LE TITRE “FILS DE DIEU ” DONNÉ À JÉSUS


À leur nom les rois de la dynastie Séleucide attachaient un titre en référence au dieu dont ils étaient sensés tenir leur pouvoir: Sauveur, Divin, Le Grand, Manifesttion divine, né du Père, épiphanie de Dyonisos, épiphanie de Zeus, Évergète, ami du Père, Pieux, Vainqueur. Sur un manuscrit de la Mer Morte, le titre Fils de Dieu Fils du Très-Haut faisait référence à l'un d'entre eux, bien avant qu'il ne soit porté par les empereurs romains.
Donné à Jésus par l'Ange Gabriel et confirmé par la voix céleste, il était aussi énoncé de manière contradictoire par Satan ou par des démoniaques.
Le sens conféré à ce titre dans les Évangiles dépend donc du personnage qui le prononçait; il dépend surtout de l'intelligence qu'en avait chacun des évangélistes.


L'exclamation du Centurion dans l'évangile

Selon l'évangéliste Marc, le centurion Romain voyant Jésus mourir se serait exclamé:
"Vraiment, cet homme , de Dieu, fils , était”
Mc 15: 39 (1).
Tel est l'ordre des mots dans le codex Cantabrigiensis et les mss 565 et 1071; c' était celui du titre impérial Latin, tel qu'il apparaissait sur les monnaies de l'empereur:


Pontifex maximusTiberius Caesar

TI[BERIUS]. CAESAR DIVI AVG[USTI]. F[ILIUS]. AVGVS[TVS] ET PONTIF[EX] MAXIM[US]



 

Cet ordre avait été adopté tel quel dans la retranscription grecque:

L'ordre Theou Uios, = de Dieu fils , calquait le Latin "Divi Filius" = du divin [César ]le fils réservé à Auguste et repris par Tibère et ses successeurs. En mettant cette confession sur les lèvres d'un centurion romain, Marc entendait interpeller ses auditeurs, car pour lui le véritable Fils de Dieu n'était pas l'empereur, mais le Christcenturion dont il écrivait l'évangile. Telle qu'elle se trouve formulée dans le codex Cantabrigiensis, l'expression “de Dieu fils” est une indication sur les références littéraires de Marc.

Bien que l'ordre des mots ne soit pas prédéfini en Grec, Uios Theou y était plus naturel et ce fut l'ordre adopté par Marc en deux autres occurrences (McI:1 et 3:12) et par Matthieu en 6 occurrences sur 9 et sur les trois autres en Mt 14:33D et 27:54 B,D,F,W Sinaiticus. C'était l'ordre trouvé en Luc.



La confession de Pierre

Que répondit Pierre à Jésus qui l'interrogeait sur son identité?
La réponse n'est pas identique selon les évangélistes ni selon tel ou tel manuscrit ; un schéma simplifié laisserait penser qu'elle avait subi une amplification, d'un évangéliste à l'autre et d'un manuscrit à l'autre.

A - Tu es le Christ, Marc 8 : 29 codicii A, B et D
B - Tu es le Christ, de Dieu Luc 9 : 20 A, B et autres mss
C - Tu es le Christ, Fils de Dieu Luc 9 : 20 D, 892, pc, it, Boms
D - Tu es le Christ, le Fils du Dieu Vivant Mt 16 : 16 codicii A, B et autres mss
E - Tu es le Christ, le Fils du Dieu Sauvant Mt 16 : 16 D et Mc 8 : 29 W et f 13

  1. - Selon Luc et dans la tradition scripturaire ancienne, Pierre confessait en Jésus le Christ tout en précisant sa qualité de fils de Dieu. Celle-ci avait été déjà énoncée par des démoniaques auxquels Jésus avait intimé l'ordre de se taire (Luc 4:41, Mc 3:12). “Christ” et ”Fils de Dieu” étaient toujours associés par l'évangéliste, et cette association qui n'est pas chez les autres Synoptiques se retrouve par contre chez certains Apocryphes 2.
  2. - Pour Marc, ”Fils de Dieu” évoquait le titre impérial qui lui paraissait naturel sur les lèvres du centurion romain, non sur celles de Pierre. C'est probablement la raison pour laquelle, dans le parallèle lucanien, très tôt, Fils fut retiré par des copistes, y laissant une expression inachevée et sans autre occurrence connue: Christ de Dieu. Cependant en exergue de son livre, selon la majorité des manuscrits, Marc a fait figurer ”Fils de Dieu” dans l'ordre habituel, revendiquant pour le Christ un titre qu'il ne voulait décerner à nul autre.
  3. La confession amplifiée par Matthieu le Fils du Dieu Sauvant (Codex Cantabrigiensis) empruntait aux souverains séleucides Antiochos I, Seleucos III et Démetrios I leur titre de Sôter, comme aux empereurs latins, César, Auguste ou même Néron qui en avaient été qualifiés. En supprimant ses deux premières lettres à Sôzontos = sauvant, on obtenait Zontos = vivant. Et ce titre Fils du Dieu Vivant, était donné par le grand-prêtre lors du procès selon certains manuscrits(Mt 26:63). Il eut la préférence des copistes qui unifièrent entre eux les vesrets matthéens .


L 'Annonciation


Tu vas concevoir et enfanter un fils...
Il sera appelé FILS DU TRÈS HAUT...
L'Esprits Saint viendra sur toi et la puissance du Très Haut te prendra sous son ombre.
C'est pourquoi l'engendré saint, sera appelé FILS DE DIEU»

À ces paroles de l'Ange Gabriel, les antécédents bibliques ne manquent pas: Dans le livre de la Sagesse, ce juste persécuté, qui était-il?
Plusieurs grands prêtres furent réputés justes et cet adjectif accompagne leur nom comme un titre ; ce fut le cas de Simon le juste, Onias III , ou encore Anan assassiné par les Zélotes et que Josèphe considérait comme un homme vénérable et juste. «FILS DE DIEU» s'entendait vraisemblablement du grand-prêtre.

À ces deux textes Deutérocanoniques écrits en Grec, il convient d'ajouter le document en Araméen 4Q246 des manuscrits de la Mer Morte qui relève du même courant littéraire; s'y retrouvent ces deux titres FILS DE DIEU, FILS DU TRÈS HAUT .
Col.1 5... un prince des nations ... 10 [...] grand il sera appelé et de son nom il sera nommé.
Col 2 1 Il sera dit le FILS DE DIEU, ils l'appelleront FILS DU TRÈS HAUT. Comme les comètes 2 que tu as aperçus dans ta vision, tel sera leur règne. Des années ils règneront sur 3 le pays tandis que les peuples piétineront les peuples et que les nations piétineront les nations. 4 Jusqu'à ce que le peuple de Dieu se lève.

L'interprétation courante (voire obligée ?) de ce fragment y lit l'usurpation des deux titres par le fils (en l'occurrence Antiochus Épiphane) d'un prince tyran dont les peuples qu'il avait conquis auraient été amenés à reconnaître son pouvoir spirituel.

antiochus epiphane

BASILEWS ANTIOCOU THEOU EPIPHANOUS NIKHFOROU

Le Roi Antiochos, Epiphanie de Dieu Victorieux


Mais le fait que les deux titres soient calligraphiés en hébreu dans un texte en araméen rend cette interprétation peu plausible ; écrits dans la langue biblique, ces titres deviennent des “nomina sacra” et le texte se lit tout autant comme une “prophétie” de jours à venir où sont entremêlés les événements apocalyptiques et la manifestation divine.

En comparaison , le parallèle de l'Évangile de Luc n'offre pas le pluriel ils l'appelleront mais un passif "il sera appelé"; ce passif est dit “passif divin” car il amène à considérer en Dieu l'auteur de l'action. Le Très Haut, Dieu est celui qui appelle son fils:
«Il sera appelé FILS DU TRÈS HAUT... Il sera appelé FILS DE DIEU».
Ce passif était bien un passif divin pour le rédacteur, puisque par une double intervention, la voix céleste attestait de la paternité divine au baptême et lors de la transfiguration.
Tu es mon fils, Moi aujourd'hui je t'ai engendré (Lc 3:21 D05 et It) . Parole de la voix céleste lors du baptême en écho à celle de l'Annonciation

Tu es mon fils bien aimé en toi j'ai mis ma complaisance. Parole de la voix céleste lors de la transfiguration.

bapteme de Jesus
En Luc, la manifestation de la voix céleste au baptême et à la transfiguration , avait pour finalité de confirmer les paroles de l'Ange Gabriel.
L'évangéliste, pouvait entendre FILS DE DIEU, et FILS DU TRÈS HAUT au sens littéral , impliquant l'intervention du surnaturel dans la vie des témoins.


Si tu es Fils de Dieu

Le même évangéliste mettait en scène un dialogue entre Satan et le Christ portant sur la filiation divine:
«si fils tu es de Dieu parle, pour que ces pierres deviennent des pains...Si fils tu es de Dieu, jette toi d'ici en bas..»
Lc 4,3,9
La réponse prêtée à Jésus était formulée à partir d' une citation de l'écriture :
"Jésus lui dit: il est écrit : tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu" Lc 4:12 citant Dt 6:16.
Cette réponse se reçoit de deux manières:
- En répondant positivement à la suggestion démoniaque Jésus allait mettre Dieu à l'épreuve parce qu'il demanderait son intervention.
- C'était lui, Jésus, qui était tenté directement par le diable et pas seulement Dieu à travers lui. “Tu ne tenteras pas...le Seigneur ton Dieu ”. Le Seigneur ton Dieu, n'était-ce pas lui? À travers sa réponse, Jésus se présentait en unité d'être avec Dieu. L'évangéliste qui était le créateur de cette métaphore spirituelle , était forcément conscient de cette possibilité de lecture.
Intervenant au lendemain de l'arrestation de Jean, les tentations exprimaient ce que Jésus avait ressenti . Au lendemain du baptême , elles manifestaient les interrogations de ses contemporains sur son identité spirituelle.


Fils de Dieu, Christ, Élu

Comme Jésus était en croix, on le raillait de la foule en lui décernant trois titres:
"D'autres tu as sauvés, sauve-toi toi même, si fils tu es de Dieu, si Christ tu es, l'élu!"Lc 23:35
Comme dans la confession de Pierre les deux titres fils de Dieu et Christ étaient énoncés ensemble. Synonymes, ils n'étaient pas pour autant identiques.
Dans la Torah, les occurrences de Christos concernaient Aaron (Ex 30:30, 40:15, dont les descendants étaient les grand prêtres oints qui officiaient au temple (Lv 4:5,16; 6:15; 21:10,12).
Dans les livres historiques, Christos Kuriou désignait le roi qui avait reçu l'onction (1S16:6; 24:7,11 etc).
Outre le roi et le prêtre , avait été oint le prophète Elisée (1 R 19:16) .

Christ renvoyait à la fonction royale , Fils de Dieu au sacerdoce et l'élu à l'action prophétique.


Toi Tu es le Fils de Dieu ? - Vous vous dites que «Ani Hu»

Aux membres du Sanhédrin, grands-prêtres, docteurs de la Loi, Scribes et Pharisiens qui s'exclamaient:
«Toi donc tu es le Fils de Dieu »? :
Jésus répondit
« Vous vous dites que Egw Eimi
»
Egw Eimi est l'équivalent en Hébreu d'«Ani Hu» signifiant littéralement “Moi, Lui”.

Dans la mesure où “Fils de Dieu”, renvoyait à la fonction de grand-prêtre exercée par un personnage qui pouvait ne pas être de descendance sacerdotale, à l'image de Salomon qui avait officié comme grand-prêtre lors de la dédicace du temple (1S 8) , Jésus se retrouvait en confrontation directe avec l'institution du Sanhédrin et la hiérarchie instituée.


- Que Marc ait donné à la question la forme «Es-tu le Fils du Béni?» manifeste qu'il souhaitait éviter “Fils de Dieu" qu'il considérait comme un titre impérial et non comme un titre messianique. Il a eu recours à un adjectif substantivé "le Béni", qui , sous cette forme, n'était pas dans la LXX. Ce titre serait une innovation de Marc.

- «...que tu nous dises si tu es le Christ, le Fils de Dieu» Mt 26:63. Pour avoir réuni les deux questions en une seule, Matthieu devait considérer Fils de Dieu comme un simple synonyme de Christ.

Sous le titre "Fils de Dieu" , le grand-prêtre discernait une fonction particulière qu'il exerçait lui-même. La réponse de Jésus fut affirmative puisqu'elle n'était pas un déni.
«Vous vous dites que Ani Hu» :
ce qui est à comprendre :
Vous mêmes vous dites que le Fils de Dieu, c'est moi.
Tout en laissant, à ceux qui l'interrogeaient, la responsabilité de leurs propos, Jésus ne déniait pas ce titre. D'où la réaction vive de le mener devant l'autorité romaine, qui faisait et défaisait le grand-prêtre.

Mais cette réponse faite au Sanhédrin
«Vous vous dites que Ani Hu [= Moi [c'est] Lui]»

était en même temps une allusion à un verset sensible de la Torah:
« Ani Hu, (= Moi YHWH) en dehors de moi il n'en est pas d'autre.»
Dt 32:39
Par sa réponse Jésus laissait entrevoir de son identité, une unité d'être avec YHWH.
Cette unité avait été déjà énoncée devant les disciples:
«Nul ne connaît qui est le Fils si ce n'est le Père
ni qui est le Père si ce n'est le Fils
et celui à qui le Fils veut le révéler»
.
La relation qui l'unissait au Père n'était pas hiérarchique ; elle était fondée sur la réciprocité .


1 - Tae Hun Kim : The Anarthrous uios qeou= in Mark 15,39 and the Roman Imperial Cult, Biblica 79 (1998) 221-241
Robert L. MOWERY Son of God in Roman Imperial Titles and Matthew Biblica 83 (2002) 100-110
2 - Crispin HT Fletcher-Louis : Jesus and the High Priest. CB Amphoux Jéssu comme Fils de Dieu, Theolib 22 consacré à Jésus Fils de Dieu
3 - Messie et Fils de Dieu sont associés par l'auteur des trois paraboles de I Enoch 37-70 et du quatrième Livre d'Esdras tous deux de la fin du premier siècle (Enoch, 55:2; IV Esdras 7:28-29; 13:32, 37, 52; 14:9)