JÉSUS S'ESTIMAIT-IL PRÊTRE ?
Le Messie “Fils de David” était annoncé comme un messie aux prérogatives
royales ; s'accompagnaient-elles également de prérogatives sacerdotales
?
Le roi Salomon, (comme vraisemblablement David avant lui), avait exercé
le sacerdoce , en complémentarité avec les prêtres issus de la tribu de
Lévi et auxquels il revenait d'offrir les sacrifices et de bénir le
peuple (cf. 1 Rois 8.5 ,14 & 55).
Ensuite, les rois Asmonéens exercèrent comme grands-prêtres, parce
qu'ils étaient d'ascendance sacerdotale.
Or Jésus que disait-il de lui-même ? S'estimait-il prêtre ?
Aucun rôle sacerdotal n'est dénié à Jésus dans les évangiles de Marc et
Matthieu, ni dans celui de Jean. Par contre, en Luc, la vie de Jésus se
déroule dans un contexte sacerdotal ; c'est donc à ce texte qu'il
convient d'avoir recours pour tenter de répondre à la question posée.
Gesu
Docente,
A douze ans, Jésus qui était déjà dans sa treizième année -
Rome,
Museo Nazionale
année de sa bar-

miztva
- monta à Jérusalem pour la Pâque; il accédait à la vie d'adulte et il
resta au temple où il surprit
les
Docteurs de la Loi. Il y était resté à l'insu de ses parents
qui ne réalisaient pas vraiment qu'il n'était plus un enfant puisqu'ils
lui dirent en le retrouvant :
"Enfant, pourquoi nous as-tu fais cela? Ton père et
moi, tristes et angoissés nous te cherchions”
Il leur répondit:
«Ne savez-vous pas que parmi LES de mon Père il me
faut Être?»
L'article
LES , un pruriel masculin ou neutre
, a la valeur d'un pronom personnel représentant une entité nommée
précédemment dans le texte. A ses parents qui l'avaient cherché parmi
ses parents et proches, il répondait qu'il lui fallait être parmi les
proches de son Père. À qui faisait-il allusion, sinon aux docteurs de la
Loi ? Il avait souhaité demeurer au milieu des “familiers de son Père”,
Grands-Prêtres, Rabbins, Pharisiens, Scribes et Légistes.
Mais Luc ajoutait que ses parents ne comprirent pas sa réponse. Que se
refusaient-ils donc à saisir:
Qu'il entrait dans l'âge adulte? Que Dieu est son Père?
Ou bien ne comprenaient-ils pas sa revendication à se retrouver au
milieu de la classe sacerdotale, lui qu'on considérait comme "Fils de
Joseph” de la tribu de David et non de celle de Lévi?
Toujours est-il que les traductions , sans égard aux personnes préfèrent
les affaires de mon Père, quand ce n'est pas,
la maison de mon Père.
Cet épisode avait été rédigé en étroite connection avec le récit des
deux disciples qui le soir de la résurrection se rendaient vers un
village nommé Oulammaus (
Luc 24:13 ).
La plongée de Jésus dans les eaux du Jourdain est à mettre en relation
avec le bain que prenait le grand-prêtre avant son onction sacerdotale;
en effet, alors que Jésus remontait des eaux du fleuve, l'Esprit Saint
manifestait l'amour du Père sous la forme de la “bat-kôl”, le
roucoulement de la colombe, disant :
”Tu es mon Fils,
Moi aujourd'hui je t'ai engendré.” Lc 3.22 (D et It). Cette
parole était issue du Psaume 2 relatif à l'intronisation du Messie sur
Sion.
En outre l'engendrement divin renvoyait aux paroles de l'annonciation
révélant le caractère royal et sacerdotal du Christ, puisque Fils de
Dieu était un titre assumé par le souverain exerçant le grand
pontificat.
Or l'épisode a été relu à la lumière de Paul qui y voyait une annonce de
la mort et de la résurrection du Christ ( Ac 13.33). C'est en ce sens
que la citation du psaume fut retouchée.
"Tu es mon
fils bien-aimé, en toi j'ai mis ma complaisance", le bien aimé
étant une allusion à Isaac qu'Abraham son père s'apprêtait à sacrifier.
Il convient donc de revenir au texte occidental, le plus ancien, pour
comprendre le sens initial de l'épisode.
Jésus s'est refusé à adopter pour lui-même le titre "Fils de Dieu”
puisqu'il interdit à Pierre de dire à quiconque qu'il était le “Messie
Fils de Dieu”. Il s'est donné à lui-même un titre unique, “ Fils de
l'homme”, (à ne pas confondre avec “Fils d'homme”).
Lorsque les membres du Sanhédrin lui demandèrent s'il était fils de
Dieu, Jésus ne dénia pas, mais sa réponse était empreinte de réserve,
"Vous
vous
dites que Je [le] Suis"; il laissait à ses interrogateurs la
responsabilité de leurs paroles. Mais sa réponse était à double sens ,
car à travers elle il déclinait son
identité divine.
Jésus les avait déjà interrogés sur un autres titre du Messie :
Comment dit-on le Christ fils de David , puisque celui-ci
l'appelle seigneur? (Lc 20:41).
En rappelant le premier verset du Psaume 110, Jésus faisait appel,
implicitement, à son quatrième verset «
Tu es prêtre
pour toujours selon l'ordre de Melchi-Tsédek»
Melki-Tsédek signifie "roi de Justice" et c'est un attribut divin. Selon
le Psaume, le Messie devait exercer un sacerdoce éternel et de "lignée
divine".
L'auteur de l'épître aux Hébreux semble avoir pris le titre Melchitsédek
pour le personnage énigmatique du livre de la Génèse ; il a ainsi opposé
son ordre à celui d'Aaron qu'il estimait caduc.
Mais selon la parole du psaume, le Christ est prêtre, non point selon
l'ordre de l'énigmatique Melchitsédek rencontré par Abraham, mais selon
l'ordre divin puisque Roi de Justice ne peut être que Dieu lui-même.
C'est donc dans sa relation au Père que le Christ assumait le sacerdoce.
Le chapitre VI de l'évangile de Luc s'ouvre avec la cueillette d'épis de
blé par les disciples; ils touchaient aux prémices de la récolte
exclusivement réservées aux prêtres. Jésus les justifia en prenant un
exemple dans la vie de David qui, oint par Samuel, avait pris les pains
d'oblation et les avait partagés avec ses compagnons, s'attribuant ainsi
les prérogatives des prêtres. En se fondant sur cet exemple, Jésus
associait l'héritage sacerdotal à l'héritage royal.
Aux Pharisiens l'informant qu'Hérode cherchait à le faire mourir, Jésus
répondit par une phrase étrange qui constitue un rebus:
«"Allez dire à ce renard :
'Voici, je jette dehors
les démons. Je fais des guérisons aujourd'hui et demain. Le troisième
jour, je me consacre".
Ce dernier verbe dans l'expression littérale "avoir les mains remplies"
était attaché à la consécration du grand-prêtre; il revient neuf fois
dans les cinq livres de la Torah et ne s'y rencontre pas en dehors de
cette expression:
«Le grand-prêtre qui est au-dessus de ses frères, sur la tête duquel a
été répandue l'huile d'onction, et qui a été consacré (qui a eu les
mains remplies) et revêtu des vêtements (sacrés), ne découvrira point
sa tête et ne déchirera point ses vêtements.»Lev 21:10 .
L'emploi du verbe, même seul, en Luc, incite à conclure que Jésus
faisait allusion à sa consécration sacerdotale.
Au jour du procès, en lien avec cette parole, et par dérision, Hérode
jeta sur lui un manteau “resplendissant” , évoquant le manteau du
grand-prêtre serti de pierreries, avant de le renvoyer à Pilate (Luc
23:11); de cette manière il manifestait au préfet romain qu'il
abandonnait certaines visées. Et en effet ce n'est qu'après le départ de
Pilate qu'il entreprit une nouvelle démarche pour tenter d'obtenir la
royauté.
Revêtu d'un manteau royal tissé de fils d'argent scintillants au soleil,
Hérode Agrippa I eut une attaque dont il ne se releva pas. Ses
prétentions messianiques l'avaient fait qualifier de “dieu” (AJ XIX
345).
Le manteau resplendissant était investi d'une dimension certes royale,
mais aussi messianique et sacerdotale.
Prononcer une bénédiction sur des personnes en levant les mains sur
elles, était du ressort des prêtres au premier siècle. C'était un acte
sacerdotal par nature. Jésus ressuscité l'accomplit avant de se séparer
de ses disciples :
«Et levant les mains il les bénit. Et il advint alors
qu'il les bénissait...» Lc 24:51.
De quelle nature était la bénédiction prononcée par Jésus sur ses
disciples au moment de se séparer d'eux ?
Il les avait conduit sur les hauteurs de Béthanie; c'est là en effet
qu'il avait été acclamé roi :
" Béni soit celui qui vient dans le Nom du Seigneur!
Béni soit le roi ! Paix dans le ciel et gloire dans les hauteurs!"Lc
19.38 D .
Le roi Salomon en son temps avait, lui aussi, prononcé une bénédiction
en élévant les mains vers le ciel au dessus du peuple (1R 8,22); de par
son onction royale et sans se substituer aux prêtres, il avait exercé un
rôle sacerdotal complémentaire au leur, adresssant une longue prière à
Dieu.
Mais Luc n'a pas rapporté de paroles de Jésus. C'est peut-être bien
parce qu'il avait prononcé la bénédiction sacerdotale réservée aux
prêtres et qui ne varie pas :
" IHVH-Adonaï te bénit, il te garde. IHVH-Adonaï
illumine ses faces vers toi, il te gracie. IHVH-Adonaï porte ses faces
vers toi, il met en toi la paix. " Nb 6.24-26.
Si Jésus avait béni ses disciples en son nom propre, on peut comprendre
que Luc, pour des raisons de prudence, se soit abstenu d'en faire part.
Les Prêtres
dans l'évangile
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Luc dédicaçait son oeuvre à l'excellent Théophile. Or le seul officiel
connu à avoir porté ce nom en Judée au Ier siècle n'était autre que le
grand-prêtre fils d'Hanne qui exerça le pontificat de 37 à 41. Il aurait
apporté sa caution à l'évangéliste pour que son oeuvre soit rendue
publique.
Puis Luc introduisait son lecteur dans le Temple de Jérusalem à la suite
du prêtre
Zacharie, dans l'accomplissement de
sa vie sacerdotale: frappé de silence à sa sortie du sanctuaire il
retrouva la parole en annonçant:
« Le Seigneur fait
grâce » ou l'énoncé du nom de son fils. En effet Jean en Hébreu
signifie
YH-fait grâce.
Le troisième prêtre rencontré était Syméon, plus connu sous
l'appellation "le vieillard Syméon”. Si Luc ne disait pas qu'il était
prêtre ni de quelle classe il relevait, il ne devait guère faire de
doute dans son esprit que son lecteur identifierait très vite en lui un
prêtre puisqu'Il bénissait les parents de Jésus, dans un geste
sacerdotal. Cet homme habitant de Jérusalem, qu'il qualifiait de
juste
et pieux, apte à prophétiser, lui apparaissait peut-être comme le
portrait vivant de Simon , frère de Judas Maccabée et fondateur de la
dynastie Hasmonéenne, ou plus encore de Simon le Juste fils d'Onias. Or
au moment de la naissance de Jésus, un personnage susceptible de
rappeler ces personnalités pour avoir, lui aussi laissé son nom dans
l'Histoire, était Simon fils de Boéthos et grand-prêtre de 22 à 5 av.JC
. Il présida à la reconstruction du temple et en particulier à celle du
Sanctuaire par les prêtres eux-mêmes en l'espace de dix-huit mois (AJ,
15. 11.6). On sait peu de choses sur lui, sinon qu'il était le beau-père
du roi et que ses fils lui succédèrent. Avant qu'il n'accède au
pontificat, Simon fils de Boéthos était déjà, selon Josèphe, un
Hiérosolomytain, ou citoyen de Jérusalem et un notable parmi les
prêtres.
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Que ce soit lui,
Siméon Boéthos qui, à la porte de Nicanor limitant le parvis des
femmes, ait reçu dans ses bras l'enfant Jésus pour le présenter
au Seigneur est une hypothèse plausible.
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Le quatrième prêtre de l'évangile était le grand-prêtre Hanne et le père
de Théophile nommé dans le prologue; il est vraisemblable qu'il avait
reçu le pontificat à vie de la part du sanhédrin; mais cette décision
n'avait pas été ratifiée par l'autorité romaine. Cependant, il exerça
lepouvoir à l'intérieur du temple jusqu'à sa mort (vers 34 AD). Cinq de
ses fils lui succèderont comme s'il s'agissait d'une dynastie. Le
cinquième était Caïphe institué par le pouvoir romain.
Jésus leur avait donné à entendre que la "vigne du Seigneur" allait être
confiée à d'autres (Luc 20:16). Parole elliptique. Matthieu en conclut
que c'était à une autre nation, et l'auteur de l'épître aux Hébreux à
une autre dynastie sacerdotale.
En pénétrant dans le temple l'année de ses trente ans , Jésus reprit à
son propre compte la prophétie d'Isaïe:
« CAR MA MAISON EST UNE MAISON DE PRIÈRE»
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Ci-contre la pierre de faîte de l'angle Sud
Ouest d'où était sonné le shofar indiquant le début du Sabbat
et des jours de fête.
L'inscription en Hébreu sur la partie supérieure gauche était
une indication, à l'intention des ouvriers, sur la destination
du bloc:
Lévéite ha tékia
= endroit de la
sonnerie.
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Jésus avait recommandé à ses disciples de ne pas s'éloigner de Jérusalem
et c'est au temple qu'ils se retrouvèrent pour louer le Seigneur.
Celui qui marchait en compagnie de Cléopas le soir de la Résurrection
était apparemment Jacques le frère du Seigneur et le guide de la
communauté de Jérusalem. Il semble qu'il ait été
prêtre.
Précipité depuis la pierre d'angle par ordre du grand-prêtre Anan, il
dit en mourant
« Je t'en prie Seigneur Dieu, Père,
pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font. »
Appartenant à la classe sacerdotale il devait être parent de Jésus du
côté de sa mère, Marie. Mais si Marie descendait d'Aaron comme Élisabeth
sa parente, Jésus qui était considéré comme fils de Joseph ne
bénéficiait pas des prérogatives sacerdotales et ne pouvait être reconnu
de cette classe.
Des évangélistes, Luc a été le seul à dépeindre le contexte sacerdotal
de la famille de Jésus et à intégrer à son récit la personnalité de
prêtres qui n'étaient pas des adversaires. Il a été le seul encore à
laisser entrevoir le caractère sacerdotal de la personne du Christ
auquel Jean accordait une royauté qui n'est pas de ce monde (Jn 18.36).
Alors que l'auteur de l'épître aux Hébreux voyait en Jésus le
grand-prêtre séparé des pécheurs et élevé plus haut que les cieux (He
7,26-27), dans le Troisième Évangile le Christ se révèle dans l'exercice
du sacerdoce saint, priant, guérissant, enseignant, remettant les dettes
; exerçant discernement et jugement “dans le monde” mais pas à “la
manière du monde”, il ne s'est pas tenu à l'écart des réalités
politiques. Il a accepté de ses disciples le titre de “roi fils de
David” au moment d'entrer dans Jérusalem puisqu'il relevait légalement
de cette ascendance royale par Joseph ; par contre, ce n'est qu'après sa
résurrection qu'il a prononcé sur ses disciples la bénédiction
sacerdotale. Non point qu'il n'ait été réellement prêtre et grand-prêtre
durant son ministère, mais d'une manière voilée qu'il n'a dévoilée que
dans sa résurrection.