luc, auteur du troisieme evangile


                        Luc , était-il son véritable nom?

Luc
   

Des quatre évangélistes, il s'avère qu'un seul nom soit sûr : le sien.
Mais il n'était pas tout seul; un autre sut, très habilement, se cacher derrière sa personnalité d'helléniste pour conserver l'anonymat.






INTRODUCTION


L'auteur du Troisième Évangile et des Actes des Apôtres , manifestait une si profonde culture biblique et une telle pratique de la langue grecque , que le lecteur demeure hésitant sur ses origines: venait-il du Judaïsme ou bien était-il un converti du paganisme?
Il s'autorisait à parler en son nom propre, "il m'a semblé bon” , ne rendant compte à aucune autorité de tutelle, pas mêmes aux Apôtres, ces "gardiens de la parole” qui avaient veillé à ce que leurs témoignages soient consignés avec ordre. Par contre il sollicitait de cette haute autorité qu'était l'excellent Théophile, une reconnaissance officielle lui accordant de rendre son livre public. Pour être en mesure de s'adresser directement à ce garant, il se devait d'appartenir, lui aussi, à l'élite.
Cependant, dans le prologue, il a tu son nom, comme s'il avait souhaité demeurer dans l'anonymat. Parlant d'évènements “accomplis parmi Nous" et "qui Nous ont été transmis”, il s'incluait, comme s'il avait été directement concerné. Il précisait:
« Il m'a semblé bon à Moi aussi qui ai tout accompagné attentivement, depuis l'origine, d' écrire pour toi, avec rigueur et chronologiquement...»
παρηκολουθηκότι πράγμασιν, “accompagner les évènements attentivement” était une expression classique, issue de Démosthène qui impliquait la participation du sujet aux évènements en cause. L'auteur du Troisième Évangile l'a utilisée pour dire à son lecteur qu'il avait participé aux évènements décrits dans le livre. Cette formulation, que Flavius Josèphe reprenait à son compte en l'explicitant, était sans ambiguité (1).
Cependant l'écrivain du Troisième Évangile ne s'était pas mis au nombre des αὐτόπται ou «ceux qui depuis le commencement avaient vu par eux-mêmes», comme s'il cherchait à se distancer d'eux: Eux s'étaient centrés sur la vie publique du Christ et considéraient les choses depuis leur point de vue, tandis que lui les relatait dans leur ordre chronologique depuis l'origine pour y avoir participé.
En définitive, ce lettré était un familier du Christ.

Avec «adsecuto» pour παρηκολουθηκότι, le traducteur Latin donnait une interprétation très subtile de la pensée de l'évangéliste, car si sequor veut dire "suivre", adsequor signifie "obtenir" sinon "comprendre". Ainsi faisait-il de l'évangéliste un historien parti à la recherche d'informations permettant de comprendre ce qui s'était passé.
Ce “contresens” s'est imposé très tôt (1) ; il n'a fait que servir à cacher davantage celui qui souhaitait l'anonymat.




LOUKAS ET LA TRADITION

Le nom de Théophile se retrouvant dans le prologue des Actes des Apôtres, les deux livres, l'évangile et les Actes, passaient pour l'oeuvre d'un seul et même auteur; celui-ci s'était mis au nombre des protagonistes dès le chapitre 11 des Actes, au sein d'une assemblée qui se réunissait peu avant la mort de Jacques et l'arrestation de Pierre à la Pâque de l'année 42 ou 43:
«Or en ces jours là, descendirent de Jérusalem à Antioche des prophètes. et il y avait une grande allégresse; - comme nous étions regroupés de manière serrée - l'un d'entre eux nommé Agabos disait, en donnant un signe par l'Esprit Saint:"Une grande famine est sur le point de se produire sur tout le monde habité"». Ac 11, 27-28 (D, Itala:d , p, w copt).
De cette citation les copistes tiraient son origine Antiochienne si l'on s'en tient aux “prologues anti-marcionites" placés en tête de certains manuscrits latins et remontant aux années 150-200 :
«Luc est un Syrien d'Antioche, un Syrien de race, un médecin de profession. Il devint disciple des Apôtres et plus tard suivit Paul jusqu'à son martyr, ayant servi le Seigneur sans arrêt.»(cf de Bruyne, Rev Benedictine, XIV,1907 pp1-16)
De l'assemblée d'Antioche faisait partie également Paul que l'auteur des Actes accompagna jusqu'à sa prison de Rome: «Lorsque Nous entrâmes dans Rome, il fut permis à Paul de demeurer à part avec un soldat pour le garder» (Ac 28,16)
Il était donc naturel de l'identifier à l'un des nombreux disciples dont Paul transmit les noms dans ses lettres de captivité, (Philemon 1, 23-24; Col 4:7-14, 2Ti 4:10-11); plusieurs d'entre eux participaient aux voyages relatés dans les Actes au moment où leur auteur écrivait en "nous"; c'étaient Timothée, Tychique, Marc et Aristarque. Il ne pouvait pas plus leur être assimilé qu'à Épaphras originaire de Colosse, un collaborateur de date récente ou encore à Onésime qu'il appelait "mon fils" ou bien à Demas qui déserta peu après. Restaient en liste Justus nommé une fois et Luc son collaborateur fidèle jusqu'au bout et médecin bien-aimé, nommé trois fois.
luc
Le Greco, St Luc, Cathédrale de Tolède.

Cette insistance a pu le faire reconnaître comme auteur de l'évangile et des Actes :
«Ce Luc était médecin; Paul l’avait pris auprès de lui en tant qu’expert en droit; lui non plus ne vit pas le Seigneur dans la chair. Et par conséquent à la mesure de ce qu'il avait pu obtenir, Il commença à le dire à partir de la nativité de Jean.»(Canon de Muratori, fin du II siècle). Luc était vu comme un disciple de Paul, un secrétaire. Paul avait employé à diverses reprises l'expression "mon évangile", et Irénée lui attribuait la collecte des informations sur Jésus , Luc se contentant de les consigner par écrit.
"De son côté Luc, le compagnon de Paul, consigna en un livre l'Évangile que prêchait celui-ci" (Adv. Hae. IIII,1,1; également III,14,1-4; V,10,1).

Pourtant si Paul avait été le maître d'oeuvre de l'évangile, ses épîtres auraient été constellées de paroles de Jésus; comme il n'en est rien, Jérôme récapitulait les choses d'une manière plus vague:
« Luc...avait écrit l'évangile d'après ce qu'il avait entendu; mais quant aux Actes des apôtres, il les avait rédigés d'après ce qu'il avait vu.» (Jérôme, HI,II)




LOUKIOS

Si Loukas est absent des Actes, par contre un certain Loukios y est mentionné une fois. Il était avec Paul un des prophètes et didascales de la communauté d'Antioche :
« Or il y avait à Antioche dans l'église d'alors, des prophètes et des didascales; parmi eux • Barnabas et • Siméon, le surnommé Niger, • Loukios Cyrénéen, et • Manahen frère de lait du tétrarque Hérode, et • Saul. 2 Comme ils célébraient le culte du Seigneur et jeûnaient, l'Esprit Saint dit: Distinguez enfin pour moi Barnabas et Saul en vue de l'oeuvre à laquelle je les ai appelés.» Ac 13:1
L'énumération respectait une hiérarchie fondée, non sur l'âge, mais sur l'ancienneté :
• - En tête un disciple de Jean Baptiste, Barnabé , qui avait été mandaté par l'église de Jérusalem.
niger
• - Après lui venait Siméon, qui pour avoir reçu le surnom latin Niger signifiant "nègre" , était forcément originaire des côtes Africaines. La Cyrénaïque correspondant à l'actuelle Tunisie, il est fort vraisemblable que Symeon Niger n'ait fait qu'un avec Simon le Cyrénéen qui, arrivant de la campagne, fut recruté par les soldats pour porter la croix derrière Jésus (Lc 23:26). Sa négritude n'y aurait pas été étrangère. Elle lui procura l' honneur si incommensurable d'aider le Christ, qu'elle lui fut attachée comme un nom.
• - En troisième position venait Loukios du Latin Lucius, signifiant lumière, offrant uncontraste avec son concitoyen Syméon Niger.
• - Après lui venait Manahen, frère de lait d' Hérode Antipas. Doyen du groupe, il pouvait avoir dans les soixante ans. Il était le second de l'entourage du tétrarque, après Suzanne femme de Chouza (Lc 8:3) à s'être agrégé aux disciples.
•- Saul nommé en dernier atteignait la trentaine.

Syméon Niger et Loukios faisaient partie du groupe de Cyrénéens qui avec des Chypriotes dont Barnabé, parvinrent à Antioche suite à la persécution qui suivit la mort d'Étienne . Leur groupe est mentionné dans le livre des Actes au moment où l'auteur se mettait à rédiger en “nous” (Actes11:20-24 et 28D). Il connaissait intimement Barnabé puisqu'il exprimait l'estime dans laquelle il le tenait, le disant bon, plein d'Esprit Saint et de foi.
Portait également le nom Loukios un parent de Paul , présent à ses côtés lorsqu'il écrivait son Epître aux Romains vers 56: «Timothée mon collaborateur vous salue , et Loukios et Jason et Sosipatros, mes parents» (R 16:21) .

Théâtre grec de la ville de Cyrène qui était devenue colonie romaine sous le nom de Flavia.

C'était juste avant que, porteur d'une collecte, il ne monte à Jérusalem et ne s'y fasse arrêter (vers 56).
Or on sait par les Actes que son auteur faisait partie du voyage avec Sosipatros ce parent de Paul (Ac 20:4-5).
Ainsi un lien subtil relie Loukios, le parent de Paul, au Cyrénéen Loukios, didaskale et prophète à Antioche en même temps que Paul: tout donne à penser que ces deux Loukios étaient un seul et même personnage. Qu'il ait été Cyrénéen n'est pas une objection. La famille de Paul était très dispersée puisque Sosipatros était Béréen et Aristarque Thessalonicien, tandis que Junia et son mari Andronique vivaient à Rome (R 16:7). Il n'y a pas à s'étonner que certains membres de sa famille se soient rendus en Cyrénaïque où la communauté Juive jouissait de droits civiques.




LOUKAS ÉTAIT-IL LOUKIOS ?

Le nom orthographié LOUKAS est peu attesté avant l'ère chrétienne, mais il devient fréquent au IIIs parmi les inscriptions d'Asie Mineure.
Les noms donnaient lieu à diminutif (Apollos pour Apollonios, Prisca pour Priscilla , Sopatros pour Sosipatros, Cléopas pour Cleopatras etc); ainsi Loukios qui provenait du prénom latin Lucius avait donné le diminutif Loukis. N'aurait-il pas donné également celui de Loukas ?
λουκίος
C'est ce qu'a pensé W.M. Ramsay car sur les deux ex-voto déposés par une famille dans un temple près d'Antioche de Pisidie, l'un des fils d'abord nommé Loukios est appelé Loukas sur le second ex-voto. Ramsay a pensé pouvoir en déduire que Loukas était devenu l'appellation familière du praenomen Lucius, Loukios en grec(2).
Loukas se retrouvait également sur un troisième ex-voto comme praenomen du citoyen romain Loukas Tillius Crito. Comme Loukas n'a pas de substrat latin précis, de la même manière que Polibius aurait donné Poplas, Lucius aurait donné Loukios, Loukis et aussi Loukas .

Il y a donc lieu de se demander si Loukas n'était pas le disciple nommé Loukios dans les Actes des Apôtres. Cette identification de l'un à l'autre a paru évidente à quelques rares auteurs (3) qui ont proposé l'équivalence suivante :
Loukios le Cyrénéen (Ac 13;1)
= Loukios le parent de Paul (R 16:21)
= Loukas le compagnon de Paul, fidèle jusqu'à Rome (2Tim 4:11)
= Loukas le médecin (Col 4:14)
= Loukas le collaborateur de Paul (Philemon 24)
= Le Rédacteur des Actes des Apôtres. (Ac 11:27D)


Loukios et Poumpoumlios
fils de Gamos sur un ex-voto du IIIs.
Sur le second exvoto, Loukios est nommé Loukas


Contre cette évidence se dresserait l' objection de l'Épître aux Colossiens:
Au dernier chapitre, parmi d'autres Grecs, Paul nommait Luc, le médecin bien-aimé, tout en disant trois versets plus haut à propos d'Aristarque, Marc et Justus: « Eux qui sont de la circoncision, les seuls à collaborer avec moi à la Royauté de Dieu, lesquels furent pour moi un encouragement» (Col 4: 11-14).
Question à deux leptes : par extrapolation devait-on en déduire que Luc n'était pas Juif et qu'il n'était pas le parent de Paul ?

En fait Paul n'opposait pas ces trois frères Juifs circoncis à des Grecs incirconcis, puisque Timothée qu'il avait pris le soin de circoncire (Act 16:13) écrivait la lettre avec lui. Il ne pouvait, tout à coup, l'avoir oublié et le mettre à l'écart des frères circoncis.
Il rappelait par contre les noms des trois frères Juifs qui lui avaient donné un encouragement (en effet le premier sens de παρηγορία est une exhortation, un encouragement, une persuasion). Ils étaient ceux qui l'avaient encouragé à monter à Jérusalem quand l'entreprise était très risquée. À contrario, avec des frères de Césarée, l'auteur des Actes, avait essayé de l'en dissuader (Ac 21:12 et 14D) et Timothée avait probablement uni sa voix à la sienne. Mais ce fut en vain, et Paul fit en sorte d'être arrêté dans le temple. Dans sa lettre aux Colossiens, écrite depuis Rome entre la seconde lettre à Timothée et celle à Philemon, il fournissait une justification à son emprisonnement en conférant à ses souffrances un sens (Col 1:24); cela manifeste que le bien-fondé de s'être laissé arrêter, le préoccupait. Il lui était donc précieux que trois frères Juifs lui aient apporté leur soutien jusque dans sa prison dont il espérait sortir après avoir été grâcié.
En définitive affirmer que Luc n'était pas Juif, en se fondant sur l'épître aux Colossiens, suppose une lecture qui ne s'ajuste pas au Grec du verset 4:11, et soulève un très sérieux paradoxe concernant Timothée. Loukios s'était vraisemblablement agrégé aux disciples lors de la Pentecôte, se laissant interpeller avec tous les présents, par le don des langues:
«d'Egypte et des contrées de Lybie rattachées à la Cyrénaïque, et les résidents Romains, 11 Juifs et aussi prosélytes de Crète et Arabes nous les entendons énoncer dans nos langues les merveilles de Dieu».
Plus tard, au contact des frères grecs Epaphras ou Démas, il se serait laissé dénommer Loukas.
Il aurait informé Barnabé que son parent Paul était en séjour à Tarse, l'incitant à aller l'y rechercher pour le ramener à Antioche.
C'est vraisemblablement aussi par sa bouche, puisqu'il était prophète, que l'Esprit Saint mit à part Barnabé et Saul pour les envoyer en mission (Ac 13:1). Il n'aurait donc pas été pour rien dans la conversion et l'appel de son parent Paul. C'est avec Jacques, dit le frère du Seigneur, qu'il aurait obtenu cette conversion (cf Epître de Jacques 5.19) .
Il aurait été du premier voyage de Paul et Barnabé en Pisidie. En effet en Ac 13.14 alors que Paul et Barnabé se trouvaient à Antioche de Pisidie, Luc parlait de “notre synagogue" et rapportait le discours qu'avait fait Paul avec une bien étrange exactitude : les allusions pauliniennes permettent de dater l'événement en fonction de la paracha lue ce jour là (juillet 44 ou 45) ; elle devait être accompagnée d'une traduction en grec comme la haphtara correspondante, car le discours de Paul leur empruntait des termes selon la traduction de la LXX (cf Ac 13.17-18). Ce discours était, en outre, truffé de thèmes pauliniens qu'il semble probable que Luc l'ait retranscrit en l'écoutant. Luc était donc bien un juif; "notre synagogue" manifestait une synagogue judéo-chrétienne. C'est à peu de distance de là géographiquement, mais plusieurs années après que, dans le récit des Actes (Ac 16.10a) resurgit le “nous” dans le codex Bezae. Le rédacteur des Actes était dans la péninsule de Troas avec Paul au moment où celui-ci s'apprêtait à quitter la Mysie pour la Macédoine.



PARADOXES


• Luc ne venait qu'au troisième rang dans la communauté d'Antioche, après Barnabé et Simon Niger, plus anciens que lui dans la foi; il n'avait donc pas été un disciple du Christ; si c'était lui l'auteur de l'évangile, comment pouvait-il, sans mentir, affirmer “avoir tout suivi de manière assidue ”?
• Ouvrier de la dernière heure, survenu plus tardivement que Syméon Niger, comment pouvait--il prétendre être plus exact dans sa rédaction que ceux qui, ensemble s'étaient remémorés les paroles et les actes de Jésus ?
• Comment se permettait-il d'ouvrir l'évangile en Je, sans en référer à la communauté, alors qu'il parlait en "nous” dans les Actes et se soumettait à l'autorité ? Il disait en effet:
«Quand il fut décidé que Nous embarquerions pour l'Italie»; Paul embarquait comme prisonnier, mais lui? L'impersonnel "il fut décidé" laisse supposer une décision de la communauté désireuse que Paul ne soit pas seul.
• Paul présentait Luc comme son parent , son médecin et son compagnon mais s'abstenait curieusement de le nommer lorsqu'il s'agissait de l'évangile:
« Nous envoyons avec lui le Frère dont la louange dans l'Évangile [est répandue] dans toutes les Églises, et qui plus est, a été désigné à main levée par les Églises pour être notre compagnon de voyage dans cette oeuvre de bienfaisance, que nous accomplissons à la gloire du Seigneur même, et en témoignage de notre bonne volonté.» 2 Co 8:18. Paul n'avait fait qu'adopter le parti pris par l'auteur de ne pas faire figurer son nom dans l'évangile.
• Il n'est pas indifférent que Luc ait consenti à insérer son propre nom dans les Actes au moment où, abordant les voyages de Paul , il devenait acteur des évènements, comme il l'exprimait trois chapitres plus loin:
« Nous comprîmes que le Seigneur Nous appelait à évangéliser ceux de Macédoine.» Ac 16:10D
• Il ne méprisait pas les honneurs :
«Paul, s'étant rendu vers lui, pria, lui imposa les mains, et le guérit. Là-dessus, vinrent les autres malades de l'île, et ils furent guéris. On Nous rendit de grands honneurs, et, à Notre départ, on Nous fournit les choses dont Nous avions besoin.» (Ac 28:8-10).
• Alors qu'il avait longtemps fréquenté Paul et Barnabé, la théologie de la rédemption issue de leur réflexion, n'affleure pas dans son évangile.
• Marc lisait dans les paroles de Jésus contre le temple l'annonce d'une profanation d'ordre spirituel qui avait failli se produire en 40 avec la volonté de Caligula d'y faire adorer sa statue.
Sept paroles contre Jérusalem scandent le Troisième Évangile ; elles sont si étroitement imbriquées au récit qu'il serait difficile de les en extraire. Les détails sont précis, notamment l'encerclement de la ville; mais rien sur l'incendie qui ravagea le temple en 70. Aucune de ces prophéties n'affleure dans les Actes alors que Luc avait certainement suivi les soulèvements contre les projets de Caligula.

Comment conjuguer ces paradoxes nombreux avec l'identification de Luc comme auteur des Actes et de l'Évangile?

Les deux œuvres paraissent unifiées par un même style littéraire , un même vocabulaire et répondent l'une et l'autre à un même parti-pris d'authenticité. Mais la personne qui écrivit en “Je” dans le prologue de l'évangile n'était visiblement pas celle qui écrivait en ”nous” dans les Actes. Luc a pu unifier par sa traduction en Grec l'ensemble des récits, mais il ne devenait réellement rédacteur des Actes qu'à partir du chapitre 13, au moment où il donnait son nom. Un autre fut le rédacteur et de l'évangile et du début des Actes.

Cette hypothèse trouve une confirmation dans une tradition restée longtemps orale.



L'AUTEUR DU TROISIÈME ÉVANGILE


Un courant très ancien voyait dans l'auteur du Troisième Évangile non seulement l'un des Soixante Douze disciples envoyés en mission (Luc 10:1) mais le compagnon anonyme de Cléopas que Jésus rejoignit sur la route le soir de la Résurrection (Luc 24:13). Cette tradition fut répercutée par Grégoire le Grand dans sa préface du commentaire sur Daniel, puis par Théophylacte jusqu'à Jacques de Voragine et Anne-Catherine Emmerich (4).

Plusieurs noms lui étaient donnés dont :

Codex Egberti, IXs
Luc Si par son austérité Ya'akov ha-Tzadik se rapprochait de la mouvance Essénienne, partie de sa réflexion s'enracinait dans le mouvement Sadducéen qui regroupait les grands-prêtres. «Dieu est sans tentation du mal et lui-même ne tente personne» écrivait-il (J 1:13); et en effet Flavius Josèphe disait des Sadducéens:
«Quant à la seconde secte, celle des Sadducéens, ...ils prétendent que Dieu ne peut ni faire, ni prévoir le mal ; ils disent que l'homme a le libre choix du bien et du mal et que chacun, suivant sa volonté, se porte d'un côté ou de l'autre» (GJ II, 162).
En outre , «les Sadducéens disent qu'il n'y a pas de résurrection» (Ac 23:8). De classe sacerdotale, Jacques pouvait être très éloigné de l'idée même de résurrection; il a évité d'en parler alors qu'il faisait allusion à la mort du Christ et à sa “Parousie””. Sur le chemin qui le conduisait à Béthel, en compagnie de Cléopas, ils avaient été rejoints par Jésus " mais leurs yeux s'empêchaient de le reconnaître...” (Lc 24:16) et ils durent alors admettre:“Notre coeur n'était-il pas couvert alors qu'il nous parlait sur la route, alors qu'il nous ouvrait les Écritures?“ Lc 24:32 D05

La pierre du sonneur de shoffar
      pinacle du temple
Jacques qui avait vu mourir Jésus était, mentalement, dans l'impossibilité d'envisager sa résurrection; c'est pourquoi il lui fallut un certain temps pour que ses yeux se dessillent.
Il mourut en 62 à Jérusalem. Il fut témoin jusqu'au bout, même s'il ne se donnait pas ce titre; il reçut la couronne de vie, celle du martyr qu'il exhortait ses frères à rechercher (J 1:12) .
Jacques fut lapidé : l'affirmaient avec Flavius Josèphe , l'auteur de la seconde Apocalypse de Jacques et Hégésippe. On procédait à une culbute avant la lapidation. Jésus en avait été menacé à Nazareth. Jacques fut culbuté depuis le pinacle du temple, ce lieu où prenait place le sonneur de shofar, qui pour certaines sonneries (teki'ah) se devait d'être prêtre. Il lui aurait été demandé de s'adresser au peuple pour le dissuader de suivre le Christ.
Dans le récit d'Hégésippe, s'étant rompu les jambes Jacques adressa cette prière à Dieu:
«Je t'en prie Seigneur Dieu Père, pardonne -leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font. ». Prière pénitentielle, sacerdotale; elle fut insérée dans certains manuscrits de Luc, au moment de la mise en croix. "Dieu Père" revient deux fois dans sa lettre.
Au pied des marches fut retrouvée la pierre du sonneur de shofar, là même d'où Jacques serait tombé.



L'EPÎTRE DE JACQUES ET LE TROISIÈME ÉVANGILE

D'après son contenu, l'auteur de l'Épître de Jacques était un personnage qui exerçait l'autorité; il menait une vie austère et réprouvait toute forme de critique ; il s'en prenait aux riches et aux hédonistes. Le contenu de la lettre reflète le souci de mettre en pratique l'Évangile. La corrélation avec celui de Luc est significative , à commencer par l'écoute effective de la parole :
«Mettez en pratique la parole, et ne vous bornez pas à l'écouter, en vous trompant vous-mêmes par de faux raisonnements. Car, si quelqu'un écoute la parole et ne la met pas en pratique, il est semblable à un homme qui regarde dans un miroir son visage naturel, et qui, après s'être regardé, s'en va, et oublie aussitôt ce qu' il était.» Épître de Jacques 1:21-22.
Par ces mots, Il s'exhortait lui-même à être fidèle aux paroles de Jésus énoncées à son endroit:
"Ma mère et mes frères sont ceux qui écoutent la Parole de Dieu et qui agissent“.
Il exhortait à prier avec foi:
«La prière fervente du juste a une grande efficacité.»Jc 4:3 et 5:16
La différence de style entre l'épître et l'évangile, à moins que les deux écrits ne soient pas du même auteur, s'expliquerait par le recours à des traducteurs différents. l'Épître de Jacques manifeste la même aisance que l'Épître aux Hébreux, dont Barnabé est l'auteur présumé. Par contre, dans l'Évangile et tout au long des Actes, abondent les tournures empruntées à la Septante ; ce style est la marque propre de Luc, que ses origines Cyrénéennes rapprochaient d'Alexandrie, tandis que Barnabé venait de Chypre.
Une même Christologie les unit, sans hiérarchie entre le Christ et le Père; elle est exempte de la théologie du rachat énoncée dans l'Épître aux Hébreux et promulguée par Paul. Utilisant l'ambivalence du nom Kurios qui désigne "Le Seigneur” quand il ne signifie pas “maître”, Jacques a su inscrire de manière subtile et circonspecte, ce qu'il avait perçu de l'identité de Jésus. Le choix d'écrire en grec plutôt qu'en hébreu ou en araméen a pu reposer en grande partie sur cette considération.
Un lien spirituel fort unit l'épître à l'évangile, car chacun des versets de l'épître se réfère à un enseignement de Jésus. Jacques collait à ses paroles et cherchait, non sans une certaine tension, à les mettre en pratique. Il a essayé d'imiter son recours aux images optant par exemple pour la langue au lieu de l'oeil.
Écrite à l'intention des tribus dispersées par la persécution qui avait sévi après la mort d'Étienne, elle pourrait avoir été écrite peu après la conversion de Paul (33/34) et avant la mise en chantier de l'Évangile entre 37 et 41.
L'Epître de Jacques

Barnabé était remonté à Jérusalem après son séjour à Antioche et Jacques pouvait faire appel à lui pour la traduction de sa lettre; puis , dans les années 37-40 Barnabé fut renvoyé à Antioche où il fit venir Saul. Parallèlement, sur les conseils de Barnabé (?), Jacques aurait appellé Luc auprès de lui pour la traduction en Grec de l'évangile qu'il avait consigné en Hébreu. Il connaissait vraisemblablement les deux langues, mais il lui fallait s'assurer le concours d'un helléniste.





JACQUES ET JÉSUS


La présence de Jacques se décèle dans l' Évangile à partir du chapitre 9 où les apôtres ayant vu quelqu'un chasser les démons au nom de Jésus se demandaient s'il y avait “un plus grand qu'eux” (Luc 9:46); sur ces entrefaits, Jésus envoya en mission 72 autres disciples auxquels les démons se soumirent.
Si Jacques était l'un d'entre eux, la révélation du Père aux petits (Luc 10:22), le concernait peut-être très directement.
Les Apôtres se disputaient encore lors de la Cène pour savoir qui était le plus grand. Jacques devait être présent tandis que Judas s'était retiré. Jésus invitait les plus grands (âgés) présents à se sentir comme le plus jeune et à se comporter en serviteurs. Comme si la place de Judas ne serait jamais vacante, Il leur promettait de siéger sur douze trônes (Luc 22:30 D) pour juger les douze tribus d'Israël.
C'est à Jacques que Jésus apparut le soir de sa résurrection , aux côtés de Cléopas, célébrant avec eux une eucharistie qui en consacrait le sens.
Héritier du Christ, il conserva l'anonymat pour ne pas lui faire écran, alors qu'il présidait l'église de Jérusalem.
Proche de Marie, il sut accueillir son témoignage.
En relatant la métaphore des tentations dans le désert, il montrait que les tentations auxquelles les hommes sont soumis ne viennent pas de Dieu.
En plaçant un ange auprès de Jésus en agonie , il transformait l'ancien combat de Jacob en un réconfort venu de Dieu.
Les références au patriarche Jacob qui scandent l'évangile apparaissent comme la signature discrète de son auteur.



Sylvie Chabert d'Hyères
© Copyright Juin 2006 - février 2007



1 - Identification du compagnon de Cléopas
II - Identification du lieu-dit Emmaus
III - Le disciple Bien-Aimé
IV - Les frères de Jésus








NOTES

1 - Etude du prologue

2 - Loukas est attesté à Amphipolis de Macédoine avant l'ère chrétienne, cf. Fraser / Matthew, A Lexicon of Greek Personnal Names, Oxford 2005 volume IV, p. 108.
Les ex-votos d'Antioche de Pisidie ont été analysés par Sir Ramsay “The bearing of recent discovery on the trustworthiness of the New Testament" , 1915, p.370-84.

3 - Origène, In Rom. Comm.10.39 et Ephrem le Syrien. Thèse reprise par Adolf Deissmann Light from the Ancient East pp 435-438, 1910, et réactualisée par C. Tresmontant .

4 - « Il est assez dans les habitudes des écrivains sacrés, quand ils parlent d'eux-mêmes, d'en parler d'une façon impersonnelle... Le soin que met saint Luc à taire le nom du compagnon de Cléophas inclinerait à croire que c'est lui-même » Propos prêtés à Grégoire le Grand
-« La minutie et la précision des détails ont fait croire à quelques-uns que Luc était lui-même l'un des disciples, celui dont il n'a pas dit le nom...Il en est qui prétendent que l'un de ces deux disciples était saint Luc lui-même, et que c'est la raison pour laquelle il a caché son nom. » Propos prêtés à Théophylacte.
- En marge du codex V du IX siècle se lit l'annotation d'un scribe: "Celui qui était avec Cléopas était Nathanaël comme le disait le grand Épiphane dans le Panarion".