À LA RECHERCHE DE THÉOPHILE

Par Richard H. ANDERSON
article paru dans les Dossiers d'Archéologie, Décembre 2002-Janvier 2003

Lorsqu'on réalise que les données disponibles pour l'identification du "très excellent Théophile" sont rares, la salutation et le style d'écriture de l'auteur deviennent alors des indices précieux pour déterminer le public auquel l'évangile de Luc est destiné. En utilisant les faits rassemblés dans Flavius Joseph, un ossuaire inscrit, l'onomastique et une analyse du style écrit de l'auctor ad Theophilum, nous identifierons le très excellent Théophile avec un personnage historique connu. Ce qui a été considéré comme une affirmation radicale faite par Johannes Weiss en 1892 constituera les prémices de cette recherche. Weiss reconnaissait que les idées devaient être exprimées dans des termes qui soient intelligibles pour leur public.

Luc, l'historien, commence ses deux ouvrages en soulignant la réalité de son récit. Il a suivi ces événements, c'est- à-dire qu'il a lu soigneusement ce que d'autres avaient écrit, et qu'il a suivi par lui-même, lorsque c'était possible, les récits trouvés dans son évangile. Cette proclamation devrait être prise au sérieux car la recherche moderne a confirmé l'exactitude de beaucoup de faits que Luc avait écrits. L'évangéliste s'efforce de démontrer la fiabilité des sujets qu'il présente. Il fait un large emploi du principe traditionnel juif de l'argument et de la preuve tiré de la "règle des deux témoins" du Deutéronome 19, 15 et du Livre des Nombres 35, 30. Ce principe devint d'un usage courant avant le Ier siècle dans les groupes d'étude de la Torah. Parmi les preuves avancées par Luc, on trouve les paroles des prophètes, l'inspiration divine et les miracles, qui jouent un rôle considérable.

Le grand nombre de citations directes scripturaires constituent une preuve évidente que l'auctor ad Theophilum a bien utilisé cette forme d'argument et de preuve. Le passage des Actes 4, 20 (cf. 26, 10) nous dit en effet : "que les Apôtres en tant que témoins sûrs, dignes de confiance, portent témoignage seulement sur ce qu'ils ont "vu" et "entendu". Dans la pratique linguistique du judaïsme tardif, les termes "vu" et "entendu" ont une résonance légale précise"(1). Ils sont employés en relation avec le témoin non seulement d'un événement, mais aussi de paroles et d'enseignements. Juste après le prologue, Luc débute son évangile par l'épisode du prêtre Zacharie offrant de l'encens dans le sanctuaire du Temple de Jérusalem tandis que le peuple prie dans la cour. Cette scène est calquée sur celles qui annoncent la naissance de personnages de l'Ancien Testament tels Isaac, Samson et Samuel, dans l'histoire du peuple de Dieu.

Les descriptions d'événements surnaturels sont associées à des figures importantes dans l'histoire juive. L'apparition d'anges et leurs hymnes de prières font entièrement partie de l'élaboration de la pensée juive en ce qui concerne l'idée messianique. Les prévisions selon lesquelles la naissance du messie serait annoncée par les anges n'étaient en aucune façon étrangères à la pensée populaire juive du Ier siècle. Le baptême de Jésus tel qu'il est rapporté par Luc rappelle l'expérience du prophète Ézéchiel (1, 1). Jean baptise Jésus ; les cieux s'ouvrent ; la descente spectaculaire de la colombe accompagne l'événement miraculeux ; Dieu parle ; Jésus est reconnu et son Êuvre commence. Luc nous dit alors que Jésus s'abstint de toute nourriture et de toute boisson pendant son jeûne de quarante jours. Ce récit d'un événement miraculeux est significatif pour un public juif qui sait que Dieu a pu nourrir Moïse et Élie au cours de leur jeûne de quarante jours. La tentation suit le jeûne. Seuls des Juifs pouvaient savoir que Luc faisait référence au passage de l'Exode 34, 28 et au Premier Livre des Rois 19, 8, et qu'une appréciation totale des tentations devait être basée sur le Deutéronome 6-8. L'histoire de Jésus dans l'évangile de Luc résonne de croyances juives concernant le plan de salut de Dieu et l'arrivée promise d'un messie libérateur. Le texte de l'évangile s'enracine dans la riche diversité de la pensée messianique juive qui caractérise la période du Second Temple. Le mot-clé dans les deux phrases précédentes est "juif". Gerhardsson notait que Luc est très dépendant d'une tradition palestinienne. Adolf Schatter concluait que le caractère du texte et d'autres signes encore indiquaient que l'auteur appartenait à l'Église juive. En 1892, Johannes Weiss posa ce que l'on considéra alors comme une affirmation radicale. Il reconnut que les idées devaient être exprimées dans des termes qui soient intelligibles pour le public. Par conséquent, nous devons conclure que les idées de Luc ont été exprimées en termes compréhensibles pour l'excellent Théophile qui devait très certainement être un Juif de haut rang et d'une grande richesse. Nous nous proposons dans cet article d'établir cette déduction comme un fait.


LA PUISSANCE DIVINE, UN THEME CENTRAL CHEZ LUC

Luc-Actes a été composé dans un style et selon des techniques utilisés dans les ouvrages historiques de l'Ancien Testament et, peut-être aussi, dans des Êuvres historiques juives postérieures telles que le Premier Livre des Maccabées, et qu'il fut donc écrit sous une forme familière au peuple hébreu. Bertil Gartner (p. 18) conclut que les écrits de Luc "ressemblent beaucoup aux deux premiers livres des Maccabées qui présentent certaines caractéristiques en commun avec les écrits historiques hellénistiques bien qu'ils soient considérés comme part entière d'une tradition typiquement juive". Il ajoute que les vues historiques qui y sont présentées sont marquées par la croyance dans l'intervention de Dieu, la punition, la réparation et l'aide. Les auteurs ne se sentent pas trop concernés par les principes de cause à effet (comme c'est clairement le cas chez Josèphe par exemple) comme avec l'action de Dieu par l'entremise des héros maccabées. Mais ils sont également désireux d'enseigner et de publier à l'étranger leur foi qui repose sur l'observation de la Loi, la sainteté du Temple, la confiance en Dieu ; c'est toute la fonction essentielle de leurs discours. Leur style n'obéit pas à l'idéal rhétorique mais appartient plutôt à la tradition del'Ancien Testament. L'enchaînement des événements, dont le premier est l'annonciation de Jean, est vu par Luc comme une série d'exemples d'actes et d'actions de la puissance divine. Les écrits lucaniens mettent en valeur la puissance de Dieu, et dans ce sens limité, Luc rejoint l'évaluation de Paul sur le pouvoir de la croix. Luc utilise cette terminologie plus souvent que n'importe quel autre auteur du Nouveau Testament(2). Il le fait pour démontrer la véracité de l'information à Théophile qui a entendu parler de la récente intervention de Dieu dans l'histoire humaine. Le pouvoir de Dieu est manifesté par les miracles accomplis par ses représentants, dont il authentifie le rôle.



THÉOPHILE, UN NOTABLE JUIF

Existe-t-il, au Ier siècle de notre ère, un Juif de haut rang et très riche qui pourrait être sensible aux idées exprimées dans l'Évangile ? Quelques spécialistes ont fait remarquer que Théophile signifie "ami de Dieu" et qu'en employant ce terme, Luc s'adressait à un personnage imaginaire qui représentait le type de personne à qui s'adressait son évangile. Cependant, il est improbable qu'un auteur ancien tel que saint Luc ait accompagné sa salutation d'un "très excellent" s'il s'agissait d'une personne fictive. C'est précisément la présence d'une telle salutation qui pousse la plupart des spécialistes à conclure que Théophile était bien un personnage réel, occupant une certaine position et possédant des biens dans le monde romain.
Puisque les propositions pour la rédaction de l'évangile de Luc vont de 40 au plus tôt à 140 ap. J.-C. au plus tard, n'importe où dans le monde romain connu de cette époque, notre recherche de Théophile se limitera à cette période et à cette aire géographique. Existait-il à cette époque, dans l'empire romain, une personne d'un certain rang et/ou d'une certaine richesse portant ce nom, et pour laquelle la salutation de "très excellent" aurait été appropriée ?

Nous savons, grâce à une liste publiée de 2 040 noms masculins juifs du Ier siècle utilisés depuis la période du Second Temple jusqu'à l'époque de la Mishna (330 av. à 200 ap. J.-C.) et dressée à partir de diverses sources de cette période, les écrits de l'historien juif Flavius Josèphe, le Nouveau Testament et la littérature rabbinique ainsi que les papyri et les inscriptions , que le nom de Théophile apparaît trois fois, ce qui en fait un prénom très rare. Tous les exemples que nous rapportons dans cette étude font référence à la même personne.
Selon Flavius Josèphe, un homme du nom de Théophile a servi comme Grand Prêtre de 37 à 41 ap. J.-C. Ce Théophile appartenait à la plus importante et la plus riche famille de Palestine. En plus de cette mention dans les écrits de Josèphe, il existe un autre exemple qui établit de manière décisive l'existence historique de Théophile le Grand Prêtre.Barag et Flusser ont publié dans l'Israel Exploration Journal une inscription gravée sur un ossuaire en calcaire qui identifie les ossements qui s'y trouvent avec ceux de Yehohanah, petite-fille du Grand Prêtre Théophile. Les ossuaires étaient des récipients destinés aux enterrements secondaires juifs, et ils furent en usage de 100 av. à 100 ap. J.-C. Ils étaient réalisés en creusant un simple bloc de calcaire doux que l'on trouve dans les environs de Jérusalem. Celui-ci fut retrouvé à Hizma (Bet 'Azmaweth), à plus ou moins 7,25 km au nord/nord-est de Jérusalem. L'inscription sur trois lignes se lit ainsi : Yehohanah/Yehohanah fille de Yehohanan/fils de Théophile le Grand Prêtre.

La variante araméenne du nom est Yohanah (Jeanne). Barag et Flusser donnent trois exemples de Yohanah : l'un publié par Sukenik, l'autre par Puech et le troisième par Benoît, qui sont identiques avec la Yohanah que l'on trouve chez Luc 8, 3 et 24, 10. Le nombre total de toutes les femmes juives de Palestine dont on connaît le nom, depuis la période du Second Temple jusqu' à celle de la Mishna, se chiffre à 247. Ici aussi, ce nombre a été fixé grâce à l'étude des différentes sources de cette époque, Flavius Josèphe, le Nouveau Testament, la littérature rabbinique, les inscriptions et les papyri. Les huit occurrences de Yohanah identifiées dans cette étude, dont l'exemple donné par Barag et Flusser et ceux trouvés chez Luc 8, 3 et 24, 10, représentent 3,24 % du total. Yohanah est le cinquième nom le plus commun présent dans cette étude. Les trois occurrences de Théophile identifiées dans l'étude des noms masculins juifs, en excluant celle donnée par Barag et Flusser et celles de Luc 1, 3 et Actes 1, 1, représentent 0,01 % du total des noms réunis grâce aux mêmes sources utilisées pour l'étude des noms de femmes et réalisée elle aussi par Ilan.

Théophile n'est pas un nom commun, et lorsqu'il est combiné avec celui de Yohanah, l'identification se confirme et explique pourquoi Luc est le seul parmi les évangélistes à citer Yohanah dans son évangile. Yohanah a pu très aisément informer Jésus du faste dans lequel Hérode Antipas et sa cour vivaient, et elle doit avoir été l'un des témoins oculaires qui ont servi à Luc de source de renseignements pour ses données concernant la vie des Hérodiens.



INDICES D'IDENTIFICATION DANS LUC / ACTES

Nous pourrions donner beaucoup d'exemples qui viennent soutenir notre hypothèse, mais l'un d'eux est particulièrement éclairant ; il s'agit de la parabole de l'homme riche et de Lazare, qui est typiquement juive. Bien que Lazare ait été un nom très commun en Palestine, sa signification aurait échappé à un public de païens. Lazare est la forme abrégée d'Éléazare qui, en hébreu, signifie "Dieu aide". L'homme riche fait appel à Abraham, en croyant peut-être, faussement, que son héritage le sauvera ; mais Jean le Baptiste avait déjÚ prévenu contre ce faux espoir ("Produisez donc des fruits qui témoignent de votre conversion ; et n'allez pas dire en vous-mêmes : "Nous avons pour père Abraham". Car je vous le dis, des pierres que voici, Dieu peut susciter des enfants à Abraham" Luc 3, 8). Pour Luc, Abraham est le père et les Juifs sont ses enfants (1, 73 ; 13, 16 ; 19, 9). Flavius Josèphe appelle Abraham "le père de tous les Juifs". L'espoir en la résurrection était répandu dans le Judaïsme. La rétribution divine après la vie est un concept juif fondamental. Les discussions des Juifs sur la vie après la vie impliquaient souvent un tourment physique (16, 23) et la possibilité pour le défunt de voir et de converser avec les autres. L'homme riche qui "s'habillait de pourpre et de linges fins" &endash; la description des vêtements du Grand Prêtre &endash; dit à Abraham : "Je te prie alors, Père, d'envoyer Lazare dans la maison de mon père, car j'ai cinq frères. Qu'il les avertisse pour qu'ils ne viennent pas eux aussi dans ce lieu de tourment". La phrase "la maison de mon père" est une référence à la maison de Hanne. Nous savons par Josèphe que le Grand Prêtre Hanne n'était pas seulement en vie mais qu'il était encore très respecté à la veille de la révolte contre Rome : "Cet Hanne l'Ancien était le plus béni des hommes car il avait cinq fils". L'un d'eux servait comme Grand Prêtre et les quatre autres servirent ou serviront comme Grand Prêtre, ainsi que leur fameux beau-frère, Caïphe.

Mais la vraie question est : est-ce que le "très excellent Théophile" comprend que cette parabole de l'homme riche et de Lazare s'adresse directement à lui ?
Ce passage serait en effet intéressant mais peu significatif si Théophile le Grand Prêtre n'avait pas un frère nommé Éléazare qui servit, lui aussi, comme Grand Prêtre.



THÉOPHILE LE GRAND PRETRE

Luc débute son oeuvre par une dédicace au "très excellent Théophile". Les commentateurs ont unanimement reconnu que nous ignorons à qui s'adressent l'évangile de Luc et les Actes des Apôtres. Certains ont avancé que Théophile était une personne de haut rang dans le groupe à qui Luc s'adressait. Nombreux sont ceux qui ont conclu que Théophile était un officier romain, et beaucoup ont souligné que Théophile était un nom grec.
La supposition est correcte mais elle n'implique pas que le porteur de ce nom ne pouvait pas être le Grand Prêtre qui, parce qu'il était désigné par le procurateur, était, de facto, un officier romain qui s'avérait être un Juif palestinien et à qui Luc s'adresse correctement en l'appelant "très excellent Théophile".
À l'époque du Second Temple, le Grand Prêtre n'était pas seulement le chef religieux d'Israël et du Temple, il était aussi à la tête de la théocratie et le représentant officiel de la nation auprès des dirigeants perses et, plus tard, romains. Il se distinguait des prêtres ordinaires de plusieurs manières. Son service au Temple se singularisait par l'autorisation qu'il avait reÁue d'offrir un sacrifice expiatoire sur l'autel intérieur et d'entrer dans le Saint des saints. Les offrandes étaient faites pour racheter les péchés personnels, pour ceux jugés par le sanhédrin et pour les fautes de la communauté. Son service le plus solennel se faisait le jour des propitiations. Lorsqu'il était rempli correctement, le service permettait de racheter les péchés de toute la nation juive.
Le Grand Prêtre était nommé à vie, et même lorsque les Romains commencèrent à le désigner, l'ancien Grand Prêtre conservait certaines prérogatives. La mort du Grand Prêtre en exercice ou de l'ancien Grand Prêtre avait une signification rédemptrice. Les personnes poursuivies pour homicide involontaire et qui avaient trouvé refuge dans une autre ville étaient autorisées à revenir chez elles après la mort du Grand Prêtre sans crainte d'être arrêtées. Même après sa destitution, le Grand Prêtre conservait son titre et son autorité ; c'est la raison pour laquelle, même un ancien Grand Prêtre pouvait être qualifié de "très excellent" lorsqu'on s'adressait à lui. En outre, beaucoup de spécialistes reconnaissent aujourd'hui que le grec était largement utilisé au Ier siècle en Palestine aussi bien par les chrétiens que par les autres juifs. Jean rappelle que le titulus de la croix était rédigé en grec, en latin et en hébreu (19, 20). Or les inscriptions funéraires sont probablement le meilleur indicateur de la langue parlée par le petit peuple, et, à ce titre, il est intéressant de noter que leur grande majorité a été rédigée en grec. Jésus à grandi à Nazareth près de la cité grecque de Sépphoris et à proximité d'autres villes grecques. Le grec était couramment parlé à l'instar de l'araméen. Après sa mort et sa résurrection, les disciples ont prêché et rédigé leurs évangiles en grec. Dès lors, il ne devrait pas être surprenant que beaucoup de Grands Prêtres de cette époque aient porté des noms grecs.


MANIFESTER LA PUISSANCE DE DIEU

Si donc Théophile était le Grand Prêtre, pourquoi Luc lui dédie-t-il son évangile et ses Actes ? L'évangéliste a écrit une Êuvre irénique (pacifiste)(3) qu'il adresse au Grand Prêtre pour lui annoncer et lui expliquer que de nombreuses prophéties se sont accomplies(4). Il affirme vouloir expliquer la signification des paroles et des actions de Jésus dans le contexte prophétique de l'Ancien Testament, dont les arguments ne pouvaient émouvoir qu'un public qui croyait déjÚ et respectait le texte qu'il considérait comme sacré. Seul un juif pouvait écouter et comprendre un récit basé sur l'accomplissement des promesses faites à David à travers Jésus le Messie.

L'attente juive de l'arrivée d'un roi davidique était particulièrement forte chez les Juifs palestiniens. Le statut royal de Jésus comme descendant de David n'aurait en rien impressionné un gentil, mais le Grand Prêtre, lui, aurait prit en compte un tel argument. Il y a un miracle, en particulier, accompli par Jésus qui a été très impressionnant et au dont le Grand Prêtre a sûrement été informé. Lorsque les gardes du Temple viennent arrêter Jésus, Pierre sort une épée et coupe l'oreille du serviteur du Grand Prêtre. Jésus, dans l'évangile de Luc, guérit ce serviteur en lui touchant l'oreille (22, 51). Tous les évangiles rapportent l'arrestation de Jésus, mais seul celui de Luc mentionne le miracle de l'oreille.
Une nouvelle aussi incroyable ne pouvait être faite au Grand Prêtre moins d'être vraie. Cette guérison miraculeuse de l'oreille a joué le même rôle que la résurrection de Lazare dans l'évangile de Jean. C'était la manifestation de la puissance de Dieu en tant que prélude à sa résurrection. Paul, à l'instar de Luc et de Jean, considérait la résurrection comme le signe le plus éclatant de la puissance divine. Luc ne confère pas d'efficacité salutaire à la croix. Pour lui, grâce à la puissance de Dieu, Jésus est ressuscité des morts.

Cette action divine est constamment mise en avant par Luc ; il souligne davantage que Matthieu et Marc le plan de Dieu et son action dans l'histoire. Il développe ce thème avec prudence étant donné les croyances du Grand Prêtre et le "statut marginal de l'immortalité et de la résurrection"(5) dans les croyances du judaïsme au Ier siècle(6). Le style d'écriture relève de la tradition de l'Ancien Testament. Les idées exprimées par Luc auraient été compréhensibles au très excellent Théophile, le Grand Prêtre. En réalité, la signification d'un certain nombre de passages ne pouvait être comprise que par ce dernier. Les deux mentions brèves de Yohana dans l'évangile de Luc peuvent être reconnues maintenant comme ayant joué un rôle plus important qu'on ne le croyait jusqu'ici. Luc a utilement cité Yohana, la petite-fille de Théophile le Grand Prêtre, comme l'un des témoins. Dans sa présentation, il a observé le principe traditionnel juif de l'argument et de la preuve supporté par de nombreuses citations de l'Écriture pour démontrer que la puissance de Dieu a rendu possible tout ce que Théophile a vu et entendu.


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NOTES
1. Gerhardsson, B., Memory and Manuscripts, Lund, 1961, ET 1998, pp. 221-222.
2. L'intérêt de Luc pour la puissance de Dieu est illustré par le fait qu'il utilise le mot 15 fois dans son évangile, 10 fois dans les Actes ; le verbe 26 fois dans son évangile, 21 fois dans les Actes ; l'adjectif 4 fois dans son évangile et 6 fois dans les Actes. Il s'agit d'une réaffirmation forte du monothéisme juif traditionnel.
3. Dans un contexte différent, voir Hemer, C. J., The Book of Acts in the Setting of Hellenistic History, Tübingen, 1989, p. 185. D'autres auteurs tels que Baur F. C. et Moessner, D. P., en 1860, The Lord of the Banquet, Minneapolis, 1989, p. 315, ont souligné les qualités pacifiques de Luc.
4. L'accomplissement des prophéties était d'un intérêt majeur pour Luc. P. Shubert dans son article Neutestamentliche Studien fur Rudolf Bultmann, Berlin, 1957, pp. 165-186, souligne que "cette théologie de la "preuve-par-la-prophétie" est un concept théologique central chez Luc que l'on retrouve dans ses deux ouvrages" (p. 176). Shubert inclut des prophéties prononcées par Jésus et d'autres comme Gabriel, Élisabeth et les prophètes de l'Ancien Testament.
5. Perkins, Ph., Resurrection: New Testament Witness and Contemporary Reflection, New York, 1984, p. 62. Voir également Cavallin, H. C. C., Life after Death: Paul's Argument for the Resurrection of the Dead in 1Cor. 15, 1974. Comme ces auteurs le notent, Daniel 12, 1-3 contient la première référence explicite à la résurrection dans la Bible hébraïque. Sa date de composition est fixée vers 166-164 av. J.-C.
6. On peut se demander si Luc, par ses nombreuses références aux anges, en s'adressant à Théophile le Grand Prêtre, un sadducéen qui croyait aux anges, ne lui pose pas implicitement la question : "si vous croyez aux anges, pourquoi ne croyez vous pas en la résurrection ?". Bibliographie • Alon, G. The Jews in Their Land in the Talmudic Age, Cambridge (Mass.), 1989. • Avigal, N., A Depository of Inscribed Ossuaries in the Kidron Valley, dans Israel Exploration Journal, 12, 1962, p. 4. • Barag, D. et Flusser, D., The Ossuary of Yehohanah Granddaughter of the High Priest Theophilus, dans Israel Exploration Journal, 1986, 36, pp. 39-44. • Chester, A., Jewish Messianic Expectations and Messianic Figures and Pauline Christology, dans WUNT, 58, Tübingen, Mohr-Siebeck, 1991. • Crispin, H. T., Fletcher, L., Luke-Acts: Angel Christology and Soteriology, Tübingen, 1997. • Gartner, B., The Areopagus Speech and Natural Revelation, Uppsala, 1955. • Hastings, A., Prophet and Witness in Jerusalem: A Study of Theaching of St. Luke, London and New York, 1958. • Hemer, C. J., The Book of Acts in the Setting of hellenistic History, Tübingen, 1989. • Ilan, T., A Lexicon of Jewish Names: part I: Palestine 330 BCE-200CE, Tübingen, Mohr-Siebeck (sous presse) ; idem, Notes on the Distribution of Jewish Women's Names in Palestine in the Second Temple and Mishnaic Periods, dans Journal of Jewish Studies, 40, 1989. • Leon, H. J., The Jews of Rome, Philadelphia, 1960, 75. • Rahmani, L. Y., A Catalogue of Jewish Ossuaries in the Collection of the State of Israel, Jerusalem, 1994. • Schatter, A., Theology of the Apostles, 1992, Grand Rapid, 1999. • Stambaugh et Balch, The New Testament in its Social Environment, Philadelphie, 1986. • Strauss, M. L., The Davidic Messiah in Luke-Acts, Sheffield, 1995. • Tzaferis, V., Jewish Tombs at and near Giv'at he-Mivatar, Jerusalem, dans Israel Exploration Journal, 20, 1970, p. 27. • Vliet (van), H., No Single Testimony, Utrecht, 1958.