Luc , était-il son véritable nom?
Des quatre évangélistes, il s'avère qu'un seul nom soit sûr : le sien.
Mais il n'était pas tout seul; un autre sut, très habilement, se cacher
derrière sa personnalité d'helléniste pour conserver l'anonymat.
INTRODUCTION
L'auteur du Troisième Évangile et des Actes des Apôtres , manifestait
une si profonde culture biblique et une telle pratique de la langue
grecque , que le lecteur demeure hésitant sur ses origines: venait-il du
Judaïsme ou bien était-il un converti du paganisme?
Il s'autorisait à parler en son nom propre,
"il m'a semblé bon”
, ne rendant compte à aucune autorité de tutelle, pas mêmes aux Apôtres,
ces "gardiens de la parole” qui avaient veillé à ce que leurs
témoignages soient consignés avec ordre. Par contre il sollicitait de
cette haute autorité qu'était l'excellent
Théophile,
une reconnaissance officielle lui accordant de rendre son livre public.
Pour être en mesure de s'adresser directement à ce garant, il se devait
d'appartenir, lui aussi, à l'élite.
Cependant, dans le prologue, il a tu son nom, comme s'il avait souhaité
demeurer dans l'anonymat. Parlant d'évènements
“accomplis
parmi Nous" et "qui Nous ont été transmis”, il s'incluait,
comme s'il avait été directement concerné. Il précisait:
« Il m'a semblé bon à Moi aussi qui ai tout
accompagné attentivement, depuis l'origine, d' écrire pour toi, avec
rigueur et chronologiquement...»
παρηκολουθηκότι πράγμασιν, “accompagner les évènements attentivement”
était une expression classique, issue de Démosthène qui impliquait la
participation du sujet aux évènements en cause. L'auteur du Troisième
Évangile l'a utilisée pour dire à son lecteur qu'il avait participé aux
évènements décrits dans le livre. Cette formulation, que Flavius Josèphe
reprenait à son compte en l'explicitant, était sans ambiguité (
1).
Cependant l'écrivain du Troisième Évangile ne s'était pas mis au nombre
des αὐτόπται ou «ceux qui depuis le commencement avaient vu par
eux-mêmes», comme s'il cherchait à se distancer d'eux: Eux s'étaient
centrés sur la vie publique du Christ et considéraient les choses depuis
leur point de vue, tandis que lui les relatait dans leur ordre
chronologique depuis l'origine pour y avoir participé.
En définitive, ce lettré était un familier du Christ.
Avec «adsecuto» pour παρηκολουθηκότι, le traducteur Latin donnait une
interprétation très subtile de la pensée de l'évangéliste, car si
sequor
veut dire "suivre",
adsequor signifie
"obtenir" sinon "comprendre". Ainsi faisait-il de l'évangéliste un
historien parti à la recherche d'informations permettant de comprendre
ce qui s'était passé.
Ce
“contresens” s'est imposé très tôt (
1)
; il n'a fait que servir à cacher davantage celui qui souhaitait
l'anonymat.
Le nom de Théophile se retrouvant dans le prologue des Actes des
Apôtres, les deux livres, l'évangile et les Actes, passaient pour
l'oeuvre d'un seul et même auteur; celui-ci s'était mis au nombre des
protagonistes dès le chapitre 11 des Actes, au sein d'une assemblée qui
se réunissait peu avant la mort de Jacques et l'arrestation de Pierre à
la Pâque de l'année 42 ou 43:
«Or en ces jours là, descendirent de Jérusalem à
Antioche des prophètes. et il y avait une grande allégresse; - comme
nous étions regroupés de manière serrée - l'un d'entre eux nommé
Agabos disait, en donnant un signe par l'Esprit Saint:"Une grande
famine est sur le point de se produire sur tout le monde habité"». Ac
11, 27-28 (D, Itala:d , p, w copt).
De cette citation les copistes tiraient son origine Antiochienne si l'on
s'en tient aux “prologues anti-marcionites" placés en tête de certains
manuscrits latins et remontant aux années 150-200 :
«Luc est un Syrien
d'Antioche, un Syrien de race, un médecin de profession. Il
devint disciple des Apôtres et plus tard suivit Paul jusqu'à
son martyr, ayant servi le Seigneur sans arrêt.»(cf
de Bruyne, Rev Benedictine, XIV,1907 pp1-16)
De l'assemblée d'Antioche faisait partie également Paul que
l'auteur des Actes accompagna jusqu'à sa prison de Rome:
«Lorsque Nous entrâmes dans Rome, il fut permis à Paul de
demeurer à part avec un soldat pour le garder» (Ac
28,16)
Il était donc naturel de l'identifier à l'un des nombreux
disciples dont Paul transmit les noms dans ses lettres de
captivité, (Philemon 1, 23-24; Col 4:7-14, 2Ti 4:10-11);
plusieurs d'entre eux participaient aux voyages relatés dans
les Actes au moment où leur auteur écrivait en "nous";
c'étaient Timothée, Tychique, Marc et Aristarque. Il ne
pouvait pas plus leur être assimilé qu'à Épaphras originaire
de Colosse, un collaborateur de date récente ou encore à
Onésime qu'il appelait "mon fils" ou bien à Demas qui déserta
peu après. Restaient en liste Justus nommé une fois et Luc son
collaborateur fidèle jusqu'au bout et médecin bien-aimé, nommé
trois fois.
|

Le Greco, St Luc, Cathédrale de Tolède.
|
Cette insistance a pu le faire reconnaître comme auteur de l'évangile et
des Actes :
«Ce Luc était médecin; Paul l’avait pris auprès de
lui en tant qu’expert en droit; lui non plus ne vit pas le Seigneur
dans la chair. Et par conséquent à la mesure de ce qu'il avait pu
obtenir, Il commença à le dire à partir de la nativité de Jean.»(Canon
de Muratori, fin du II siècle). Luc était vu comme un disciple de Paul,
un secrétaire. Paul avait employé à diverses reprises l'expression "mon
évangile", et Irénée lui attribuait la collecte des informations sur
Jésus , Luc se contentant de les consigner par écrit.
"De son côté Luc, le compagnon de Paul, consigna en
un livre l'Évangile que prêchait celui-ci" (Adv. Hae. IIII,1,1;
également III,14,1-4; V,10,1).
Pourtant si Paul avait été le maître d'oeuvre de l'évangile, ses épîtres
auraient été constellées de paroles de Jésus; comme il n'en est rien,
Jérôme récapitulait les choses d'une manière plus vague:
« Luc...avait écrit l'évangile d'après ce qu'il
avait entendu; mais quant aux Actes des apôtres, il les avait rédigés
d'après ce qu'il avait vu.» (Jérôme, HI,II)
Si Loukas est absent des Actes, par contre un certain Loukios y est
mentionné une fois. Il était avec Paul un des prophètes et didascales de
la communauté d'Antioche :
«
Or il y avait à Antioche dans l'église d'alors,
des prophètes et des didascales; parmi eux • Barnabas et • Siméon, le
surnommé Niger, • Loukios Cyrénéen, et • Manahen
frère de lait du tétrarque Hérode, et • Saul. 2
Comme ils célébraient le culte du Seigneur et jeûnaient, l'Esprit
Saint dit: Distinguez enfin pour moi Barnabas et Saul en vue de
l'oeuvre à laquelle je les ai appelés.» Ac 13:1
L'énumération respectait une hiérarchie fondée, non sur l'âge, mais sur
l'ancienneté :
• - En tête un disciple de Jean Baptiste,
Barnabé
, qui avait été mandaté par l'église de Jérusalem.
 |
• - Après lui venait Siméon, qui pour
avoir reçu le surnom latin Niger signifiant "nègre" , était
forcément originaire des côtes Africaines. La Cyrénaïque
correspondant à l'actuelle Tunisie, il est fort vraisemblable
que Symeon Niger n'ait fait qu'un avec Simon le Cyrénéen qui,
arrivant de la campagne, fut recruté par les soldats pour
porter la croix derrière Jésus (Lc 23:26). Sa négritude n'y
aurait pas été étrangère. Elle lui procura l' honneur si
incommensurable d'aider le Christ, qu'elle lui fut attachée
comme un nom.
• - En troisième position venait Loukios du Latin Lucius,
signifiant lumière, offrant uncontraste avec son concitoyen
Syméon Niger.
|
• - Après lui venait Manahen, frère de lait d' Hérode Antipas. Doyen du
groupe, il pouvait avoir dans les soixante ans. Il était le second de
l'entourage du tétrarque, après Suzanne femme de Chouza (Lc 8:3) à
s'être agrégé aux disciples.
•- Saul nommé en dernier atteignait la trentaine.
Syméon Niger et Loukios faisaient partie du
groupe de Cyrénéens qui avec des Chypriotes dont Barnabé,
parvinrent à Antioche suite à la persécution qui suivit la
mort d'Étienne . Leur groupe est mentionné dans le livre des
Actes au moment où l'auteur se mettait à rédiger en “nous”
(Actes11:20-24 et 28D). Il connaissait intimement Barnabé
puisqu'il exprimait l'estime dans laquelle il le tenait, le
disant bon, plein d'Esprit Saint et de foi.
Portait également le nom Loukios un parent de Paul , présent à
ses côtés lorsqu'il écrivait son Epître aux Romains vers 56: «Timothée
mon collaborateur vous salue , et Loukios et Jason et
Sosipatros, mes parents» (R 16:21) .
|

Théâtre grec de la ville de Cyrène qui était devenue colonie
romaine sous le nom de Flavia. |
C'était juste avant que, porteur d'une collecte, il ne monte à Jérusalem
et ne s'y fasse arrêter (vers 56).
Or on sait par les Actes que son auteur faisait partie du voyage avec
Sosipatros ce parent de Paul (Ac 20:4-5).
Ainsi un lien subtil relie Loukios, le parent de Paul, au Cyrénéen
Loukios, didaskale et prophète à Antioche en même temps que Paul: tout
donne à penser que ces deux Loukios étaient un seul et même personnage.
Qu'il ait été Cyrénéen n'est pas une objection. La famille de Paul était
très dispersée puisque Sosipatros était Béréen et Aristarque
Thessalonicien, tandis que Junia et son mari Andronique vivaient à Rome
(R 16:7). Il n'y a pas à s'étonner que certains membres de sa famille se
soient rendus en Cyrénaïque où la communauté Juive jouissait de droits
civiques.
LOUKAS ÉTAIT-IL LOUKIOS ?
Le nom orthographié LOUKAS est peu attesté avant l'ère chrétienne, mais
il devient fréquent au IIIs parmi les inscriptions d'Asie Mineure.
Les noms donnaient lieu à diminutif (Apollos pour Apollonios, Prisca
pour Priscilla , Sopatros pour Sosipatros, Cléopas pour Cleopatras etc);
ainsi Loukios qui provenait du prénom latin Lucius avait donné le
diminutif Loukis. N'aurait-il pas donné également celui de Loukas ?

C'est ce qu'a pensé W.M. Ramsay car sur les deux ex-voto déposés par une
famille dans un temple près d'Antioche de Pisidie, l'un des fils d'abord
nommé Loukios est appelé Loukas sur le second ex-voto. Ramsay a pensé
pouvoir en déduire que Loukas était devenu l'appellation familière du
praenomen Lucius, Loukios en grec(
2).
Loukas se retrouvait également sur un troisième ex-voto comme praenomen
du citoyen romain Loukas Tillius Crito. Comme Loukas n'a pas de substrat
latin précis, de la même manière que Polibius aurait donné Poplas,
Lucius aurait donné Loukios, Loukis et aussi Loukas .
Il y a donc lieu de se demander si Loukas n'était pas le disciple nommé
Loukios dans les Actes des Apôtres. Cette identification de l'un à
l'autre a paru évidente à quelques rares auteurs (
3)
qui ont proposé l'équivalence suivante :
Loukios le Cyrénéen (Ac 13;1)
= Loukios le parent de Paul (R 16:21)
= Loukas le compagnon de Paul, fidèle jusqu'à Rome (2Tim 4:11)
= Loukas le médecin (Col 4:14)
= Loukas le collaborateur de Paul (Philemon 24)
= Le Rédacteur des Actes des Apôtres. (Ac 11:27D)
Loukios et Poumpoumlios
fils de Gamos sur un ex-voto du IIIs.
Sur le second exvoto, Loukios est nommé Loukas
Contre cette évidence se dresserait l' objection de
l'Épître
aux Colossiens:
Au dernier chapitre, parmi d'autres Grecs, Paul nommait Luc, le médecin
bien-aimé, tout en disant trois versets plus haut à propos d'Aristarque,
Marc et Justus:
« Eux qui sont de la circoncision,
les seuls à collaborer avec moi à la Royauté de Dieu, lesquels furent
pour moi un encouragement» (Col 4: 11-14).
Question à deux leptes : par extrapolation devait-on en déduire que Luc
n'était pas Juif et qu'il n'était pas le parent de Paul ?
En fait Paul n'opposait pas ces trois frères Juifs circoncis à des Grecs
incirconcis, puisque Timothée qu'il avait pris le soin de circoncire
(Act 16:13) écrivait la lettre avec lui. Il ne pouvait, tout à coup,
l'avoir oublié et le mettre à l'écart des frères circoncis.
Il rappelait par contre les noms des trois frères Juifs qui lui avaient
donné un encouragement (en effet le premier sens de παρηγορία est une
exhortation, un encouragement, une persuasion). Ils étaient ceux qui
l'avaient encouragé à monter à Jérusalem quand l'entreprise était très
risquée. À contrario, avec des frères de Césarée, l'auteur des Actes,
avait essayé de l'en dissuader (Ac 21:12 et 14D) et Timothée avait
probablement uni sa voix à la sienne. Mais ce fut en vain, et Paul fit
en sorte d'être arrêté dans le temple. Dans sa lettre aux Colossiens,
écrite depuis Rome entre la seconde lettre à Timothée et celle à
Philemon, il fournissait une justification à son emprisonnement en
conférant à ses souffrances un sens (Col 1:24); cela manifeste que le
bien-fondé de s'être laissé arrêter, le préoccupait. Il lui était donc
précieux que trois frères Juifs lui aient apporté leur soutien jusque
dans sa prison dont il espérait sortir après avoir été grâcié.
En définitive affirmer que Luc n'était pas Juif, en se fondant sur
l'épître aux Colossiens, suppose une lecture qui ne s'ajuste pas au Grec
du verset 4:11, et soulève un très sérieux paradoxe concernant Timothée.
Loukios s'était vraisemblablement agrégé aux disciples lors de la
Pentecôte, se laissant interpeller avec tous les présents, par le don
des langues:
«
d'Egypte et des contrées de Lybie rattachées à la
Cyrénaïque, et les résidents Romains, 11 Juifs et aussi prosélytes de
Crète et Arabes nous les entendons énoncer dans nos langues les
merveilles de Dieu».
Plus tard, au contact des frères grecs Epaphras ou Démas, il se serait
laissé dénommer Loukas.
Il aurait informé Barnabé que son parent Paul était en séjour à Tarse,
l'incitant à aller l'y rechercher pour le ramener à Antioche.
C'est vraisemblablement aussi par sa bouche, puisqu'il était prophète,
que l'Esprit Saint mit à part Barnabé et Saul pour les envoyer en
mission (Ac 13:1). Il n'aurait donc pas été pour rien dans la conversion
et l'appel de son parent Paul. C'est avec Jacques, dit le frère du
Seigneur, qu'il aurait obtenu cette conversion (cf
Epître
de Jacques 5.19) .
Il aurait été du premier voyage de Paul et Barnabé en Pisidie. En effet
en Ac 13.14 alors que Paul et Barnabé se trouvaient à Antioche de
Pisidie, Luc parlait de “notre synagogue" et rapportait le discours
qu'avait fait Paul avec une bien étrange exactitude : les allusions
pauliniennes permettent de dater l'événement en fonction de la paracha
lue ce jour là (juillet 44 ou 45) ; elle devait être accompagnée d'une
traduction en grec comme la haphtara correspondante, car le discours de
Paul leur empruntait des termes selon la traduction de la LXX (cf
Ac
13.17-18). Ce discours était, en outre, truffé de thèmes
pauliniens qu'il semble probable que Luc l'ait retranscrit en
l'écoutant. Luc était donc bien un juif; "notre synagogue" manifestait
une synagogue judéo-chrétienne. C'est à peu de distance de là
géographiquement, mais plusieurs années après que, dans le récit des
Actes (Ac 16.10a) resurgit le “nous” dans le codex Bezae. Le rédacteur
des Actes était dans la péninsule de Troas avec Paul au moment où
celui-ci s'apprêtait à quitter la Mysie pour la Macédoine.
• Luc ne venait qu'au troisième rang dans la communauté d'Antioche,
après Barnabé et Simon Niger, plus anciens que lui dans la foi; il
n'avait donc pas été un disciple du Christ; si c'était lui l'auteur de
l'évangile, comment pouvait-il, sans mentir, affirmer
“avoir
tout suivi de manière assidue ”?
• Ouvrier de la dernière heure, survenu plus tardivement que Syméon
Niger, comment pouvait--il prétendre être plus exact dans sa rédaction
que ceux qui, ensemble s'étaient remémorés les paroles et les actes de
Jésus ?
• Comment se permettait-il d'ouvrir l'évangile en Je, sans en référer à
la communauté, alors qu'il parlait en "nous” dans les Actes et se
soumettait à l'autorité ? Il disait en effet:
«Quand il fut décidé que Nous embarquerions pour
l'Italie»; Paul embarquait comme prisonnier, mais lui?
L'impersonnel "il fut décidé" laisse supposer une décision de la
communauté désireuse que Paul ne soit pas seul.
• Paul présentait Luc comme son parent , son médecin et son compagnon
mais s'abstenait curieusement de le nommer lorsqu'il s'agissait de
l'évangile:
« Nous envoyons avec lui le Frère dont la louange
dans l'Évangile [est répandue] dans toutes les Églises, et qui plus
est, a été désigné à main levée par les Églises pour être notre
compagnon de voyage dans cette oeuvre de bienfaisance, que nous
accomplissons à la gloire du Seigneur même, et en témoignage de notre
bonne volonté.» 2 Co 8:18. Paul n'avait fait qu'adopter le
parti pris par l'auteur de ne pas faire figurer son nom dans l'évangile.
• Il n'est pas indifférent que Luc ait consenti à insérer son propre nom
dans les Actes au moment où, abordant les voyages de Paul , il devenait
acteur des évènements, comme il l'exprimait trois chapitres plus loin:
« Nous comprîmes que le Seigneur Nous appelait à
évangéliser ceux de Macédoine.» Ac 16:10D
• Il ne méprisait pas les honneurs :
«
Paul, s'étant rendu vers lui, pria, lui imposa les
mains, et le guérit. Là-dessus, vinrent les autres malades de l'île,
et ils furent guéris. On Nous rendit de grands honneurs, et, à Notre
départ, on Nous fournit les choses dont Nous avions besoin.»
(Ac 28:8-10).
• Alors qu'il avait longtemps fréquenté Paul et Barnabé, la théologie de
la rédemption issue de leur réflexion, n'affleure pas dans son évangile.
• Marc lisait dans les paroles de Jésus contre le temple l'annonce d'une
profanation d'ordre spirituel qui avait failli se produire en 40 avec la
volonté de Caligula d'y faire adorer sa statue.
Sept paroles contre Jérusalem scandent le
Troisième Évangile ; elles sont si étroitement imbriquées au récit qu'il
serait difficile de les en extraire. Les détails sont précis, notamment
l'encerclement de la ville; mais rien sur l'incendie qui ravagea le
temple en 70. Aucune de ces prophéties n'affleure dans les Actes alors
que Luc avait certainement suivi les soulèvements contre les projets de
Caligula.
Comment conjuguer ces paradoxes nombreux avec l'identification de Luc
comme auteur des Actes et de l'Évangile?
Les deux œuvres paraissent unifiées par un même style littéraire , un
même vocabulaire et répondent l'une et l'autre à un même parti-pris
d'authenticité. Mais la personne qui écrivit en “Je” dans le prologue de
l'évangile n'était visiblement pas celle qui écrivait en ”nous” dans les
Actes. Luc a pu unifier par sa traduction en Grec l'ensemble des récits,
mais il ne devenait réellement rédacteur des Actes qu'à partir du
chapitre 13, au moment où il donnait son nom. Un autre fut le rédacteur
et de l'évangile et du début des Actes.
Cette hypothèse trouve une confirmation dans une tradition restée
longtemps orale.
L'AUTEUR DU TROISIÈME ÉVANGILE
Un courant très ancien voyait dans l'auteur du Troisième Évangile non
seulement l'un des Soixante Douze disciples envoyés en mission (Luc
10:1) mais le compagnon anonyme de Cléopas que Jésus rejoignit sur la
route le soir de la Résurrection (Luc 24:13). Cette tradition fut
répercutée par Grégoire le Grand dans sa préface du commentaire sur
Daniel, puis par Théophylacte jusqu'à Jacques de Voragine et
Anne-Catherine Emmerich (
4).
Plusieurs noms lui étaient donnés dont :
Codex Egberti, IXs
- Luc, comme en témoigne l'enluminure du Codex Egberti représentant
Jésus entre Luc et Cléopas.
- Nathanaël, par Épiphane. Jésus avait admiré sa loyauté par ces
mots: “Voici en vérité un Israélite en qui il
n'y a pas de fraude” (Jn 1:45); il avait toutes les
caractéristiques du disciple bien-aimé. Mais Nathanaël n'était qu'un
prête-nom servant à cacher la personnalité de celui qui souhaitait
conserver l'anonymat.
- Jacques. S'appuyant sur les écrits de Paul (1 Co 15:7), la
tradition l'identifiait au frère de Jean. Mais c'était à tort car
Paul ne parlait que d'un seul Jacques celui que l'on appelait le
frère du Seigneur, Ya'akov ha-Tzadik ou Jacques le juste. Il fut le
guide de la communauté de Jérusalem pendant vingt ans, de 42 à 62 et
peut-être même dès la persécution qui suivit la mort d'Étienne, vers
32. Ce parent de Jésus était prêtre. Il aurait même officié un jour
de Kipour en remplacement du grand-prêtre. De fait il était instruit
et appartenait à l'élite. Le Troisième Évangile est effectivement
très axé sur la liturgie du temple; il répond aux intérêts d'un
tenant de la classe sacerdotale.
Si par son austérité Ya'akov ha-Tzadik se rapprochait de la mouvance
Essénienne, partie de sa réflexion s'enracinait dans le mouvement
Sadducéen qui regroupait les grands-prêtres.
«Dieu
est sans tentation du mal et lui-même ne tente personne»
écrivait-il (J 1:13); et en effet Flavius Josèphe disait des Sadducéens:
«Quant à la seconde secte, celle des Sadducéens,
...ils prétendent que Dieu ne peut ni faire, ni prévoir le mal ; ils
disent que l'homme a le libre choix du bien et du mal et que chacun,
suivant sa volonté, se porte d'un côté ou de l'autre» (GJ II,
162).
En outre ,
«les Sadducéens disent qu'il n'y a pas de
résurrection» (Ac 23:8). De classe sacerdotale, Jacques pouvait
être très éloigné de l'idée même de résurrection; il a évité d'en parler
alors qu'il faisait allusion à la mort du Christ et à sa “Parousie””.
Sur le chemin qui le conduisait à
Béthel, en
compagnie de Cléopas, ils avaient été rejoints par Jésus
" mais leurs yeux s'empêchaient de le reconnaître...” (Lc
24:16) et ils durent alors admettre:
“Notre coeur
n'était-il pas couvert alors qu'il nous parlait sur la route, alors
qu'il nous ouvrait les Écritures?“ Lc 24:32 D05
La pierre du sonneur de shoffar

Jacques qui avait vu mourir Jésus était, mentalement, dans
l'impossibilité d'envisager sa résurrection; c'est pourquoi il lui
fallut un certain temps pour que ses yeux se dessillent.
Il mourut en 62 à Jérusalem. Il fut témoin jusqu'au bout, même s'il ne
se donnait pas ce titre; il reçut la couronne de vie, celle du martyr
qu'il exhortait ses frères à rechercher (J 1:12) .
Jacques fut lapidé : l'affirmaient avec Flavius Josèphe , l'auteur de la
seconde Apocalypse de Jacques et Hégésippe. On procédait à une culbute
avant la lapidation. Jésus en avait été menacé à Nazareth. Jacques fut
culbuté depuis le pinacle du temple, ce lieu où prenait place le sonneur
de shofar, qui pour certaines sonneries (teki'ah) se devait d'être
prêtre. Il lui aurait été demandé de s'adresser au peuple pour le
dissuader de suivre le Christ.
Dans le récit d'Hégésippe, s'étant rompu les jambes Jacques adressa
cette prière à Dieu:
«Je t'en prie Seigneur Dieu Père, pardonne -leur, car ils ne savent pas
ce qu'ils font. ». Prière pénitentielle, sacerdotale; elle fut insérée
dans certains manuscrits de Luc, au moment de la mise en croix. "Dieu
Père" revient deux fois dans sa lettre.
Au pied des marches fut retrouvée la pierre du sonneur de shofar, là
même d'où Jacques serait tombé.
L'EPÎTRE DE JACQUES ET LE TROISIÈME ÉVANGILE
D'après son contenu, l'auteur de l'Épître de Jacques était un personnage
qui exerçait l'autorité; il menait une vie austère et réprouvait toute
forme de critique ; il s'en prenait aux riches et aux hédonistes. Le
contenu de la lettre reflète le souci de mettre en pratique l'Évangile.
La corrélation avec celui de Luc est significative , à commencer par
l'écoute effective de la parole :
«Mettez en pratique la parole, et ne vous bornez pas
à l'écouter, en vous trompant vous-mêmes par de faux raisonnements.
Car, si quelqu'un écoute la parole et ne la met pas en pratique, il
est semblable à un homme qui regarde dans un miroir son visage
naturel, et qui, après s'être regardé, s'en va, et oublie aussitôt ce
qu' il était.» Épître de Jacques 1:21-22.
Par ces mots, Il s'exhortait lui-même à être fidèle aux paroles de Jésus
énoncées à son endroit:
"Ma mère et mes frères sont ceux qui écoutent la
Parole de Dieu et qui agissent“.
Il exhortait à prier avec foi:
«La prière fervente du juste a une grande efficacité.»Jc 4:3 et 5:16
La différence de style entre l'épître et l'évangile, à moins que les
deux écrits ne soient pas du même auteur, s'expliquerait par le recours
à des traducteurs différents. l'Épître de Jacques manifeste la même
aisance que l'
Épître aux Hébreux, dont
Barnabé est l'auteur présumé. Par contre, dans l'Évangile et tout au
long des Actes, abondent les tournures empruntées à la Septante ; ce
style est la marque propre de Luc, que ses origines Cyrénéennes
rapprochaient d'Alexandrie, tandis que Barnabé venait de Chypre.
Une même Christologie les unit, sans hiérarchie entre le Christ et le
Père; elle est exempte de la théologie du rachat énoncée dans l'Épître
aux Hébreux et promulguée par Paul. Utilisant l'ambivalence du nom
Kurios qui désigne "Le Seigneur” quand il ne signifie pas “maître”,
Jacques a su inscrire de manière subtile et circonspecte, ce qu'il avait
perçu de l'identité de Jésus. Le choix d'écrire en grec plutôt qu'en
hébreu ou en araméen a pu reposer en grande partie sur cette
considération.
Un lien spirituel fort unit l'épître à l'évangile, car chacun des
versets de l'épître se réfère à un enseignement de Jésus. Jacques
collait à ses paroles et cherchait, non sans une certaine tension, à les
mettre en pratique. Il a essayé d'imiter son recours aux images optant
par exemple pour la langue au lieu de l'oeil.
Écrite à l'intention des tribus dispersées par la persécution qui avait
sévi après la mort d'Étienne, elle pourrait avoir été écrite peu après
la conversion de Paul (33/34) et avant la mise en chantier de l'Évangile
entre 37 et 41.

L'Epître de Jacques
Barnabé était remonté à Jérusalem après son séjour à Antioche et Jacques
pouvait faire appel à lui pour la traduction de sa lettre; puis , dans
les années 37-40 Barnabé fut renvoyé à Antioche où il fit venir Saul.
Parallèlement, sur les conseils de Barnabé (?), Jacques aurait appellé
Luc auprès de lui pour la traduction en Grec de l'évangile qu'il avait
consigné en Hébreu. Il connaissait vraisemblablement les deux langues,
mais il lui fallait s'assurer le concours d'un helléniste.
JACQUES ET JÉSUS
La présence de Jacques se décèle dans l' Évangile à partir du chapitre 9
où les apôtres ayant vu quelqu'un chasser les démons au nom de Jésus se
demandaient s'il y avait “un plus grand qu'eux” (Luc 9:46); sur ces
entrefaits, Jésus envoya en mission 72 autres disciples auxquels les
démons se soumirent.
Si Jacques était l'un d'entre eux, la révélation du Père aux petits (Luc
10:22), le concernait peut-être très directement.
Les Apôtres se disputaient encore lors de la Cène pour savoir qui était
le plus grand. Jacques devait être présent tandis que Judas s'était
retiré. Jésus invitait les plus grands (âgés) présents à se sentir comme
le plus jeune et à se comporter en serviteurs. Comme si la place de
Judas ne serait jamais vacante, Il leur promettait de siéger sur douze
trônes (Luc 22:30 D) pour juger les douze tribus d'Israël.
C'est à Jacques que Jésus apparut le soir de sa résurrection , aux côtés
de Cléopas, célébrant avec eux une eucharistie qui en consacrait le
sens.
Héritier du Christ, il conserva l'anonymat pour ne pas lui faire écran,
alors qu'il présidait l'église de Jérusalem.
Proche de Marie, il sut accueillir son témoignage.
En relatant la métaphore des tentations dans le désert, il montrait que
les tentations auxquelles les hommes sont soumis ne viennent pas de
Dieu.
En plaçant un ange auprès de Jésus en agonie , il transformait l'ancien
combat de Jacob en un réconfort venu de Dieu.
Les références au patriarche Jacob qui scandent l'évangile apparaissent
comme la signature discrète de son auteur.
Sylvie Chabert d'Hyères
© Copyright Juin 2006 - février 2007
NOTES
1 -
Etude
du prologue
2 - Loukas est attesté à Amphipolis de
Macédoine avant l'ère chrétienne, cf. Fraser / Matthew, A Lexicon of
Greek Personnal Names, Oxford 2005 volume IV, p. 108.
Les ex-votos d'Antioche de Pisidie ont été analysés par Sir Ramsay “
The
bearing of recent discovery on the trustworthiness of the New
Testament" , 1915, p.370-84.
3 - Origène, In Rom. Comm.10.39 et Ephrem le
Syrien. Thèse reprise par Adolf Deissmann Light from the Ancient East pp
435-438, 1910, et réactualisée par C. Tresmontant .
4 -
« Il est assez dans les habitudes des écrivains
sacrés, quand ils parlent d'eux-mêmes, d'en parler d'une façon
impersonnelle... Le soin que met saint Luc à taire le nom du compagnon
de Cléophas inclinerait à croire que c'est lui-même » Propos
prêtés à Grégoire le Grand
-
« La minutie et la précision des détails ont fait
croire à quelques-uns que Luc était lui-même l'un des disciples, celui
dont il n'a pas dit le nom...Il en est qui prétendent que l'un de ces
deux disciples était saint Luc lui-même, et que c'est la raison pour
laquelle il a caché son nom. » Propos prêtés à Théophylacte.
- En marge du codex V du IX siècle se lit l'annotation d'un scribe:
"Celui
qui était avec Cléopas était Nathanaël comme le disait le grand
Épiphane dans le Panarion".