Κύριος Ἰησοῦς Χριστός


“Seigneur Jésus Christ ” , scande le texte des Actes dans l'Oncial D(05) dit codex Bezae. Ce titre se retrouve sous un énoncé incomplet dans la tradition alexandrine. Quelles motivations ont pu conduire des scribes à ne pas le donner en entier ?
Le Nom “Seigneur Jésus Christ” dans les Actes des Apôtres

Le titre "Seigneur Jésus Christ" est recensé dix sept fois dans les Actes selon l'Oncial D(05) voire une dix-huitième fois en Ac 28:31, partie lacunaire dans le codex.
Seulement quatre de ces dix-huit occurrences sont partagées par le texte Alexandrin.

L'une est la confession de foi de Pierre en Ac 11, 17 et les trois autres celle de Paul (Ac 15:26, 20:21; 28:31); là elle y est précédée du pronom “notre” devant Seigneur comme cela se retrouve dans ses lettres (cf R 5:1,11, 6:11,7:25,16:20...1 Co1:7 etc.). Ce notre était une marque toute paulinienne. Ainsi les deux Apôtres Pierre et Paul étaient affermis et confirmés dans l'Esprit Saint.

Dans les quatorze autres versets , le titre est absent du texte Alexandrin ou bien il y est présent sous une forme incomplète soit que le nom "Seigneur" soit celui de "Christ" ne figure pas.

Dans les citations qui suivent , est reporté en caractères gras le nom que n'a pas retenu la tradition Alexandrine.
Seigneur Jésus Christ ne serait-il qu'une formule que le rédacteur du codex Cantabrigiensis aurait glissée dans son texte pour le "christianiser"? Sinon pour quelels raisons les copistes du texte alexandrin l'auraient ils raccourcie?



I - Absence du nom “Christ” dans le texte Alexandrin

L'absence ou la présence du nom Christ dans le texte Alexandrin n'est pas fortuite ou “aléatoire”; elle correspond à une intention précise en lien avec l'évolution liturgique et sacramentelle des communautés qui, à la fin du second siècle, établissaient une distinction très nette entre le baptême et l'onction (chrismation) de l'Esprit Saint:
“Je ne prétends pas toutefois que les eaux nous mettent en possession de la plénitude de l'Esprit; mais en nous purifiant sous la vertu de l'ange, elles nous disposent à recevoir l'Esprit Saint.» (Tertullien, De Baptismo, VI).
En effet, suivant la parole de Pierre en Ac 2:38, l'Esprit Saint était donné après que les nouveaux croyants aient reçu le baptême; par l'imposition des mains qui faisait suite, leur était donné l'Esprit Saint. C'est pourquoi les fidèles baptisés, qui n'avaient pas encore reçu le don de l'Esprit Saint, n'étaient pas sensés confesser en Jésus "le Christ" mais se contentaient de confesser “le Seigneur Jésus”. (Ac 8:16, 11:20, 16:36 et 19:5). Ce n'est qu'après avoir reçu l'Esprit Saint par la prière des Apôtres, qu'ils confesseraient en lui le Christ.
Ainsi Philippe se contentait d'annoncer "Jésus" à l'eunnuque Éthiopien; aussi la confession de foi de cet eunnuque en Jésus Christ Fils de Dieu fut carrément supprimée (Ac 8:37).
Et c'est pourquoi également, au moment d'être oint de l'Esprit saint, Jésus ne pouvait pas déjà porter le titre de “Christ” (cf Ac 13:33).

Ainsi la tradition Alexandrine a supprimé le nom “Christ” dans ces diverses occurrences des Actes, pour donner un support scripturaire à la distinction opérée dans la liturgie entre le baptême et l'onction ("chrismation") de l'Esprit Saint conférée par l'imposition des mains.
Mais cette “Christologie”, cependant, se heurte à l'enseignement même de Philippe qui , d'emblée, annonçait le Christ aux Samaritains (Ac 8:5,12) et qui selon une bonne partie des témoins scripturaires avait baptisé l'eunnuque au nom de Jésus Christ ; en outre, elle entre en contradiction avec l'enseignement même de Pierre et de Paul pour qui le baptême était donné au nom du Christ (cf: Ac 2:38, 1 Co1:17, Gal 3:27, Col 2:12).
La tradition alexandrine ne s'est pas arrêtée là; elle a suppprimé également le titre Seigneur dans plusieurs versets :



III - Absence du nom Seigneur dans le texte Alexandrin

L' absence du nom Seigneur affecte certains des versets précédemment cités (2:38, 5:42, 6:8) mais aussi d'autres :
- Jésus, le Seigneur, debout à la droite de Dieu en 7:55 D
Dans ce verset “le Seigneur” est en apposition au nom Jésus, ce qui le met en valeur et contraste avec l'expression habituelle "le Seigneur Jésus";
Le grec Kurios recouvre forcément ici l'hébreu Adon qui signifie maître : Jésus, le maître, qui se tient à la droite de Dieu.
Mais Kurios recouvre aussi ADONAÏ, le saint nom de Dieu qui de fait ne saurait se tenir à sa propre droite. Pour éviter toute ambiguité, la tradition Alexandrine procéda à la suppression du nom Seigneur dans le verset.
L'absence du nom Seigneur dans les autres versets ne trouve pas de justification. Par contre elle met en relief l'attention portée par le rédacteur de l'Oncial D(05) à la “Seigneurie” de Jésus, à travers laquelle il dévoilait progressivement son identité.

La confession de foi au “Seigneur Jésus Christ”, était la confession de l'Apôtre Pierre à la Pentecôte (Ac 2:38 puis 11:17); l'auteur des Actes l'a intégrée à tous ses versets rédactionnels, selon l'Oncial D(05); par contre, dans les dialogues, il a fait attention à garder les paroles mêmes des protagonistes, paroles adaptées à leur contexte particulier (Ac 18:28; 20:24,35; 19:13,17). Et par un glissement imperceptible il permettait à son lecteur de considérer Adonaï dans le Seigneur Jésus Christ. C'est ce que Paul paraît avoir initié en s'adressant aux Corinthiens avec lesquels il échangeait en Grec.



III- La parole du Seigneur, Parole de Dieu.

“La parole du Seigneur” peut s'entendre de l'enseignement donné par Jésus durant son ministère; mais elle peut aussi s'entendre des paroles mêmes de Dieu dans la Torah.
L'expression se retrouve à diverses reprises dans l'Oncial D(05) et le codex Alexandrinus, parfois aussi dans le codex Vaticanus mais plus rarement :
Elle alterne avec “la parole de Dieu” (cf Ac 4:31, 6:2, 8:14, 11:1, 12:24, 13:7, 16:6D05, 17:13, 18:11).
Cette alternance incite à considérer la parole du Seigneur et la parole de Dieu comme équivalentes; notamment en Ac 13:5 , 12, et Ac 14,3-4 , ou κυρίος recouvre le titre ADON donné à Jésus et le nom divin ADONAÏ . Par un jeu subtil s'opérait un glissement, identifiant insensiblement le Christ à Dieu. L'effet recherché par l'auteur, était le même que celui de l'épître de Jacques. Les copistes de la tradition alexandrine ont paradoxalement manifesté leurs hésitations.


III- Paul et la sanctification du Nom

Il semble qu'un tournant ait été pris par Paul en Macédoine, alors que se trouvant au contact de l'évangile écrit par Luc qui était alors son compagnon de voyage, il était davantage en mesure de disputer avec les Juifs en examinant les Écritures. Il ne se contenta plus alors de dire que Jésus était le Messie, mais en annonçant le Christ Seigneur Jésus, la “Seigneurie” prenait la place centrale. Pour affirmer cette seigneurie du Christ, il serait allé jusqu'à mettre sa vie en danger pour la sanctification du Nom, soit le Kidouch ha-Chem. Sans renier la spiritualité Juive, mais au contraire en l'accueillant pleinement, il aurait alors fait un voeu temporaire de naziréat.
La prise de conscience à laquelle il avait été mené à travers les disputes intellectuelles en Macédoine puis en Achaïe avaient ouvert son champ de vision , préparant ses lettres. Alors qu'il se contentait de parler de la "Parole de Dieu", en col 1:5 il commença à mentionner la "parole du Christ"; et c'est seulement dans ses deux lettres aux Thessaloniciens qu'intervint une alternance signifiante entre la parole de Dieu et la parole du Seigneur (1Th1:8, 4:15; 2Th3:1, également 1Ti6:3).



V - Conclusion


En définitive l'expression "Seigneur Jésus Christ" pourrait bien être la formulation originelle dans les Actes des Apôtres. Elle aurait été tronquée du nom Christ dans le texte Alexandrin lorsqu'il s'agissait de marquer une différence dans la confession de foi de ceux qui n'avaient pas encore reçu l'Esprit Saint par l'imposition des mains. Elle aurait été tronquée également du nom Seigneur dans le v 7:52, une occurrence qui fait difficulté, et suite à cela, les copistes auraient été hésitants à la garder ailleurs. L'identification de Jésus au Seigneur Dieu n'est pas une théologisation tardive. Elle fut la prise de conscience de celui qui avait accompagné Jésus et rédigea le troisième évangile. Elle fut la prise de conscience progressive de Paul dont l'évolution fut minutieusement relatée par Luc son compagnon de voyage.

Identité de l'auteur du Troisième Évangile et des Actes de Apôtres.

S Chabert d'Hyères
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