute première réflexion sur l'identité du Christ, antérieure à l'Épître aux Hébreux qui distinguait les hypostases du Père et du Fils (He 1:3).
Rapport à l'Évangile et aux oeuvres de Luc
Des écrits du Nouveau Testament, c'est l'épître qui adhère le plus aux enseignements de Jésus; l'auteur s'en étant imprégné, en a restitué les points essentiels:
La persévérance et l'endurance dans les épreuves, la mise en pratique de la parole, le renoncement aux richesses et aux préjugés, le non jugement, l'accueil de l'autre, un véritable engagement. Il l'a fait dans un langage personnel sans qu'on puisse cerner une citation; il ne se référait donc pas à un écrit mais à ce que lui même avait entendu et retenu, depuis le discours des béatitudes. Les images et les paraboles proposées par Jésus en ont suscitées de nouvelles de sa part; mais comme il a illustré les traits négatifs qu'il souhaitait mettre en évidence, le caractère très concret de la vie se retrouve comme déprécié sous sa plume.
Alors que Jésus interpellait ceux qui le dénigraient, Jacques, fustigeait violemment le mauvais usage de la parole et les critiques à l'intérieur de la communauté, allant jusqu'à les condamner de manière péremptoire, remettant en cause la liberté de parole alors même qu'il invitait ses frères à ne pas juger. Cette contradiction interne laisse supposer qu'il avait souffert des critiques.
Les commentateurs ont placé la lettre de Jacques en parallèle avec le discours sur la montagne de l'évangile de Matthieu en raison des points de contacts déjà soulignés entre eux. Cependant l'ensemble de la lettre est plus proche de la spiritualité qui se dégage de l'évangile de Luc avec le renoncement aux richesses (J 2:5), l'appel à s'abaisser ou à résister dans les épreuves. Chaque verset de la Lettre trouve une correspondance ou un support dans les écrits de Luc.
L' apostrophe aux riches dans la dernière partie de l'Épître offre la même dureté que les paroles de Pierre dans le récit d'Ananias et Saphira en Actes 5. Jacques pouvait être encore très jeune lors de la rédaction de sa lettre; avec l'expérience il dut s'assouplir pour être en mesure de conduire la communauté pendant plus de vingt ans. Il invitait les frères à ne pas rechercher les places en vue comme celel d'enseignant. La communauté dut en effet se hiérarchiser , d'un côté les apôtres dévoués à l'enseignement de l'autre les diacres pour gérer les biens. C'était peu avant la mort d'Étienne et la percécution qui s'en suivit (Ac6).
Jacques et le rédacteur du Troisième Évangile
S Chabert d'Hyères
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