L' ANNONCIATION
L'Annonciation
- Le Témoignage d'une femme,
- Le Témoignage d'une femme Juive
- Le Tétragramme dans la Torah
- Les Paroles de Marie et le récit de la Génèse
- Les Paroles de Marie et le Prologue de Jean
- Les Paroles de Marie et les épîtres de Paul
- «Avec Toi !»
- « Tu es bénie parmi des femmes »
- «Comment cela serat-il puisque je ne connais pas d'homme»
1 - Le Témoignage d'une Femme
« Voici la servante
du Seigneur, qu'il m'advienne selon ta parole.»
Sans que l'Ange Gabriel ne l'ait explicitement sollicité, Marie donnait
son consentement. Cette parole en clôture de l'Annonciation, a pris le
nom latin de «Fiat».
Dans les développements auxquels l'Annonciation a donné lieu, l'accord
de Marie n'a pas toujours été répercuté:
- L' évangéliste Matthieu l'a ignoré.
- Dans la prière liturgique de l'Angelus le consentement n'est plus
qu'une ratification : il est énoncé après que Marie ait été dite
avoir conçu du Saint Esprit.
- Il n'est pas dans la prière du Rosaire.
- La Théologie ayant considéré le «Fiat» sous l'angle d'une
“obéissance inconditionnelle” l'initiative personnelle consentie à
Marie en a été minorée.
- Dans le Coran où le
consentement n'avait pas sa place, l'épisode s'achève ainsi:
«C'est ainsi. Ton Seigneur a dit: "Cela m'est facile". Nous
ferons de lui un Signe pour les hommes ; une miséricorde venue
de Nous. Le décret est irrévocable. » (Sourate. 19,
17b-21).
Par réflexe conditionné l'homme ignore, dévalorise ou supprime le
consentement féminin. Il est donc clair que celui de l'Annonciation
relève de motivations féminines, sans quoi on l'eût retrouvé dans ces
différents développements, qui tous, sont l'oeuvre d'auteurs masculins.
Même constatation dans les récits de l'Antiquité avec lesquels
l'Annonciation a pu être mise en parallèle: l'héroïne est généralement
abusée dans son sommeil, trompée par une apparence quant elle ne fait
pas l'objet d'un rapt.
Un récit mythologique de l'Antiquité fait cas du consentement de la
mère: c'est celui d'Hatshepsut, pharaon d'Égypte qui
avait forgé l'histoire de sa propre conception humano-divine dans
l'union consentie de sa mère au dieu Amon. Or Hatshepsut était une
femme.
Il en résulte que l'Annonciation n'a pas été écrite par un homme mais
par une femme, Marie. Elle y livre son témoignage.
2 - Le Témoignage d'une Femme Juive
L'ange Gabriel saluait Marie de la part de Dieu par une parole, source
de commentaires à l'infini, qui mystérieusement ne tarit pas :
«Réjouis-toi, plénitude de grâce, le Seigneur avec
toi!»
L'auteur de l'évangile avait su traduire avec le vocabulaire grec de
la Septante des notions spécifiques de la bible hébraïque :
- - «Réjouis-toi
!'» C'était là l'invitation faite à la fille de Sion par
le prophète Zacharie.
- «Plénitude de grâce». Ce qualificatif
était déjà dans le livre de Ben Sirach qui magnifiait l'homme
sachant allier une parole de bénédiction au cadeau qu'il faisait à
autrui, comme expression de la gratuité de l'amour. Par ce moyen,
Luc, quant à lui, rendrait compte d'un don particulier consenti à
Marie.
- «Le Seigneur avec toi
!» était la bénédiction accompagnant les grandes
théophanies bibliques. Lorsqu'il la lit en hébreu (moderne),
le lecteur se trouve confronté à la prononciation du nom «
Seigneur », car il a sous les yeux le Nom de Dieu dans la forme du
tétragramme : «
YHWH». Quelle
prononciation doit-il adopter?
Le Nom divin, bien qu'écrit sur les rouleaux de la Torah, ne se prononce
pas; pour qu'il n'en soit fait mauvais usage à travers une malédiction,
les Israélites ne l'ont jamais sur les lèvres, même aucours de la
liturgie. A notre époque encore, à la synagogue, celui qui est désigné
pour faire la lecture à haute voix, lorsqu'il rencontre le tétragramme
dans un passage biblique, lui substitue oralement le nom «Adonaï», qui
se traduit par «Seigneur». Cet usage s'impose à celui qui ne veut pas
enfreindre le quatrième commandement de la Loi énoncé habituellement
sous la forme :
«Tu ne prononceras pas en vain le Nom du Seigneur
ton Dieu».
Le vocabulaire autorise cette autre traduction:
«Tu n'usurperas pas le Nom du Seigneur ton Dieu en vue
de la destruction ". » Il
était expressément demandé de ne pas prendre, de ne pas ravir pour
soi l'usage du Nom divin comme s'il avait détenu des pouvoirs
magiques.
Tétragramme en Hébreu en Paleo-Hebreu et en Grec (IAW) .
L'inscription avec le tétragramme sur la grenade (remontant au
temple de Salomon) était l'oeuvre d'un faussaire.
À l'origine, il s'agissait de ne pas associer le Nom divin à des
desseins maléfiques, et l'hébreu lachavé
signifie littéralement «en vue de la, désolation», ou «en vue de la
ruine» (de là le terme Shoah issu de cette racine). Pour éviter le
malentendu, on en vint peu à peu à renoncer à la prononciation même du
tétragramme dans les assemblées liturgiques.
Le précepte divin exigeait que le
Nom ne soit pas associé à un dessein
maléfique ; c'est pourquoi sa vocalisation fut d'abord réservée aux
prêtres, puis au seul grand prêtre, et interdite dans le peuple ; la
crainte qui s'y attachait
était donc bien compréhensible, d'autant que la transgression
rendait passible de la peine de mort.
Mais l'ange Gabriel, en venant de
la part de Dieu, dans la force et la puisssance de sa parole,
n'aurait-il pu, quant à lui, prononcer le Nom ineffable ? Ne
détenait-il pas l'autorité correspondant au message qu'il venait
délivrer ?
«Elle, alors, sur la parole, fut bouleversée, et
elle se demandait en elle-même d'où était cette salutation. »
Marie ressentit tout d'abord une émotion très vive. Le texte met
bien en évidence que ce ne fut pas la vision de Gabriel qui la
provoqua, mais la parole qu'il prononça. Marie ne fut pas
déconcertée par l'irruption d'un messager, mais les mots de
salutation eurent sur elle un effet dont l'explication reste
incertaine. Le père de Jean-Baptiste, Zacharie, avait été bel et
bien troublé par l'apparition de l'ange quand il se présenta à lui
et se nomma dans le Temple à Jérusalem.
Par contre en entrant chez Marie, l'Ange Gabriel empruntait une voie
normale, comme s'il avait été convié à entrer, et son apparence
extérieure pouvait être familière et ne comporter aucun élément
surnaturel. Il n'est pas dit qu'il soit «apparu» à Marie comme cela
était dit de sa manifestation devant Zacharie. Son apparence n'était
pas déroutante, cependant ses paroles causèrent en elle un trouble
fort. L'ange en fut
témoin, puisqu'il chercha à la rassurer par des paroles propres à
créer un climat confiant, joyeux, serein : «Tu as
trouvé grâce auprès Dieu. » Par ces mots, il reprenait la
parole de Dieu à Moïse :
« Tu as trouvé grâce a mes yeux et je te connais
par ton nom.» Cela se passait dans un dialogue familier,
fait de proximité et de confiance. Marie , à l'image de Moïse, était
connue elle aussi de Dieu sous un nom propre, «plénitude de grâce»;
elle se voyait invitée à une communion à son Seigneur; et c'est
peut-être là l'origine de son bouleversement. Elle n'avait montré ni
étonnement ni crainte à l'entrée de l'ange, comment se fait-il
qu'elle ait été retournée par ses paroles? S'il lui dit: «Ne crains
pas», c'est parce qu'elle avait ressenti inquiétude ou effroi.
Elle
se
demandait littéralement « d'où était cette
salutation » , c'est-à-dire de quel pays, de quelle origine
. Marie tentait de discerner la provenance des paroles qui lui
étaient adressées : venaient-elles du « ciel » ou de la « terre » ?
Il n'est pas dit qu'elle réfléchissait au sens de la salutation,
mais qu'elle débattait en elle même sur son origine.
Luc en 1,29 a employé le verbe dialogizomai
qui signifie calculer, discuter en soi-même, débattre, distinguer
par la réflexion.
La prononciation « YHWH avec toi!» n'aurait-elle pas été à l'origine
de son trouble si, l'ange Gabriel, dans sa salutation adressée en
Hébreu, avait vocalisé le tétragramme saint? Elle aurait été alors
saisie d'une «crainte révérencielle » ; la dérogation à la pratique
cultuelle pouvait l'avoir plongée dans une réflexion presque
inquiète. La vocalisation du tétragramme rendrait ainsi compte de sa
réaction bouleversée.
La spiritualité du Nom se rattache à la Shékhina, ou la présence de
Dieu dans le Temple ; elle s'est communiquée aux Chrétiens par la
prière adressée au Père que le Christ laissa à ses disciples: «Père,
que ton Nom soit sanctifié.»
3 - Le tétragramme dans la Torah
Lors de la naissance d'Enoch - nom qui signifie l'humain - il était
dit:
«on commença dès lors à invoquer le Nom YHWH.»
Un lien s'établissait entre l'aptitude des humains à recevoir le nom
d'homme et l'invocation de Dieu sous son Nom Saint. Dans la mesure
où l'humanité, quittant la bestialité et l'inhumanité, prenait
visage d'homme, elle se rendait capable d'atteindre Dieu et de se
faire entendre de Lui; son Nom alors pouvait être invoqué sur eux
(le sujet de l'action n'est pas indiqué dans le texte)
D'Abraham il était dit:
«II éleva un autel pour YHWH et invoqua le nom YHWH.»
Cela se passait vers Béthel, ce lieu où Jacob reçut plus tard dans
un songe la vision d'une échelle, avec cette parole: «Moi,
YHWH, Dieu de ton père Abraham et le Dieu d'Isaac...Moi avec toi
je te garderai partout où tu iras. » Jacob était visité
par Dieu ; cela se passait non point directement, mais à travers un
songe.
Le tétragramme aurait été connu très tôt, mais les textes, bien
souvent elliptiques, ne permettent pas de saisir la signification
que les patriarches lui accordaient à moins que son insertion dans
le livre de la Génèse ne soit à imputer aux rédacteurs ultimes..
LE BUISSON ARDENT
Le Seigneur, en s'adressant à Moïse depuis le buisson en feu,
exprimait son ardent désir de soustraire le peuple hébreu à la main
des Egyptiens. Il ajoutait:
«Maintenant va, je t'enverrai auprès de Pharaon et
tu feras sortir d'Egypte mon peuple, les enfants d'Israël. »
A cela Moïse rétorquait abruptement :
« Qui [suis-je] moi, pour aller vers Pharaon et
pour faire sortir d'Egypte les enfants
d'Israël?»
Moïse se trouvait dans la nécessité de savoir qui il était aux yeux
Dieu pour assumer un tel rôle. Le Seigneur lui répondit : «Je
serai avec toi. » Un nom nouveau donné pour sa mission. La
beauté de Moïse, sa force spirituelle lui venaient de l'intensité de
la présence de Dieu Qu'était-il sans elle ? Fort peu de choses au
regard au rôle qui lui était confié.
Fortifié
et plus confiant, Moïse poursuivait le dialogue en demandant à Dieu
qui il était, Lui. Le Seigneur lui répondait par une expn
sion que nos langues ont infiniment de mal à rendre dans la ton
verbale «inaccomplie» du verbe être: «Je serai qui Je serai», ou
encore :
«Je suis qui Je suis.»
Dieu se serait-il révélé à Moïse dans la plénitude ou bien d'une
manière seulement partielle? Certes le Seigneur lui parlait bouche à
bouche, lui permettant de voir une forme de lui-même, mais une forme
seulement. Moïse s'était approché du divin autant qu'un
humain puisse le faire, et dans leur dialogue le Seigneur
explicitait le sens de son Nom, dévoilant la dimension sainte non
formulée jusque-là. Il s'exprimait dans la langue de Moïse,
utilisant la forme verbale à l'inaccompli, comme pour laisser
l'avenir ouvert, et les traducteurs qui deux cents ans avant notre
ère rédigèrent la Septante optèrent pour le présent comme expression
de la plénitude.
Cette expérience de Moïse a laissé son empreinte dans la
spiritualité d'Israël; auparavant le tétragramme était peut-être
connu des patriarches, mais il ne lui était pas accordé la même
signification spirituelle
4 - Les paroles de Marie et le récit de la Génèse
L ' ÊTRE ET LE TEMPS
Dans le consemement clôturant 1'Annonciation, Luc a utilisé le
verbe grec courant, gignomai.
Il donnait une traduction du verbe être, en hebreu haya. A. travers
1'emploi du verbe être, dans la question «Comment
cela SERA-t-il» puis dans sa réponse, «Qu'il
m' ADVIENNE selon ta parole» Marie manifestait de qu'elle
saisissait intimement la portée de 1'annonce qui lui était faite.
L'hébreu et le grec n'ignorent pas que l'être soumis au temps
"devient". Cependant, le grec seul 1e manifeste en remplaçant a
certains temps le verbe être par devenir. II revenait aux
traducteurs de la Septante de connaître ces nuances pour faire
sentir dans le grec ce que1'hébreu détenait implicitement. Ainsi,
dans le recit de la Création, au chapitre 1 de la Génèse, ils
maintinrent en grec au premier verset le verbe Être:
«Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre;
la terre était informe et vide.»
La terre était toujours dans la «pensée de la Création"»; elle n'
était encore que tohu-bohu. II ne convenait pas d'écrire: la
terre advint informe et vide, mais de conserver le passé,
était; la terre n'était pas encore “advenue” ; elle demeurait comme
cachée en Dieu.
Mais a partir des versets 3 a 31, ils optèrent en grec pour advenir
la
ou l'hébreu comportait le verbe être tant au passé qu'à
1'inaccompli:
«Et Dieu dit: Que la lumière advienne! et la
lumière advint...
advint un soir, advint un matin, jour ...»
L'emploi du verbe gignomai dans le premier membre de la phrase
s'offrait comme une possibilité, non comme une nécessité
grammaticale ; on ne créait pas un concept nouveau, mais on se
contentait de mettre en lumière ce qui était implicite en hébreu
(puisque dans cette langue être signifie aussi devenir). Ainsi
l'emploi par la Septante du verbe devenir,
advenir, n'était pas neutre; il prenait à partir du récit
de Genèse uneconnotation biblique précise : au moment où Dieu se
faisait connaître par sa parole, le monde qui jusque-là était
tohu-bohu venait à la lumière et advenait.
Notons encore que gignomai disparaissait
aux chapitres 2 et 3, pour reparaître au chapitre 4 en un moment
extrêmement sensible :
« Caïn dit à Abel... ; et il advint lorsqu'ils
furent dans la plaine que Caïn se
dressa contre Abel son frère et le tua. »
Pour la première fois dans le texte biblique un humain s'adressait
directement à un autre humain: Caïn dit à Abel.
Jusque-là, Dieu avait parlé, Adam et Eve lui avaient répondu, Eve
avait parlé avec le serpent, mais aucun dialogue entre des humains
n'avait encore été rapporté. Puis la Bible nous montrait avec Caïn
et Abel deux égaux, deux frères: la parole échangée entre eux
amenait un pouvoir destructeur sur le créé. Cette intervention de la
parole, cette fois-ci a contrario, était signalée également par le
verbe gignomai.
5 - Les Paroles de Marie et le Prologue de Jean
Jean, dans son prologue calqué sur le chapitre 1 de Genèse,
rappelait étonnamment ses nuances :
«Au. commencement était la Parole...et la Parole
était Dieu...
Tout advint par elle...
Etait la lumière la véritable qui illumine tout
humain venant dans le monde;
dans le monde elle était et le monde par elle
advint...
et la Parole devint chair.»
Les traducteurs ont généralement opté pour «tout fut», ou encore
«tout a été fait», «tout fut créé», «et le Verbe s'est fait chair»
là où le grec a «advenir»... Jean n'était pas tenu par gignomai,
mais il y avait de sa part, en même temps que le souci de la forme
grammaticale, une attention prêtée au devenir, celui de l'être
entrant dans le temps. Dans les premières phrases de son prologue,
il inscrivit le verbe être à l'imparfait pour parler de la Parole
subsistant en Dieu avant qu'elle ne se manifeste au monde ; puis il
utilisa gignomai alors que
sous l'égide de cette même Parole la création prenait forme et
advenait; puis, entrant dans le monde, la Parole se soumettait à son
mode, jusqu'à devenir chair. Jean adoptait l'explicitation que la
LXX donnait du texte hébreu sur le verbe être ; visiblement il se
référait à elle.
Luc, qui puisait au vocabulaire de la Septante, forcément, n'en
ignorait pas les règles lorsqu'il traduisait les deux réponses que
Marie avait formulées dans sa langue ; le verbe être était dans la
question initiale: «Comment cela sera puisque je ne connais pas
d'homme?»
Apparemment, cela n'était pas encore. L'annonce venait d'être faite,
et Marie, interrogeant le messager, exprimait la certitude que cela
allait être. A l'inverse, Zacharie, à l'annonce de la conception
future de son fils, avait signifié son doute et son étonnement:
«Selon quoi connaîtrai-je cela? car je suis vieux...»; avec le verbe
connaître il se situait sur le seul plan des relations charnelles et
semblait oublier l'origine de l'être.
Dans le consentement de Marie, Luc se servit de gignomai, advenir.
Il n'y était pas contraint dans la mesure où le verbe être, eimi,
était attesté en grec à l'impératif ou à l'optatif. Aussi, en
prenant appui sur la Septante et sur Jean, on peut légitimement
penser que Luc donnait la traduction d'une phrase hébraïque où se
trouvait le verbe être, mais avec le sens du devenir :
« Qu'il advienne a moi selon ta parole!»
Luc sut saisir ce moment où ce qui est de l'ordre du possible
advient, cet instant où l'Être entrant dans le temps devient.
6 - Les Paroles de Marie et les Lettres de Paul
Paul dans ses écrits, est venu appuyer l'éclairage que Luc
transmettait par son choix scripturaire ; il écrivait dans sa lettre
aux Galates :
«Dieu envoya son Fils advenu d'une femme, advenu
sous la Loi.»
Et dans la lettre aux Romains:
«Le Fils advenu de la semence de David selon la
chair .»
Gignomai signifie aussi naître; et ce second sens serait plus
naturel dans la formulation paulinienne; cependant, lorsqu'il s'agit
d'une naissance par engendrement humain, les auteurs du Nouveau
Testament ont employé pratiquement toujours le verbe engendrer et
ses dérivés. Paul a donc pu écrire les deux versets précités en
référence au consentement de Marie:
« Qu'advienne a moi selon ta parole»
Le premier notamment détenait une allusion significative à la
conception virginale. En évitant le verbe engendrer, Paul trouvait
là une manière de situer la naissance du Christ hors des schémas
humains habituels.
En définitive, les deux réponses que Marie adressa à son
interlocuteur étaient d'autant plus considérables qu'elles furent
succinctes. Elles comportaient à dessein le verbe être. En
l'utilisant dans la langue hébraïque à deux reprises. Marie offrait
une répartie discrète mais très circonstanciée au Nom divin, à
l'Être, YHWH, rendu présent dans les paroles de Gabriel. Elle le
prononça une première fois à l'inaccompli, dans la certitude que
cela serait ; la traduction très nuancée de Luc, renforcée par les
choix scripturaires de Jean et de Paul, atteste l'intelligence que
l'évangéliste avait du témoignage qu'il retranscriivait. Tous trois
ont apposé leur sceau au témoignage de Marie, avec clairvoyance et
tact.
«La Vierge n'a pas été un
instrument passif dont Dieu se serait servi par surprise ou même
par contrainte; elle a reçu un message et elle y a répondu
librement en toute connaissance de cause et en toute lumière de
grâce. L'auteur de l'évangile entend donc enseigner que Marie a
saisi de façon enveloppée mais réelle l'objet du message, et donc
l'identification de Jésus à YHWH qui s'y trouve insinuée. Pour
s'écarter de cette conclusion obvie, il faudrait des raisons
sérieuses en sens contraire.» R. Laurentin, Les évangiles de
l'enfance.
De ce qu'elle était appelée à vivre, Marie avait une connaissance
non seulement intuitive mais clairement réfléchie; pour s'en assurer
il y a un argument essentiel qu'il serait préjudiciable d'omettre ;
il s'agit du verset sur la circoncision de Jésus : au huitième jour
après sa naissance, l'enfant devait être appelé de son nom ; le
codex de Bèze présente une insistance ou une redondance «Il
fut nomme de son nom Jésus» qui peut s'expliciter en
rapport avec la LXX.
7 - «Avec toi!»
En accompagnant le Nom divin de ces mots «avec toi», l'ange
certifiait à Marie que la volonté du Seigneur était d'être avec
elle, d'agir avec elle et non point sans elle. Cette présence de
Dieu ne se manifestait pas seulement sur elle ou en elle, mais avec
elle, et c'est avec elle,Marie, que le Sauveur se donnait au monde;
aussi l'expression « YHWH avec toi» illumine son rôle dans le
mystère du Salut auquel elle participe en son corps et en son âme.
«Je Suis avec toi!», pourrions-nous comprendre, le Seigneur se
situant dans une proximité essentielle avec celle qu'il avait
choisie. C'est pourquoi elle put s'unir à la Vie avec une pleine
conscience et un grand désir.
Le texte évangélique dénote une insistance particulière, quatre fois
reprise, sur la réalité humaine de l'Incarnation :
«Tu concevras en ton sein, et tu enfanteras un
fils...
L'Enfant qui naîtra de toi...
Le fruit de ton sein est béni...
Avant qu'il soit conçu dans le sein de sa mère . »
Marie conçut dans sa chair. L'intelligence qu'elle avait de la vie
venait à la rencontre des paroles de l'ange Gabriel, d'autant qu'en
monde biblique on ne sous-estimait pas la puissance procréatrice
féminine', l'appartenance au peuple élu étant acquise de la mère.
Dans la Grèce antique, la femme était considérée comme nourricière
(Hippocrate), sans
pouvoir réel d'engendrement. Aristote lui reconnaissait le rôle de «
génitrice », mais non sans établir la distinction suivante:
Comme principes de la génération,
on pourrait à juste titre poser le mâle et la femelle, le mâle
comme possédant le principe moteur et générateur, la femelle le
principe matériel. » Aristote, La Génération des animaux,
716 a 5.
Ce qui fera dire à Thomas d'Aquin : « La semence de la femme n 'est
pas apte à la génération ; c'est une semence imparfaite et qui le
demeure en raison de ['insuffisance de la puissance féminine...
C'est pourquoi il n'y en eut pas dans la conception du Christ» (Q
31-5 s 3). « Or la Bienheureuse Vierge Marie n'ayant produit aucune
semence à cause de sa parfaite virginité...»(Q 33-4R).
Au milieu du XIXème siècle, les recherches en France de Prévost et
Dumas parallèlement à celles du fondateur de l'embryologie, Van
Baer, révélaient le processus de l'ovulation féminine. Le Pr. G.
Lejeune inversait carrément la pensée d'Aristote: «Nous
savons
par ['observation chez l'homme qu'il existe bien une empreinte
portée par le spermatozoïde et différente de l'empreinte portée
par l'ovule. C'est avec admiration... que nous avons découvert...
que la tache paternelle était la construction de l'abri (les
membranes) et la
recherche de la nourriture (par le
placenta), tandis que la tâche féminine était la fourniture des
éléments permettant à ['individu de se construire lui même. »
L'Enceinte concentrationnaire,
Paris, 1990, p. 37.
8 - « Tu es bénie parmi les femmes»
Selon
un certain nombre de manuscrits, l'ange aurait ajouté «tu es bénie
parmi les femmes», une allocution reprise par Elisabeth et qui reçut
des traductions diverses : la bénédiction l'atteignait en tant que
femme, au milieu d'elles, pour rejaillir sur elles toutes: «Tu
es bénie parmi les femmes. »
On comprit aussi que Marie avait été bénie plus que toutes les
femmes ; Elisabeth saluait sa parente avec les mots de l'ange
Gabriel et nommait Marie mère de son Seigneur. Cette intelligence
spirituelle manifestait qu'Elisabeth n'avait pas été moins favorisée
que Zacharie dans sa proximité avec le divin.
9 - «Puisque je ne connais pas d'homme»
La répartie de Marie après sa question «comment cela SERA-t-il?»
était une objection: «puisque je ne connais pas
d'homme».
Et celle-ci se comprend de plusieurs manières:
- Le codex Bezae laissait entendre que Marie
n'était que promise et pas encore fiancée officiellement.
Toute jeune Marie était peut-être à peine pubère ; sa répartie
pourrait alors vouloir dire: je n'ai pas encore de relations
sexuelles pour cette raison là. Dans sa parole à Jésus, la seule qui
nous ait été transmise elle lui disait en parlant de Joseph:
« ton père et moi te cherchions angoissés».
Ou bien Marie faisait part d'un voeu: J'ai fait le voeu de ne pas
voir de relatons sexuelles.
Le chapitre 30 du Livre des Nombres résume les voeux d'abstinence
que pouvaient faire l'homme et la femme. Le traité du Talmud Nedarim
qui en est le développement montre que les voeux de chasteté étaient
inclus dans ces voeux d'abstinence.
Quand elle mit au monde son fils premier-né, Marie était passée de
l'état d'une jeune promise à celui de fiancée officielle de Joseph;
Luc ne disait pas qu'elle était mariée; au chapitre trois en
écrivant que Jésus était considéré dans l'entourage comme Fils de
Joseph, il laissait entendre ,
en même temps,
qu'il pouvait ne pas l'être; en effet son identité profonde était
énoncée dans les chapitres précédents et suivants, en rapport avec
le Nom divin.
Le témoignage de Marie suggère que Celui qui s'est incarné «avec
elle» était non moins conscient qu'elle, de ce qu'il
vivait.
Sa conception n'a pas relevé de l'hasardeuse rencontre de gamètes;
elle fut intentionnelle, de sa part comme de celle «avec
laquelle»
il venait au monde.
Entrant dans la vie humaine pour devenir homme, le Christ était
pleinement conscient. Il n'y avait pas de retard, pas d'appel
progressif à la conscience comme cela se produit pour chacun de nous
qui accédons à la conscience par étapes.
Jésus n'a vécu passivement ni sa conception ni sa naissance.
Ni même sa mort.
Bien que les hommes lui aient fait subir l'ignominie de la
crucifixion, il fit de sa mort un acte de vie, intentionnel et
conscient, en disant dans un grand cri:
«Père en tes mains je dépose mon esprit»
Conclusion
Le dialogue de l'Annonciation échangé entre l'ange Gabriel et Marie,
si prégnant dans la langue grecque, se laisse découvrir dans la
plénitude de sa signification par le retour à la langue liturgique
du Sanctuaire.
La signification profonde n'est pas démonstrative; elle est cachée
et se laisse atteindre à travers une recherche patiente. Elle ne
s'origine pas dans la pensée de Luc mais dans le témoignage de la
protagoniste.
Sylvie Chabert d'Hyères