JUDA ET JUDAS
La liste des Douze Apôtres s’achève sur un duo, celui des deux Juda :
“Et lorsqu'il fit jour, Jésus héla ses disciples.
Il choisit douze d'entre eux…
Juda de Jacques et Juda Scarioth
celui-là-même qui devint un traître.” Luc 6.13-16
Si Jésus les avait appelés l’un après l’autre ce n’était probablement
pas sans raison tant leur nom allait évoquer le peuple de Juda, le
peuple juif.
Le premier qui allait en illustrer le
Yetzer ha tov, le
penchant au bien connut une grande postérité tant par ses descendants
directs que par sa notoriété comme auteur de l’Epître de Jude ou de
l’Évangile apocryphe de “Didyme Juda Thomas” transmis par les Coptes.
Elle gagna le Moyen Orient, l'Inde et la Chine.
Mais comment ne pas confondre les deux Juda et ne pas identifier
Juda
le frère de Jésus à celui qui devint un traître,
Judas
iScarioth ? Face à cette difficulté, Juda de
Jacques fut nommé Lebbée en Marc et Thaddée en Matthieu.
Juda de Jacques, auteur de l’Épître de Jude, nommé
juste avant Juda
iScarioth dans la liste des Douze, dut
ressentir la trahison de son homonyme de manière très aiguë car derrière
l'épître qu'il a laissée, semble surgir son fantôme. En effet, comment
ne pas évoquer dans ces versets Judas dit
iScarioth dont
la trahison créa un cataclysme parmi les apôtres ?
«
Jude, serviteur de Jésus Christ, et frère de Jacques, à ceux
qui ont été appelés, qui sont aimés en Dieu le Père, et gardés pour
Jésus Christ...
Il s'est glissé parmi vous certains hommes, dont la condamnation
est écrite depuis longtemps, des impies, qui changent la grâce de
notre Dieu en dissolution, et qui renient notre seul maître et
Seigneur Jésus Christ...Des messagers qui n'ont pas gardé leur
dignité, mais qui ont abandonné leur propre demeure... Ils se sont
jetés pour un salaire dans l'égarement de Balaam... Ils sont des
taches dans vos agapes, prenant leurs repas avec vous sans
crainte…C'est aussi pour eux qu'Énoch, le septième depuis Adam, a
prophétisé : Voici, le Seigneur est venu avec ses saintes myriades,
pour exercer un jugement contre tous, et pour faire rendre compte à
tous les impies parmi eux de tous les actes d'impiété qu'ils ont
commis et de toutes les paroles injurieuses qu'ont proférées contre
lui des pécheurs impies.... ».
Juda était le frère consanguin de Jacques, appelé le "frère du Seigneur”
; tous deux étaient des
“frères de Jésus”
non point ses frères consanguins mais ses cousins, fils d'un frère de
Marie. En effet ils étaient prêtres et relevaient comme elle, dans la
tribu de Lévi, de la classe sacerdotale, à la différence de Jésus
reconnu de la tribu de David.
L'apôtre
Jude par El GRECO 1606, Tolède, Museo del Greco
Comme son frère Jacques, Jude connut une grande notoriété
,
mais sous différents noms que la tradition ne s'est pas souciée
de relier les uns aux autres.
1 ) Juda surnommé Barabbas,
Le Fils du Père,
Juda fut surnommé Barabbas,
fils du père (Ac15.22D05 ;
Barsabbas
fils du Sabbat, autres manuscrits); avec Silas il
fut envoyé par son frère Jacques appuyer la démarche de Paul à Antioche
vers 48-50 ; Juda et Silas étaient des “guides et des prophètes” (Ac
15:22, 27 et 32), et leur rôle, en quelque sorte, était de maintenir,
sous l'impulsion de Jérusalem, la cohésion entre les différentes
communautés. Si les Actes n'en disent pas plus, ils mettent en évidence
la confiance de Jacques à l'égard de Juda et réciproquement.
2 ) Didyme Juda Thomas
Juda qui était l'aîné de son frère Jacques, avait le même âge que Jésus
et il fut appelé son jumeau.
Un évangile de tendance gnostique écrit en copte et retrouvé à Nag
Hammadi débute sur ces mots :
"Voici les paroles cachées que Jésus le vivant a dites et qu’a
écrites Didyme Juda Thomas”.
D'où le nom d'Évangile de Thomas donné à cet écrit. Didyme et Thomas
signifient jumeau respectivement en grec et en hébreu. Ce personnage
s'appelait donc Juda et il était doublement qualifié de jumeau.
Le logion 13 de l'ouvrage en dit un peu plus sur lui :
Jésus dit à ses disciples : Comparez-moi, et dites-moi à qui je
ressemble. Simon Pierre lui dit : Tu ressembles à un ange juste.
Matthieu lui dit : Tu ressembles à un homme philosophe sage. Thomas
lui dit : Maître, ma bouche n’acceptera absolument pas que je dise à
qui tu ressembles. Jésus dit : Je ne suis pas ton maître puisque tu as
bu ; tu t’es enivré à la source bouillonnante que moi j’ai mesurée. Et
il le prit, se retira, lui dit trois paroles. Lorsque Thomas revint
vers ses compagnons, ils lui demandèrent : Que t’a dit Jésus ? Thomas
leur dit : Si je vous dis une des paroles qu’il m’a dites, vous
ramasserez des pierres et vous me les jetterez et un feu sortira des
pierres et vous brûlera.”
Ce logion fait suite au logion 12 sur Jacques le frère du Seigneur et ce
sont les seuls personnages de l'entourage de Jésus à avoir leur nom dans
cet évangile ; il est clair que ce Thomas là est le même que Didyme Juda
Thomas présenté comme auteur de cet évangile et qu'il n'est autre que
l'apôtre Juda de Jacques. Cependant, il y a dans la liste des Douze
apôtres un autre Thomas/Didyme, à qui les découvreurs de l'évangile de
Thomas ont pensé, bien qu'il n'ait pas porté le nom de Juda.
Dans l'évangile de Jean le nom de Thomas apparaît à différentes reprises
(chapitres 11.16 ;14.8; 20.24 ; 21.2). et en étudiant son personnage, J.
Riley (
Resurrection Reconsidered: Thomas and John in Controversy
Augsberg Fortess, 1995) a relevé l'opposition que manifestait
l'évangéliste Jean à l'égard du mouvement gnostique ; elle est bien
sensible, en effet, dans l'épisode de
la
résurrection de Lazare ou encore dans cette question de Thomas :
Seigneur,
nous ne savons pas où tu vas. Comment connaîtrions-nous la route ?
Il se défendait de connaître l'invisible tandis que les
gnostiques estimaient avoir accès à la connaissance du monde spirituel.
Mais voyant et touchant Jésus qui lui apparaissait ressuscité, Thomas
devenait le témoin privilégié de sa résurrection dans la chair, mais à
laquelle la Gnose n'adhérait pas.
Thomas aurait eu ses propres disciples selon
Jn
11.16 D05 . Et c'est tout un mouvement judéo-chrétien gnostique
qui se recommandait de lui à la fin du Ier siècle, le prenant comme tête
de file et composant l'Évangile de Thomas qui nous est parvenu en copte.
3) Juda - Thaddée à Édesse
Le séjour de Juda à Édesse, où il aurait fondé la première communauté,
repose sur des sources diverses mêlées de légendes.
Bar Hebraeus avait dressé une liste des premiers épiscopes d'Édesse: Se
seraient succédés Juda suivi de Marès l'un des 70 disciples, puis Abres
un parent de Marie, Abraham fils ou petit fils de Jacques, Jacob parent
de Joseph (cf. Assemani
Bibliothèque Orientale II 387cité par
JP Deramey, l'Église d'Edesse, 1897).
Ainsi, pour la tradition, la fondation de l'église d'Édesse remontait à
Juda, le frère de Jacques. Nommé Thaddée dans l'évangile de Matthieu il
apparaît dans les écrits syriaques sous les noms de Thaddaï, Addaï ou
Aggaï quand, sous ces noms, il n'est pas considéré comme un délégué de
Thomas.
Sa présence à Édesse est attachée à une
lettre
de Jésus (recopiée et traduite par Eusèbe de Césarée) en réponse
au souverain d'Édesse, Abgar qui lui avait demandé de venir le guérir.
Jésus lui aurait envoyé sa réponse par Thaddaï (Juda Thomas).
À cette légende de la lettre, s'en est attachée une autre connue par la
Doctrine d'Addaï : Jésus aurait envoyé son portrait à Abgar comme
susceptible de le guérir.
En fait les légendes de la lettre et du portrait furent créées pour
recouvrir et cacher une réalité “autre“ : la ville d'Edesse se trouvait
en Osroène dont le souverain était favorable à la communauté juive qui
s'y était fortement développée. Des Chrétiens purent y trouver refuge
lors de la guerre contre Rome en 70 et en 134 et c'est là qu'il fut jugé
bon de préserver le linceul du Christ qui, selon l'Évangile aux Hébreux,
avait été remis à celui des Douze qui était prêtre, à savoir Juda. C'est
lui qui aurait introduit le linceul à Édesse secrètement. Jamais cette
introduction ne fut rendue publique et lorsqu'il fut retrouvé dissimulé
dans le fronton d'une porte de la ville après l'inondation de 525 il fut
présenté replié sous la forme du “
mandylion”,
une image non faite de main d'homme.
Histoire du mandylion à Édesse
(peinture de 1733).
4 ) Thomas et l'Inde
Sous le nom de Thomas, il aurait évangélisé la Mésopotamie, la Chaldée,
la Perse, l'Inde et jusqu'en Chine avant de mourir à Calaminè (cf.
Assémani, Bibliothèque Orientale). Son corps aurait été ramené à Édesse
(en 232). Cette tradition a donné lieu aux Actes de Thomas remontant au
IIIe siècle, écrits en Syriaque dans la région d'Édesse et de caractère
gnostique. Son auteur le nommait Jude Thomas mais l'identitfiait-il au
onzième de la liste, Juda de Jacques, ou au huitième, Thomas ? Rien ne
dit qu'il ait été certain de son identité.
Des communautés juives étaient installées au Sud de l'Inde et au Kérala
et il est bien possible qu'une mission de Judéo-chrétiens s'y soit
déployée comme en Osroène. Les Chrétiens du Malabar et de Kerala sont
regroupés sous la dénomination Chrétiens de saint Thomas.
croix en granit du Kerala,
église Catholique Syro-Malabar d'Angamaly
Ainsi Juda de Jacques et frère de Jacques, cousin du Seigneur, connut
une telle notoriété que lui fut attribuée la première évangélisation de
l'Orient. Comme pour son frère Jacques, son caractère sacerdotal a pu
lui servir pour s'imposer. Très attaché au Judaïsme comme au Christ,
après la mort de son frère en 62 et la guerre contre Rome en 70, il
aurait appartenu à une communauté judéo-chrétienne dont il aurait été le
chef de file et qui aurait été très influencée par les mouvements juifs
gnostiques. Gardant le linceul de Jésus, il l'aurait entreposé lui-même
ou fait entreposer à Édesse pour l'y préserver. Il aurait poursuivi sa
route par la Perse, jusqu'en Inde.
Judas Scarioth, celui-là-même qui devint un traître. Luc
6.16 D05
C'est par tirage au sort que Judas était devenu l’intendant du groupe
des apôtres, son ”diacre” au sens propre du terme (Ac 1.17). Tenant la
bourse commune (Jn 13.29), il lui revenait d’acheter les denrées
susceptibles d’assurer leur subsistance. D’où son nom Scarioth de
l'hébreu סכר, acheter. Le terme allait prendre un
iota
supplémentaire
iScarioth correspondant à l'hébreu יסכר pour
celui qui
se laissera acheter par les grands prêtres quand
ils lui proposeront une rançon (
Lc 22.3-5). Entre ces
deux moments rien d’autre le concernant n’a fait l’objet de dires des
évangélistes ; mais il se pourrait bien que nombre d’avertissements
donnés par Jésus le visaient, lui, plus particulièrement.
Car le premier des Douze et le dernier pourraient avoir été directement
concernés par ces paroles :
Celui qui me niera devant les hommes, sera nié devant les envoyés de
Dieu. Et quiconque proférera une parole contre le Fils de l'homme, il
lui sera remis, mais contre l'Esprit Saint, il ne lui sera pas remis,
ni en ce siècle, ni en celui à venir. Luc 12.9-10 D05
Vient à l’esprit le triple reniement de Pierre et la trahison de Judas.
Il s’agissait alors d’un avertissement et non d’une condamnation.
Judas par Philippe de Champaigne
(Louvre)
Pourquoi
Judas a-t-il trahi Jésus ?
À cette question nombre d’écrits ont souhaité apporter une réponse comme
l’Évangile de Judas. Ne serait-elle pas à rechercher dans
l’Évangile lui-même ?
L'économie
Au sein des Douze, il avait reçu la diaconie du groupe par tirage au
sort.
«Lui qui avait été
compté parmi nous, Il tira le sort de cette diaconie (ἔλαχεν τὸν
κλῆρον τῆς διακονίας ταύτης)» Ac 1.17
Cependant la dernière phrase n'est pas traduite littéralement mais elle
est interprétée
:
«il reçut sa part
de notre ministère»; le tirage au
sort est évacué, et le changement du démonstratif
cette, par
le pronom
notre gomme la
différence entre le ministère apostolique confié à chacun des Douze
Apôtres et le service exercé au sein du groupe. Judas en avait reçu la
diaconie
c'est à dire l'intendance ; elle n'était pas à confondre avec son
élection par Jésus au sein des Douze (Lc 6,16).
Jésus n'avait pas considéré avec mépris cette tâche et il n'avait pas
non plus laissé Judas l'exercer tout seul. En effet lors de la dernière
Cène il disait devant tous :
«Moi en effet, au
milieu de vous je suis venu non comme l'attablé mais comme celui qui
sert (diaconôn). Aussi croissez dans mon service (diaconia) comme
celui qui sert, vous qui persévérez avec moi dans mes épreuves; »Lc
22:28
Soucieux de l'économie, il se pourrait que les pressants appels de
Jésus à renoncer aux richesses aient été réitérés à son intention.
L'économie a pu exercer un rôle dans la trahison elle-même, mais pas le
tout premier rôle ; les Synoptiques ne s'accordent pas sur ce point et
il convient de mettre en relief leurs différences.
Luc XXII
|
Matthieu XXVI
|
Marc XIV |
4 Et s'en allant, il s'entretint
avec les grands-prêtres sur la façon dont il le livrerait. 5 Et
ils se réjouirent et ils convinrent de lui donner de l'argent. 6
Et il donna son accord ; aussi cherchait-il une opportunité pour
le livrer à l'écart de la foule.
|
14 Alors l'un des douze, appelé Judas
Iscariote, s'en alla vers les grands prêtres, 15 et dit:
Que voulez-vous me donner, et moi, je vous le livrerai?
Et ils lui comptèrent trente pièces d'argent. 16 Et dès lors, il
cherchait une bonne occasion pour le livrer.
|
10 Et Judas Iscariote, l'un des
douze, s'en alla vers les grands prêtres pour le leur livrer; 11
et ceux-ci, l'ayant entendu, s'en réjouirent et promirent de lui
donner de l'argent; et il cherchait comment il le livrerait
commodément.
|
Selon Matthieu, Judas réclama d'emblée une rançon qui lui fut versée
incontinent, avant même qu'il ait rempli son office ; une telle attitude
de la part des autorités est peu logique.
Par contre, selon Marc et Luc ce sont les grands prêtres qui lui
promirent de l’argent pour s’assurer, probablement, qu’il ne reviendrait
pas sur sa décision.
Luc s'est servi du verbe συντίθημι aux
sens multiples : promettre, machiner et ourdire,
ou bien convenir, fixer par contrat. Ce dernier sens serait
à retenir puisque dans sa réponse avec le verbe ὁμολογέω, Judas
donnait son accord en prenant un engagement.
Il apparaît donc que ce sont les autorités religieuses qui prirent
l'initiative de verser une rançon. Et même si Judas avait pensé en
réclamer une, ce n'était pas le motif premier qui le conduisit à trahir
Jésus. Il était mu par une autre pulsion, un sentiment profond à propos
desquels Luc a pu laisser quelques indices.
Homme et femme
La chronologie des événements est capitale car à travers elle peut se
lire l’enchaînement des faits et les conséquences des uns sur les
autres. Et si Satan avait pu entrer en Judas à un moment bien précis,
c’est parce que les circonstances lui avaient été alors favorables. Et,
en effet, la trahison de l’apôtre est précédée de l’épisode de la femme
adultère qui s’inscrit en Luc à la césure des ch. 21/22 dans les seuls
manuscrits de la série
f13
:
Et Jésus se rendit au mont des oliviers; or dès l'aurore à nouveau
il vint au Temple et lui amènent de force les scribes et les
pharisiens, une femme saisie sur l'adultère ; et la plaçant au milieu
ils lui dirent : “Rabbi, cette femme là a été prise en flagrant délit
d'adultère. Or dans notre Loi, Moïse a intimé de lapider de telles
(femmes). Or toi que dis-tu d'elle? Ils disaient cela pour l'éprouver
afin d'avoir une accusation contre lui. Mais, Jésus se baissant
écrivit du doigt sur le sol; or, comme ils restaient à l’interroger,
levant les yeux il leur dit: “Celui qui est sans péché parmi vous, le
premier qu'il jette une pierre sur elle.” Et à nouveau se baissant, du
doigt il écrivit sur le sol. Et ils sortirent un par un commençant par
les plus anciens, jusqu'aux derniers. Aussi Jésus fut-il laissé seul
ainsi que la femme qui était au milieu. En levant les yeux, Jésus la
vit et dit : femme Où sont-ils? Personne ne t'a condamnée? Elle lui
dit: Personne seigneur. Et Jésus lui dit: Moi non plus je ne te
condamne pas. Va, ne pèche plus. (Luc 22) 1 Approcha alors la fête des
azymes, celle dite Pâque. 2 Or les grands-prêtres et des scribes
cherchaient comment ils le perdraient ; ils craignaient le peuple. 3 -
Or Satan entra en Judas, celui appelé Scarioth, du nombre des Douze…
En annonçant que Satan était entré en Judas, Luc établissait une
analogie avec les premiers parents tentés par le serpent. C'est pourquoi
cette péricope, écrite par Luc, s'est retrouvée plus tard en Jean, en
illustration du péché des origines dans son chapitre VIII; dans certains
manuscrits elle se retrouve en fin de son évangile après le chapitre 21.
Selon la chronologie offerte par la série
f13,
la femme adultère qui rentrait chez elle — sur la simple promesse de ne
pas recommencer — pourrait avoir été l’élément déclencheur de la
trahison.
Jésus avait repoussé le moment de répondre à ces hommes, scribes et
pharisiens, qui citaient la femme devant lui, car ils allaient se
prendre à leur propre piège. Ils durent quitter la place les uns après
les autres en faisant profil bas ; c'est pourquoi Ils cherchèrent à
effacer leur déshonneur. Judas pouvait avoir assisté à la scène et être
habité des mêmes sentiments. Ne supportant plus les positions et les
actes de Jésus qui avait agrégé des femmes à leur groupe dont Marie
Madeleine une ancienne prostituée, il se serait rendu auprès des grands
prêtres pour mettre fin, en le leur livrant à un enseignement irritant,
voire dangereux.
Le champ mal acquis
Le sort de la rançon et du traître suivent deux shémas différents selon
que la lecture en soit faite en Matthieu ou dans les Actes des Apôtres.
Selon Matthieu, Judas ne serait pas allé au bout de sa trahison,
reversant l'argent de la rançon, aux autorités. La somme était de 30
statères selon Mt 26.15D05, d'argent selon Mt 27.3 équivalant à l'achat
de deux esclaves ; une faible rançon.
Selon le discours de Pierre gardé dans les Actes des Apôtres, Judas
avait acquis un domaine ou un champ (χωρίον) avec la fortune issue de la
rançon et celle-ci devait être d'une certaine importance. Au lieu de
manifester un remords quelconque, il chercha à jouir (au moins un temps)
de son accès à la propriété. Une telle attitude avait due être bien peu
supportable aux autres apôtres.
Le discours de Pierre a été rapporté par Luc dans une traduction très
littérale qui garde l'empreinte du discours oral par des sémitismes
marqués.
Or, comme Pierre, Matthieu donnait au champ acquis avec la rançon le
surnom araméen
Akeldaimach;
il gardait lui aussi l'expression sémitisante “
ce
qui est (le champ du sang)” en D05, au lieu de celle
attendue
”ce qui se traduit par (le champ du sang)”;
il resservait ce sémitisme dans deux autres phrases similaires du même
chapitre XXVII (aux v 33 et 46 et selon tous les manuscrits). Elles sont
directement issues du parallèle de Marc qui, lui par contre, avait
employé
“ce qui se traduit par”, une expression que Matthieu
avait utilisée très naturellement en 1.23.
En ayant recours trois fois au sémitisme rencontré dans les Actes, dont
deux fois dans des versets parallèles à ceux de Marc, Matthieu
manifestait qu'il avait fait des emprunts à Marc et à Luc alors qu'on ne
saurait dire l'inverse. Il connaissait donc bien l'œuvre de Luc et se
situait par rapport à elle. Ces versets en sont la preuve manifeste.
Chute ou pendaison ?
De la mort de l'apôtre deux récits ont été transmis, et il ne faut pas
s'étonner qu'ils soient eux aussi contradictoires :
Selon Matthieu, Judas trahissait pour obtenir une rançon de 30 pièces
d'argent qui lui furent versées immédiatement et avant même d'avoir
livré Jésus. Et voyant que Jésus était conduit devant Pilate, il fut
pris de remords et alla rendre l'argent avant de se pendre. Les grands
prêtres se saisirent de la rançon pour la convertir en un cimetière à
l'intention des étrangers. Un lien rédactionnel était à établir avec le
champ de Ben Hinnom ou géhenne, au chapitre XIX du Livre de Jérémie.
L'autre relation a été faite par Pierre dans son premier discours des
Actes des Apôtres au moment où il cherchait un remplaçant à Judas.
Celui-ci n'avait pas attendu pour utiliser l'argent de la rançon et
acquérir un domaine ; malheureusement pour lui, il y fit une chute
mortelle, s'écrasant sur ce terrain mal acquis où il laissait se
répandre ses viscères. Était-il tombé par accident ? Sa mort honteuse ne
répondait-elle pas à un châtiment divin ? Sa chute aurait-elle été
provoquée dans le dessein d'une lapidation qui devait s'en suivre ?
L'allusion de Pierre à Judas était si succincte qu'elle suscitait toutes
sortes de questionnements sans en résoudre aucun.
Pour endiguer les questionnements suscités par les propos de Pierre,
Matthieu a pu être incité à écrire un nouveau récit.
Au
personnage volontaire, sombre et félon qu'était Judas, il substitua un
être faible, aisément manipulable et qui se donnait lui-même la mort. La
responsabilité de ses actes était reportée sur les autorités
religieuses. Toutefois, en reprenant la malédiction que Marc avait
prêtée à Jésus “
bon pour lui si cet homme là n'était pas né”,
il plaçait Judas dans les réprouvés et faisait du suicide un acte
maudit, digne de la géhenne.
Il ressort des récits sur le champ mal acquis et la mort de l'apôtre une
incompatibilité au niveau historique, même si la tradition a fait en
sorte de les harmoniser. Celui de Matthieu est un conte. Celui de
Pierre, transmis par Luc, traduit des faits dont la tradition à cherché
à se garder.
Jésus
Christ Super Star .
Pourquoi Jésus avait-il choisi Juda comme apôtre?
Les réponses esquissées en réponse à cette question tendent à atténuer
les responsabilités de l'apôtre, comme c'est le cas des écrits
apocryphes. Pour l’avoir choisi, Jésus le connaissait au même titre que
Pierre à qui il prédit son reniement. S’il avait souhaité l'arracher à
lui-même au sexe et à l’argent, ne suffisait-il pas qu’il soit son
disciple, sans qu'il ait à s’intégrer nécessairement aux Douze ?
Jésus l'avait librement choisi, élu comme l'un des Douze au risque, même
du scandale, Judas ne se résumant pas à sa félonie.
Les fils de ce monde sont plus habiles envers leur génération que
les fils de lumière. Lc 16.9.
Ne craignant pas de se heurter à l'échec, Jésus concédait à Judas d'être
une image de la liberté consentie par Dieu à ses créatures.