Jésus et le Sabbat   



 I- Respect du Sabbat, respect de l'animal

Justification d'actes de guérison le jour du Sabbat

Par un raisonnement a fortiori Jésus justifiait en dernière instance ses actes accomplis le jour du Sabbat: Si une chose s'avère vraie dans telle situation à plus forte raison elle le sera si ce qui est considéré est de plus grande valeur. Il faisait appel à la rhétorique juive et à son raisonnement du simple au complexe dénommé kal v'khomer dont voici un premier exemple:

"Si vous qui êtes mauvais savez donner de bonnes choses à vos enfants , combien plus le Père céleste donnera-t-il l'Esprit Saint à ceux qui le lui demandent" ( Lc 11,13).
En employant ce raisonnement à fortiori, Jésus invitait à faire confiance à Dieu plus encore qu'à un père terrestre.

Dans un récit de guérison (Lc 14: 1-6) un raisonnement a fortiori n'a pas été saisi par des scribes hellénistes qui ont remplacé un terme par un autre ; il n'était plus alors possible de comprendre que Jésus se basait sur ce mode pour justifier le bien-fondé d'avoir soigné un homme le jour du Sabbat. En effet il avait guéri un malade de son hydropisie en ce jour consacré à Dieu ; à l'intention des pharisiens présents, il émit un raisonnement à fortiori qu'ils connaissaient bien, pour justifier de son acte. Dans les manuscrits de la tradition occidentale dont relève le codex Bezae on lit en effet:

"Lequel d'entre vous si sa brebis ou son boeuf tombe dans un puits ne l'en ressortira pas aussitôt le jour du sabbat?" 

Les auditeurs, ne se méprenant pas, comprenaient bien que si on sauvait ce jour là un animal, brebis ou boeuf, à plus forte raison on se devait d'agir sans retard dans le cas d'un homme. La justification reposant sur un évènement accidentel, il faut en conclure que c'est un homme en crise soudaine d'hydropisie qu'avait guéri Jésus. Il n'avait pas établi de comparaison entre l'homme et l'animal mais rappelé Dt 5:15 sur les devoirs et le sens du Sabbat; il n'avait pas non plus cherché à émouvoir son auditoire, mais il s'était adressé à lui dans un raisonnement a fortiori (en partie sous-entendu) . La manière dont il s'exprimait témoignait des habitudes de l'enseignement rabbinique: en procédant ainsi il s'attendait à ce que l'auditoire comprenne par lui-même sans qu'il y ait besoin d'expliciter davantage; par une règle objective à laquelle nul n'était sensé se soustraire, il offrait un argument de poids aux pharisiens.

 

II - Libération de la femme et de l'homme le jour du Sabbat

Or des scribes hellénistes qui ne le saisissaient pas remplacèrent brebis par fils:

"Lequel d'entre vous si son fils ou son boeuf tombe dans un puits ne l'en ressortira pas aussitôt le jour du sabbat?" Lc 14,5 (NA27). Il n'était plus possible d'appliquer le raisonnement a fortiori puisque l'homme guéri par Jésus, n'offrait pas un cas de plus de valeur qu'un fils. Ce n'était plus qu' une simple comparaison et les sentiments qui poussaient à agir en faveur d'un fils ou d'une bête du troupeau étaient sollicités en faveur d'un malade. Aussi la réponse, parce qu'elle reposait sur la subjectivité, perdait sa valeur d'argument.

Au chapitre précédent c'était une femme qui était guérie un jour de sabbat et Jésus avait émis un raisonnement similaire basé cette fois non plus sur un accident survenu en Sabbat (tomber dans un puits) mais sur un fait habituel:

13:15 : " chacun de vous le Sabbat, ne délie-t-il pas son boeuf et son âne de la mangeoire pour les emmener boire?

Observer le repos du Sabbat revenait à respecter le bien-être de l'esclave et de l'animal (Dt 5:15); on n'empêchait donc pas ce dernier de boire puisqu'on le déliait. En conséquences, on ne devait pas empêcher non plus une femme atteinte par la maladie de recouvrer la santé aussi ce jour là. A ce raisonnement à fortiori sous-entendu, Jésus en ajoutait un autre:

16 - En outre cette fille d'Abraham, qu'a liée Satan voici dix-huit ans, ne convenait-il pas qu'elle soit libérée de ce lien le jour du Sabbat? 17 - Et ils furent déshonorés ses détracteurs.
 
La femme en ne pouvant plus du tout relever la tête exprimait la honte d'une infirmité d'esprit (D05) dans laquelle Satan la tenait liée. Or le sabbat, selon Dt 5:15, était sensé aussi commémorer la sortie de l'esclavage. A sa délivrance publique accomplie à juste titre en un Sabbat la honte qu'elle avait éprouvée jusque là retombait sur les contradicteurs: Et ils furent déshonorés ses détracteurs.
 

A travers cet exemple Jésus avait rappelé les deux intentions qui présidaient au respect du Sabbat selon Dt 5:15:

- le repos du maître comme celui du serviteur (esclave) permettant à l'animal également de reprendre souffle.

- commémorer la sortie de l'esclavage (d'Egypte).

La règle de Damas dont des exemplaires ont été retrouvés à Qumrân interdisait, le jour du Sabbat, de retirer d'une fosse l'animal qui y était tombé sauf  s'il encourait la noyade et qu'on puisse le sauver sans l'aide d'un instrument: "Personne n'aidera à mettre bas un animal le Sabbat et s'il tombe dans une fosse ou dans un puits il n'en sera pas retiré le Sabbat... Tout être vivant qui tombera dans une mare ou dans une citerne ne pourra en être extrait avec une échelle, une corde ni un autre instrument"(cf 4Q270,fr.9,col.2,§11v.14-16).


III - La cueillette des épis 

 Au début du chapitre VI, le comportement des disciples avait valu à Jésus un reproche sur la cueillette des épis de blé, un geste qui pourrait relever des 39 travaux que la Mishna dénombre comme interdits le Sabbat et parmi lesquels: semer, labourer,moissonner,lier en gerbe, battre le grain, vanner, nettoyer le grain, moudre, cribler, pétrir, cuire au four, ...

 

Les disciples avaient cueilli et froissé les épis avant de les manger; mais à y regarder de près il semble que le reproche des pharisiens ne portait pas sur cet acte mais sur l'appropriation des prémices de blé réservées aux prêtres car c'était l'époque des sabbasin (hebr.chabatot) cette période de sept semaines entre la Pâque et la Pentecôte; les prémices du blé devant être offertes au Temple il était interdit aux simples Israélites d'en manger ou même de les toucher. La réponse de Jésus ne portait pas sur la rupture du Sabbat, mais elle prenait exemple sur David qui avait donné à ses compagnons les pains réservés aux prêtres. 

IV - Sabbat et liberté

 

Jésus s'était en quelque sorte justifié de son attitude dans l'épisode précédent où il interpellait un homme qu'il voyait travailler :

"Le même jour, regardant  quelqu'un travaillant le sabbat, il lui dit: " humain, si vraiment tu sais ce que tu fais, tu es heureux. Par contre si tu ne le sais pas, maudit et transgresseur tu es, de la loi ! "Lc 6,6D05
Ce verset qui ne se rencontre qu'en Luc et dans le seul codex Bezæ rappelait le devoir sabbatique et la soumission à la Loi par une connaissance profonde de ses commandements. C'est à partir de là que chacun pouvait poser les actes dont il était en mesure d'assumer la responsabilité. En parallèle on trouve, à la place, chez Marc une sorte de dicton populaire - Le Sabbat est fait pour l'homme et non pas l'homme pour le Sabbat- ; mais cela n'apporte pas de justification morale à la rupture du Sabbat.


 V - L'homme à la main sèche 

Le raisonnement à fortiori sur le Sabbat a été repris par Mathieu mais dans un autre épisode, celui de l'homme à la main sèche ; il l'a développé par cette phrase: "Combien plus l'homme surpasse la brebis! De la sorte il est permis de faire le bien le Sabbat." 12,12. Dans le même épisode chez Luc ce raisonnement à fortiori ne se trouve pas ; par contre Jésus disait: est-il permis de faire le bien le Sabbat ou de faire le mal? Il se pourrait en effet -puisqu' ils cherchaient comment le perdre, que les Pharisiens assemblés aient décidé alors de l'exclure de la synagogue, car son enseignement qui fait suite détient une allusion à l'exlusion: heureux êtes-vous quand on vous exclue (Lc 6,22). Jésus était entré de nouveau (Lc 6,6D05) dans la synagogue où se tenait habituellement un homme à la main paralysée; ce n'était pas une surprise et son cas se différenciait de l'homme qui avait eu une crise d'hydropisie. En rendant la main saine, il accomplissait un signe à la manière dont Dieu l'avait fait pour Moïse (Ex 4,6-9); à travers la guérison le signe était sensé avertir ou retenir contre le mal que les pharisiens se préparaient à faire à son égard.

VI -La Règle d'Or , lendemain du Sabbat

Le raisonnement a fortiori utilisé par Jésus est la première des 7 règles d'interprétation de la Torah attribuées à Hillel, le rabbin miséricordieux dont on rapporte ceci dans le Talmud au traité sur le Sabbat:

"Un païen va voir Chammaï et lui dit: - Convertis-moi, mais à condition de m'apprendre toute la Torah pendant le temps que je peux rester sur un pied.

Chammaï le chasse en le frappant avec la règle de maçon qu'il avait à la main.

L'homme s'en fut trouver Hillel qui le convertit:

Ne fais pas à ton prochain ce que tu n'aimerais pas qu'il te fasse, voilà toute la Torah, lui dit-il. Le reste n'est que commentaires. Va, et étudie-les. (dans le traité Chabbat [ ]) p.165)

Jésus reprenait ce précepte, un lendemain du sabbat, en l'inversant:

"De la manière dont vous voudriez que les humains agissent envers vous, vous mêmes agissez envers eux" Lc 6:31

Cette règle d'or avait été prononcée le jour qui allait devenir le Jour du Seigneur.