L' ANNONCIATION



L'Annonciation


1 - Le Témoignage d'une Femme

« Voici la servante du Seigneur, qu'il m'advienne selon ta parole.»

Sans que l'Ange Gabriel ne l'ait explicitement sollicité, Marie donnait son consentement. Cette parole en clôture de l'Annonciation, a pris le nom latin de «Fiat».

Dans les développements auxquels l'Annonciation a donné lieu, l'accord de Marie n'a pas toujours été répercuté:
Par réflexe conditionné l'homme ignore, dévalorise ou supprime le consentement féminin. Il est donc clair que celui de l'Annonciation relève de motivations féminines, sans quoi on l'eût retrouvé dans ces différents développements, qui tous, sont l'oeuvre d'auteurs masculins. Même constatation dans les récits de l'Antiquité avec lesquels l'Annonciation a pu être mise en parallèle: l'héroïne est généralement abusée dans son sommeil, trompée par une apparence quant elle ne fait pas l'objet d'un rapt. Un récit mythologique de l'Antiquité fait cas du consentement de la mère: c'est celui d'Hatshepsut, pharaon d'Égypte qui avait forgé l'histoire de sa propre conception humano-divine dans l'union consentie de sa mère au dieu Amon. Or Hatshepsut était une femme.

Il en résulte que l'Annonciation n'a pas été écrite par un homme mais par une femme, Marie. Elle y livre son témoignage.



2 - Le Témoignage d'une Femme Juive


L'ange Gabriel saluait Marie de la part de Dieu par une parole, source de commentaires à l'infini, qui mystérieusement ne tarit pas :

«Réjouis-toi, plénitude de grâce, le Seigneur avec toi!»

L'auteur de l'évangile avait su traduire avec le vocabulaire grec de la Septante des notions spécifiques de la bible hébraïque :

Le Nom divin, bien qu'écrit sur les rouleaux de la Torah, ne se prononce pas; pour qu'il n'en soit fait mauvais usage à travers une malédiction, les Israélites ne l'ont jamais sur les lèvres, même aucours de la liturgie. A notre époque encore, à la synagogue, celui qui est désigné pour faire la lecture à haute voix, lorsqu'il rencontre le tétragramme dans un passage biblique, lui substitue oralement le nom «Adonaï», qui se traduit par «Seigneur». Cet usage s'impose à celui qui ne veut pas enfreindre le quatrième commandement de la Loi énoncé habituellement sous la forme :
«Tu ne prononceras pas en vain le Nom du Seigneur ton Dieu».
Le vocabulaire autorise cette autre traduction:
«Tu n'usurperas pas le Nom du Seigneur ton Dieu en vue de la destruction ". » Il était expressément demandé de ne pas prendre, de ne pas ravir pour soi l'usage du Nom divin comme s'il avait détenu des pouvoirs magiques.

Tétragramme en Hébreu en Paleo-Hebreu et en Grec (IAW) . L'inscription avec le tétragramme sur la grenade (remontant au temple de Salomon) était l'oeuvre d'un faussaire.


À l'origine, il s'agissait de ne pas associer le Nom divin à des desseins maléfiques, et l'hébreu lachavé signifie littéralement «en vue de la, désolation», ou «en vue de la ruine» (de là le terme Shoah issu de cette racine). Pour éviter le malentendu, on en vint peu à peu à renoncer à la prononciation même du tétragramme dans les assemblées liturgiques.


Le précepte divin exigeait que le Nom ne soit pas associé à un dessein maléfique ; c'est pourquoi sa vocalisation fut d'abord réservée aux prêtres, puis au seul grand prêtre, et interdite dans le peuple ; la crainte qui s'y attachait était donc bien compréhensible, d'autant que la transgression rendait passible de la peine de mort. Mais l'ange Gabriel, en venant de la part de Dieu, dans la force et la puisssance de sa parole, n'aurait-il pu, quant à lui, prononcer le Nom ineffable ? Ne détenait-il pas l'autorité correspondant au message qu'il venait délivrer ?

«Elle, alors, sur la parole, fut bouleversée, et elle se demandait en elle-même d'où était cette salutation. »

Marie ressentit tout d'abord une émotion très vive. Le texte met bien en évidence que ce ne fut pas la vision de Gabriel qui la provoqua, mais la parole qu'il prononça. Marie ne fut pas déconcertée par l'irruption d'un messager, mais les mots de salutation eurent sur elle un effet dont l'explication reste incertaine. Le père de Jean-Baptiste, Zacharie, avait été bel et bien troublé par l'apparition de l'ange quand il se présenta à lui et se nomma dans le Temple à Jérusalem.
Par contre en entrant chez Marie, l'Ange Gabriel empruntait une voie normale, comme s'il avait été convié à entrer, et son apparence extérieure pouvait être familière et ne comporter aucun élément surnaturel. Il n'est pas dit qu'il soit «apparu» à Marie comme cela était dit de sa manifestation devant Zacharie. Son apparence n'était pas déroutante, cependant ses paroles causèrent en elle un trouble fort
. L'ange en fut témoin, puisqu'il chercha à la rassurer par des paroles propres à créer un climat confiant, joyeux, serein : «Tu as trouvé grâce auprès Dieu. » Par ces mots, il reprenait la parole de Dieu à Moïse :
« Tu as trouvé grâce a mes yeux et je te connais par ton nom.» Cela se passait dans un dialogue familier, fait de proximité et de confiance. Marie , à l'image de Moïse, était connue elle aussi de Dieu sous un nom propre, «plénitude de grâce»; elle se voyait invitée à une communion à son Seigneur; et c'est peut-être là l'origine de son bouleversement. Elle n'avait montré ni étonnement ni crainte à l'entrée de l'ange, comment se fait-il qu'elle ait été retournée par ses paroles? S'il lui dit: «Ne crains pas», c'est parce qu'elle avait ressenti inquiétude ou effroi.
Elle se demandait littéralement « d'où était cette salutation » , c'est-à-dire de quel pays, de quelle origine . Marie tentait de discerner la provenance des paroles qui lui étaient adressées : venaient-elles du « ciel » ou de la « terre » ? Il n'est pas dit qu'elle réfléchissait au sens de la salutation, mais qu'elle débattait en elle même sur son origine. Luc en 1,29 a employé le verbe dialogizomai qui signifie calculer, discuter en soi-même, débattre, distinguer par la réflexion.
La prononciation « YHWH avec toi!» n'aurait-elle pas été à l'origine de son trouble si, l'ange Gabriel, dans sa salutation adressée en Hébreu, avait vocalisé le tétragramme saint? Elle aurait été alors saisie d'une «crainte révérencielle » ; la dérogation à la pratique cultuelle pouvait l'avoir plongée dans une réflexion presque inquiète. La vocalisation du tétragramme rendrait ainsi compte de sa réaction bouleversée.

La spiritualité du Nom se rattache à la Shékhina, ou la présence de Dieu dans le Temple ; elle s'est communiquée aux Chrétiens par la prière adressée au Père que le Christ laissa à ses disciples: «Père, que ton Nom soit sanctifié.»

3 - Le tétragramme dans la Torah

Lors de la naissance d'Enoch - nom qui signifie l'humain - il était dit:
«on commença dès lors à invoquer le Nom YHWH.»
Un lien s'établissait entre l'aptitude des humains à recevoir le nom d'homme et l'invocation de Dieu sous son Nom Saint. Dans la mesure où l'humanité, quittant la bestialité et l'inhumanité, prenait visage d'homme, elle se rendait capable d'atteindre Dieu et de se faire entendre de Lui; son Nom alors pouvait être invoqué sur eux (le sujet de l'action n'est pas indiqué dans le texte)

D'Abraham il était dit:
«II éleva un autel pour YHWH et invoqua le nom YHWH.»
Cela se passait vers Béthel, ce lieu où Jacob reçut plus tard dans un songe la vision d'une échelle, avec cette parole: «Moi, YHWH, Dieu de ton père Abraham et le Dieu d'Isaac...Moi avec toi je te garderai partout où tu iras. » Jacob était visité par Dieu ; cela se passait non point directement, mais à travers un songe.
Le tétragramme aurait été connu très tôt, mais les textes, bien souvent elliptiques, ne permettent pas de saisir la signification que les patriarches lui accordaient à moins que son insertion dans le livre de la Génèse ne soit à imputer aux rédacteurs ultimes..


LE BUISSON ARDENT

Le Seigneur, en s'adressant à Moïse depuis le buisson en feu, exprimait son ardent désir de soustraire le peuple hébreu à la main des Egyptiens. Il ajoutait:
«Maintenant va, je t'enverrai auprès de Pharaon et tu feras sortir d'Egypte mon peuple, les enfants d'Israël. »

A cela Moïse rétorquait abruptement :
« Qui [suis-je] moi, pour aller vers Pharaon et pour faire sortir d'Egypte les enfants d'Israël?»
Moïse se trouvait dans la nécessité de savoir qui il était aux yeux Dieu pour assumer un tel rôle. Le Seigneur lui répondit : «Je serai avec toi. » Un nom nouveau donné pour sa mission. La beauté de Moïse, sa force spirituelle lui venaient de l'intensité de la présence de Dieu Qu'était-il sans elle ? Fort peu de choses au regard au rôle qui lui était confié.

Fortifié et plus confiant, Moïse poursuivait le dialogue en demandant à Dieu qui il était, Lui. Le Seigneur lui répondait par une expn
sion que nos langues ont infiniment de mal à rendre dans la ton
verbale «inaccomplie» du verbe être: «Je serai qui Je serai», ou encore :
«Je suis qui Je suis.»

Dieu se serait-il révélé à Moïse dans la plénitude ou bien d'une manière seulement partielle? Certes le Seigneur lui parlait bouche à bouche, lui permettant de voir une forme de lui-même, mais une forme seulement. Moïse s'était approché du divin autant qu'un
humain puisse le faire, et dans leur dialogue le Seigneur explicitait le sens de son Nom, dévoilant la dimension sainte non formulée jusque-là. Il s'exprimait dans la langue de Moïse, utilisant la forme verbale à l'inaccompli, comme pour laisser l'avenir ouvert, et les traducteurs qui deux cents ans avant notre ère rédigèrent la Septante optèrent pour le présent comme expression de la plénitude.

Cette expérience de Moïse a laissé son empreinte dans la spiritualité d'Israël; auparavant le tétragramme était peut-être connu des patriarches, mais il ne lui était pas accordé la même signification spirituelle


4 - Les paroles de Marie et le récit de la Génèse


L ' ÊTRE ET LE TEMPS

Dans le consemement clôturant 1'Annonciation, Luc a utilisé le
verbe grec courant, gignomai. Il donnait une traduction du verbe être, en hebreu haya. A. travers 1'emploi du verbe être, dans la question «Comment cela SERA-t-il» puis dans sa réponse, «Qu'il m' ADVIENNE selon ta parole» Marie manifestait de qu'elle saisissait intimement la portée de 1'annonce qui lui était faite.

L'hébreu et le grec n'ignorent pas que l'être soumis au temps "devient". Cependant, le grec seul 1e manifeste en remplaçant a certains temps le verbe être par devenir. II revenait aux traducteurs de la Septante de connaître ces nuances pour faire sentir dans le grec ce que1'hébreu détenait implicitement. Ainsi, dans le recit de la Création, au chapitre 1 de la Génèse, ils maintinrent en grec au premier verset le verbe Être:
«Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre; la terre était informe et vide.»
La terre était toujours dans la «pensée de la Création"»; elle n' était encore que tohu-bohu. II ne convenait pas d'écrire: la terre advint informe et vide, mais de conserver le passé, était; la terre n'était pas encore “advenue” ; elle demeurait comme cachée en Dieu.
Mais a partir des versets 3 a 31, ils optèrent en grec pour advenir la
ou l'hébreu comportait le verbe être tant au passé qu'à 1'inaccompli:

«Et Dieu dit: Que la lumière advienne! et la lumière advint...
advint un soir, advint un matin, jour ...»

L'emploi du verbe gignomai dans le premier membre de la phrase s'offrait comme une possibilité, non comme une nécessité grammaticale ; on ne créait pas un concept nouveau, mais on se contentait de mettre en lumière ce qui était implicite en hébreu (puisque dans cette langue être signifie aussi devenir). Ainsi l'emploi par la Septante du verbe devenir, advenir, n'était pas neutre; il prenait à partir du récit de Genèse uneconnotation biblique précise : au moment où Dieu se faisait connaître par sa parole, le monde qui jusque-là était tohu-bohu venait à la lumière et advenait.

Notons encore que gignomai disparaissait aux chapitres 2 et 3, pour reparaître au chapitre 4 en un moment extrêmement sensible :
« Caïn dit à Abel... ; et il advint lorsqu'ils furent dans la plaine que Caïn se
dressa contre Abel son frère et le tua. »
Pour la première fois dans le texte biblique un humain s'adressait directement à un autre humain: Caïn dit à Abel.
Jusque-là, Dieu avait parlé, Adam et Eve lui avaient répondu, Eve avait parlé avec le serpent, mais aucun dialogue entre des humains n'avait encore été rapporté. Puis la Bible nous montrait avec Caïn et Abel deux égaux, deux frères: la parole échangée entre eux
amenait un pouvoir destructeur sur le créé. Cette intervention de la parole, cette fois-ci a contrario, était signalée également par le verbe gignomai.


5 - Les Paroles de Marie et le Prologue de Jean

Jean, dans son prologue calqué sur le chapitre 1 de Genèse, rappelait étonnamment ses nuances :

«Au. commencement était la Parole...et la Parole était Dieu...
Tout advint par elle...
Etait la lumière la véritable qui illumine tout humain venant dans le monde;
dans le monde elle était et le monde par elle advint...
et la Parole devint chair.»

Les traducteurs ont généralement opté pour «tout fut», ou encore «tout a été fait», «tout fut créé», «et le Verbe s'est fait chair» là où le grec a «advenir»... Jean n'était pas tenu par gignomai, mais il y avait de sa part, en même temps que le souci de la forme grammaticale, une attention prêtée au devenir, celui de l'être entrant dans le temps. Dans les premières phrases de son prologue, il inscrivit le verbe être à l'imparfait pour parler de la Parole subsistant en Dieu avant qu'elle ne se manifeste au monde ; puis il utilisa gignomai alors que sous l'égide de cette même Parole la création prenait forme et advenait; puis, entrant dans le monde, la Parole se soumettait à son mode, jusqu'à devenir chair. Jean adoptait l'explicitation que la LXX donnait du texte hébreu sur le verbe être ; visiblement il se référait à elle.

Luc, qui puisait au vocabulaire de la Septante, forcément, n'en ignorait pas les règles lorsqu'il traduisait les deux réponses que Marie avait formulées dans sa langue ; le verbe être était dans la question initiale: «Comment cela sera puisque je ne connais pas d'homme?»

Apparemment, cela n'était pas encore. L'annonce venait d'être faite, et Marie, interrogeant le messager, exprimait la certitude que cela allait être. A l'inverse, Zacharie, à l'annonce de la conception future de son fils, avait signifié son doute et son étonnement:
«Selon quoi connaîtrai-je cela? car je suis vieux...»; avec le verbe connaître il se situait sur le seul plan des relations charnelles et semblait oublier l'origine de l'être.

Dans le consentement de Marie, Luc se servit de gignomai, advenir. Il n'y était pas contraint dans la mesure où le verbe être, eimi, était attesté en grec à l'impératif ou à l'optatif. Aussi, en prenant appui sur la Septante et sur Jean, on peut légitimement penser que Luc donnait la traduction d'une phrase hébraïque où se trouvait le verbe être, mais avec le sens du devenir :
« Qu'il advienne a moi selon ta parole!»
Luc sut saisir ce moment où ce qui est de l'ordre du possible advient, cet instant où l'Être entrant dans le temps devient.

6 - Les Paroles de Marie et les Lettres de Paul

Paul dans ses écrits, est venu appuyer l'éclairage que Luc transmettait par son choix scripturaire ; il écrivait dans sa lettre aux Galates :

«Dieu envoya son Fils advenu d'une femme, advenu sous la Loi.»
Et dans la lettre aux Romains:
«Le Fils advenu de la semence de David selon la chair .»

Gignomai signifie aussi naître; et ce second sens serait plus naturel dans la formulation paulinienne; cependant, lorsqu'il s'agit d'une naissance par engendrement humain, les auteurs du Nouveau Testament ont employé pratiquement toujours le verbe engendrer et ses dérivés. Paul a donc pu écrire les deux versets précités en référence au consentement de Marie:
« Qu'advienne a moi selon ta parole»
Le premier notamment détenait une allusion significative à la conception virginale. En évitant le verbe engendrer, Paul trouvait là une manière de situer la naissance du Christ hors des schémas humains habituels.

En définitive, les deux réponses que Marie adressa à son interlocuteur étaient d'autant plus considérables qu'elles furent succinctes. Elles comportaient à dessein le verbe être. En l'utilisant dans la langue hébraïque à deux reprises. Marie offrait une répartie discrète mais très circonstanciée au Nom divin, à l'Être, YHWH, rendu présent dans les paroles de Gabriel. Elle le prononça une première fois à l'inaccompli, dans la certitude que cela serait ; la traduction très nuancée de Luc, renforcée par les choix scripturaires de Jean et de Paul, atteste l'intelligence que l'évangéliste avait du témoignage qu'il retranscriivait. Tous trois ont apposé leur sceau au témoignage de Marie, avec clairvoyance et tact.


«La Vierge n'a pas été un instrument passif dont Dieu se serait servi par surprise ou même par contrainte; elle a reçu un message et elle y a répondu librement en toute connaissance de cause et en toute lumière de grâce. L'auteur de l'évangile entend donc enseigner que Marie a saisi de façon enveloppée mais réelle l'objet du message, et donc l'identification de Jésus à YHWH qui s'y trouve insinuée. Pour s'écarter de cette conclusion obvie, il faudrait des raisons sérieuses en sens contraire.» R. Laurentin, Les évangiles de l'enfance.

De ce qu'elle était appelée à vivre, Marie avait une connaissance non seulement intuitive mais clairement réfléchie; pour s'en assurer il y a un argument essentiel qu'il serait préjudiciable d'omettre ; il s'agit du verset sur la circoncision de Jésus : au huitième jour après sa naissance, l'enfant devait être appelé de son nom ; le codex de Bèze présente une insistance ou une redondance «Il fut nomme de son nom Jésus» qui peut s'expliciter en rapport avec la LXX.

7 - «Avec toi!»

En accompagnant le Nom divin de ces mots «avec toi», l'ange certifiait à Marie que la volonté du Seigneur était d'être avec elle, d'agir avec elle et non point sans elle. Cette présence de Dieu ne se manifestait pas seulement sur elle ou en elle, mais avec elle, et c'est avec elle,Marie, que le Sauveur se donnait au monde; aussi l'expression « YHWH avec toi» illumine son rôle dans le mystère du Salut auquel elle participe en son corps et en son âme. «Je Suis avec toi!», pourrions-nous comprendre, le Seigneur se situant dans une proximité essentielle avec celle qu'il avait choisie. C'est pourquoi elle put s'unir à la Vie avec une pleine conscience et un grand désir.

Le texte évangélique dénote une insistance particulière, quatre fois reprise, sur la réalité humaine de l'Incarnation :

«Tu concevras en ton sein, et tu enfanteras un fils...
L'Enfant qui naîtra de toi...
Le fruit de ton sein est béni...
Avant qu'il soit conçu dans le sein de sa mère . »

Marie conçut dans sa chair. L'intelligence qu'elle avait de la vie venait à la rencontre des paroles de l'ange Gabriel, d'autant qu'en monde biblique on ne sous-estimait pas la puissance procréatrice féminine', l'appartenance au peuple élu étant acquise de la mère.

Dans la Grèce antique, la femme était considérée comme nourricière (Hippocrate), sans
pouvoir réel d'engendrement. Aristote lui reconnaissait le rôle de « génitrice », mais non sans établir la distinction suivante:
Comme principes de la génération, on pourrait à juste titre poser le mâle et la femelle, le mâle comme possédant le principe moteur et générateur, la femelle le principe matériel. » Aristote, La Génération des animaux, 716 a 5.

Ce qui fera dire à Thomas d'Aquin : « La semence de la femme n 'est pas apte à la génération ; c'est une semence imparfaite et qui le demeure en raison de ['insuffisance de la puissance féminine... C'est pourquoi il n'y en eut pas dans la conception du Christ» (Q 31-5 s 3). « Or la Bienheureuse Vierge Marie n'ayant produit aucune semence à cause de sa parfaite virginité...»(Q 33-4R).

Au milieu du XIXème siècle, les recherches en France de Prévost et Dumas parallèlement à celles du fondateur de l'embryologie, Van Baer, révélaient le processus de l'ovulation féminine. Le Pr. G. Lejeune inversait carrément la pensée d'Aristote: «Nous savons par ['observation chez l'homme qu'il existe bien une empreinte portée par le spermatozoïde et différente de l'empreinte portée par l'ovule. C'est avec admiration... que nous avons découvert... que la tache paternelle était la construction de l'abri (les membranes) et la
recherche de la nourriture (par le placenta), tandis que la tâche féminine était la fourniture des éléments permettant à ['individu de se construire lui même. » L'Enceinte concentrationnaire,
Paris, 1990, p. 37.



8 - « Tu es bénie parmi les femmes»
Selon un certain nombre de manuscrits, l'ange aurait ajouté «tu es bénie parmi les femmes», une allocution reprise par Elisabeth et qui reçut des traductions diverses : la bénédiction l'atteignait en tant que femme, au milieu d'elles, pour rejaillir sur elles toutes: «Tu es bénie parmi les femmes. »
On comprit aussi que Marie avait été bénie plus que toutes les femmes ; Elisabeth saluait sa parente avec les mots de l'ange Gabriel et nommait Marie mère de son Seigneur. Cette intelligence spirituelle manifestait qu'Elisabeth n'avait pas été moins favorisée que Zacharie dans sa proximité avec le divin.


9 - «Puisque je ne connais pas d'homme»
La répartie de Marie après sa question «comment cela SERA-t-il?» était une objection: «puisque je ne connais pas d'homme».
Et celle-ci se comprend de plusieurs manières:
- Le codex Bezae laissait entendre que
Marie n'était que promise et pas encore fiancée officiellement. Toute jeune Marie était peut-être à peine pubère ; sa répartie pourrait alors vouloir dire: je n'ai pas encore de relations sexuelles pour cette raison là. Dans sa parole à Jésus, la seule qui nous ait été transmise elle lui disait en parlant de Joseph:
« ton père et moi te cherchions angoissés».

Ou bien Marie faisait part d'un voeu: J'ai fait le voeu de ne pas voir de relatons sexuelles.
Le chapitre 30 du Livre des Nombres résume les voeux d'abstinence que pouvaient faire l'homme et la femme. Le traité du Talmud Nedarim qui en est le développement montre que les voeux de chasteté étaient inclus dans ces voeux d'abstinence.
Quand elle mit au monde son fils premier-né, Marie était passée de l'état d'une jeune promise à celui de fiancée officielle de Joseph; Luc ne disait pas qu'elle était mariée; au chapitre trois en écrivant que Jésus était considéré dans l'entourage comme Fils de Joseph, il laissait entendre
, en même temps, qu'il pouvait ne pas l'être; en effet son identité profonde était énoncée dans les chapitres précédents et suivants, en rapport avec le Nom divin.

Le témoignage de Marie suggère que Celui qui s'est incarné «avec elle» était non moins conscient qu'elle, de ce qu'il vivait.
Sa conception n'a pas relevé de l'hasardeuse rencontre de gamètes; elle fut intentionnelle, de sa part comme de celle «avec laquelle» il venait au monde. Entrant dans la vie humaine pour devenir homme, le Christ était pleinement conscient. Il n'y avait pas de retard, pas d'appel progressif à la conscience comme cela se produit pour chacun de nous qui accédons à la conscience par étapes.

Jésus n'a vécu passivement ni sa conception ni sa naissance.
Ni même sa mort.
Bien que les hommes lui aient fait subir l'ignominie de la crucifixion, il fit de sa mort un acte de vie, intentionnel et conscient, en disant dans un grand cri:
«Père en tes mains je dépose mon esprit»


Conclusion



Le dialogue de l'Annonciation échangé entre l'ange Gabriel et Marie, si prégnant dans la langue grecque, se laisse découvrir dans la plénitude de sa signification par le retour à la langue liturgique du Sanctuaire.
La signification profonde n'est pas démonstrative; elle est cachée et se laisse atteindre à travers une recherche patiente. Elle ne s'origine pas dans la pensée de Luc mais dans le témoignage de la protagoniste.




Sylvie Chabert d'Hyères