ירוּשָׁלַיִם יְרוּשָׁלִַם Ἱερούσαλημ Ἱεροσόλυμα
Le nom de la ville sainte Jérusalem apparaît sous plusieurs orthographes dans l'évangile de Luc.
Aux deux formes courantes Jérusalem et Hierosolyma, dans le codex Bezae Cantabrigiensis s'en rajoutent trois autres qui ne sont pas homologuées:
- - Jéru-eru-salem, une forme poétique qui épouse la complainte de Jésus sur la ville en Luc 23:28 (D05)
- - Hieroso-lyso-lyma en Actes 19:21(D05)
- - Jerusalêm-êm en Luc 24:13 (D05).
Luc n'avait-il pas cherché à s'inscrire comme à innover à l'intérieur même d'une longue tradition puisqu'en Hébreu comme en Grec le nom de la ville revêtait différentes orthographes et différents sens ?
- Yérushalaim et Yerushalayim
- Jérusalem dans la LXX
- Hierosolyma dans les livres Deutérocanoniques
- Hierosolyma dans le Nouveau Testament
- Jeruerusalem et Hierosolusoluma
- Jerusalêmêm
ירוּשָׁלַיִם יְרוּשָׁלִַם
Le nom usuel de la ville sainte fut vocalisé, יְרוּשָׁלִַם Yerushalaim par les Massorètes.
Une autre forme accentuée sur l'avant dernière syllabe avec l'insertion d'un yod intermédiaire ירוּשָׁלַיִם , Yérushalayim, apparaît dans les livres de Jérémie des Chroniques et celui d'Esther. Yérushalayim ainsi que le “locatif” Yérushalayima épousaient une forme abrégée du "duel" qu'on retrouve en Grec pour des villes comme Athènes (Ἀθῆναι) ou Thèbes (Θῆβαι) qui possédaient comme Jérusalem une orthographe courante au singulier (Ἀθηνᾶ, Θήβη) ; ce duel intégrait à la ville haute la ville basse, à la ville intra muros les territoires extra muros relevant de sa juridiction.
- - ...qui avait été exilé de Yeroushalayim parmi les déportés emmenés avec le roi de Juda Est 2:6
- - Voici les fils qui lui naquirent à Yeroushalayim : Shiméa, Shobab, Natân, et Salomon, quatre de Bath-Shua, fille d'Ammiel»1chr 3:5
- - Amasias devint roi à l'âge de vingt-cinq ans et régna vingt-neuf ans à Jérusalem. Sa mère s'appelait Yehoaddân, de Yeroushalayim. 2chr 25:1
- - Ainsi parle Yahvé Sabaot Sion sera une terre de labour, Yeroushalayim un amoncellement de pierres et la montagne du Temple une hauteur boisée!» Jr 26:18 (citant Michée 3:12 qui présente la forme usuelle Yerushalaim); le duel différenciait ici la cité dans son ensemble, de la montagne du temple qu'elle cernait;
- - Après cela Sennachérib, roi d'Assyrie..., envoya ses serviteurs à Yeroushalayimah à Ézéchias, roi de Juda, et à tous les Judéens qui se trouvaient à Jérusalem...Sur quoi repose votre confiance, pour que vous restiez à Jérusalem dans la détresse? 2chr 32,9-10 ( cf Is 36:2).Pourquoi ce locatif au duel יְר֣וּשָׁלַ֔יְמָה Yeroushalayimah? Ezéchias avait fait réparer les remparts et construire une enceinte extérieure (2 Chr 32:5) et les envoyés de Sennachérib s'adressaient en Judéen au peuple qui se trouvait sur la muraille (2 Rois 18:26 sq).
- «Achazias se réfugia à Meguiddo, et il y mourut. Ses serviteurs le transportèrent sur un char à Yerushalaymah יְרוּשָׁלְָ֑מָ et ils l'enterrèrent dans son sépulcre avec ses pères, dans la ville de David».2 Rois 9:27-28.
Achazias ne pouvait avoir été enseveli à l'intérieur de la cité où les sépultures étaient prohibées, mais bien à l'extérieur des remparts; aussi en vocalisant le texte pour la liturgie, les Massorètes veillèrent à ce que les règles élémentaires ne soient pas contredites; sans retoucher le nom de la ville par l'insertion d'un yod intermédiaire, ils le vocalisèrent comme un duel puisque cette forme était employée lorsque les environs immédiats étaient inclus avec la cité. Elle n'était pas encore usitée au VIIIème siècle avant notre ère lorsque fut rédigé le second livre des Rois, mais les Massorètes trouvèrent un moyen d'y remédier.
En Hébreu, un autre toponyme présente les deux orthographes; c'est le mont Hermon , dont le duel Hermoniyim , fut retranscrit en Grec comme en Latin (Ps 42:7/41:6). Par contre Yérushalayim ne l'a pas été, mais l'orthographe habituelle lui a été substituée.
Sinon une trentaine de toponymes bibliques comme Ephraïm épousent la forme du duel mais n'ont pas de forme connue au singulier.
Le "duel" fut adopté ensuite littérairement et Rabbi Yochanan disait : «Le Saint Béni-soit-il déclare: Je n'entrerai pas dans la Yerushalayim d'en-haut que je ne sois entré dans la Yerushalayim d'en-bas.» Ta'anit 5a. Il prenait ainsi position contre l'auteur de l'Apocalypse qui entrevoyait dans ses visions une seule ville, celle d'en haut, la "nouvelle Jérusalem”.
Le duel qui se prêtait à cette distinction entre Yerushalayim shel maala et Yerushalayim shel matah fut adopté ensuite dans le Zohar.
Retranscription de ירוּשָׁלַיִם dans La LXX
À l'époque classique, la retranscription du nom usuel יְרוּשָׁלִַם en Grec était Ἱερουσάλημ; elle suivait la première déclinaison; en effet l'accusatif Ἱερουσάλημην est attesté par Flavius Josèphe qui citait Aristote (Contre Apion 1,179). Cependant les traducteurs de la Septante adoptèrent au second siècle un vocable indéclinable, féminin singulier Ἱερούσαλημ, retranscrit Hierusalem en Latin dans la Vulgate. La forme du duel Yerushalayim ne s'est pas répercutée dans le Grec mais le vocable usuel lui a été substitué.
Ἱεροσόλυμα
I - DANS LES LIVRES DEUTEROCANONIQUES écrits en Grec, à côté de la forme usuelle Ἱερούσαλημ , Ierousalem, une autre forme, moins fréquente, a été intercalée: (τα) Ἱεροσόλυμα , Hierosolyma, un neutre pluriel qui se décline; cependant les adjectifs qui lui sont associés sont au féminin, car sous le nom est considérée la ville comme entité féminine; ainsi par exemple:
- « Le sanctuaire de Hierosolymwn la choisie»Tb1:4;
- «Le roi Hérode fut troublé et toute Hierosolyma avec lui.»(Mt 2:3).
Hierosolyma était un nom interprétatif, symbolique, voire littéraire, à l'usage des Juifs parlant le Grec. L'adjectif Ἱερός qualifie ce qui est sacré et le substantif Ἱερόv désigne le temple; ( σ)όλυμα , par contre est plutôt incertain.
- « la Maison de Ιεροσολύμων, choisie parmi toutes les tribus d’Israël, pour que toutes les tribus y sacrifient(»Tb 1:4 (A,B)
- «Moi, seul, j’allais souvent à Ἱεροσόλυμα pour les fêtes» Tb1:6(A,B)
- «la 2ème dîme j'allais la dépenser à Ιεροσολύμοις chaque année» Tb1:7b (A,B) ;
- «quand nous allions ensemble nous prosterner à Ἱεροσόλυμα .»Tb 5:14 (A,B)
- « Célébrez-Le à Ιεροσολύμοις ; Ἱεροσόλυμα, ville consacrée...»Tb 13:10 (A,B)
- «nos frères seront dispersés sur la terre, loin de la bonne terre et Ἱεροσόλυμα sera un désert et la maison de Dieu, en elle, sera brûlée et sera un désert jusqu'au temps.» Tb14:4 (A,B)
- «les Fils de Lévi officiant à Jérusalem»Tb1,7b
- «Jérusalem sera rebâtie de saphirs et d’émeraudes»Tb13,17
- «les places de Jérusalem »Tb13,17
- «Ils bâtiront Jérusalem »Tb14,5


Papyrus 4Q196,fragment araméen,Tobie14:3-4 Si Yeshua ben Sirach, disait que son aïeul Eléazar, était “Hierosolomytain” (Si 50:27), c'est probablement parce qu'en Hébreu il n'y avait pas d'adjectif correspondant à Jérusalem, et que pour en former un, les auteurs se sont fondés sur le nom grec Hierosolyma.
En définitive selon le livre de Tobit, parallèlement à Jérusalem, le nom usuel, Hierosolyma représentait pour les Juifs de la diaspora parlant le Grec, la Ville Sainte, ville des pèlerins qui y jouissaient d'un statut particulier.
Deux occurrences de Hierosolyma se rencontrent dans le Premier Livre des Maccabées dont l'auteur a privilégié Jérusalem en se fondant sur l'original sémitique . Hierosolyma y est considérée comme la ville où les pèlerins amenaient la dîme (1Mb 11:34); c'était aussi la ville de refuge. «Tous ceux qui auront fui vers le temple qui est à Hierosolyma et dans tous ses territoires, devant au fisc royal et pour toute affaire..., qu'il soient libérés» IMb10:43.
Il est évident de par cette citation que Hierosolyma n'était pas la transcription du duel hébreu puisque ses environs immédiats n'étaient pas inclus dans son nom puisqu'il étaient nommés en sus.
Mais à l'inverse, l'auteur du Second Livre des Maccabées ou encore l'auteur du troisième Livre d'Edras, qui écrivaient tous deux directement en Grec, avaient ignoré la forme indéclinable Ierousalem et opté pour la nouvelle orthographe Hierosolyma. Celle-ci fut répercutée ensuite par l'ensemble des auteurs à partir du second siècle comme Polybes, Diodore de Sicile, et avec eux, trois des auteurs du Nouveau Testament, Marc, Matthieu et Jean en raison de l'étymologie qui sacralisait la ville du Temple. Dans les oeuvres de Flavius Josèphe les traducteurs, sinon les copistes, ont partout privilégié cette forme.
II - La Vulgate Latine a observé la différenciation entre l'indéclinable Hierusalem et Hierosolyma dans les livres deutérocanoniques. Et c'est ce dernier nom, un féminin singulier en Latin, qui, au Moyen-Âge servait a décrire la ville sainte des Chrétiens,“Hierosolyma Sancta”, tandis que Jerusalem demeurait le nom de la ville biblique.
III - DANS LE NOUVEAU TESTAMENT, mis à part Marc, Matthieu et Jean qui optèrent pour Hierosolyma, les autres auteurs, familiers de l'Hébreu, ont gardé le nom biblique usuel transcrit en grec Ἱερούσαλημ, Ierousalem; Philon d'Alexandrie s'en servait communément ; toutefois en évoquant la ville du temple dans sa Legatio ad Caium, il faisait usage de l'autre nom: “Hierosolyma est ma patrie où a été érigé le saint temple du Très-Haut” Leg 278. Ainsi au premier siècle, pour les auteurs Juifs, Hierosolyma représentait la ville Hérodienne avec son temple, comme le confirment les écrits de Luc et de Paul:
- ÉVANGILE DE LUC (selon le codex Bezae Cantabrigiensis) :
Hierosolyma y est nommée deux fois: dans l'épisode de la "purification" lors de la présentation de Jésus au temple et à la fin du livre, en relation avec Hérode.
1 - La Purification
Et lorsque furent accomplis les jours pour sa purification, selon la loi de Moïse, ils le montèrent à Hierosolyma pour le présenter au Seigneur. Lc 2:22D05
- Luc s'est servi de τοῦ καθαρισμοῦ , la purification, au lieu du terme attendu κάθαρσις, réservé à la femme accouchée (Lv 12:4). Pourquoi?
- Etant donné que l' expression καθαρισμὸν τῆς ἁμαρτίας, "la purification des péchés"(Job 7:21, Ex 30:10), est peu appropriée, ce n'est pas à elle que Luc se référait d'autant qu'elle n'offre pas une correspondance exacte avec l'Hébreu; ce ne sont pas les péchés qui ont à être purifiés mais les personnes ;
- τῇ ἡμέρᾳ τοῦ καθαρισμοῦ le jour de la purification désigne le Yom Kippour, le jour du grand pardon (Ex 29:36, Nb 14:18).
- καθάρισμος concerne la purification du corps (de sa lèpre Lv14:32 , de ses gomorrhées Lev 15:13), dans les livres tardifs a fini par concerner directement le temple ( 1 Chr 23:28; 2M1:18,36; 2:16,19; 10:5,) .
Le rite de la Purification du Temple instauré sous Judas Maccabée, en référence à la loi de Moïse, fut fixé au 25 Kislev (2Mb 1:18; 2:16; 10:5); le napthe qui servit à alimenter le feu dans le sanctuaire pour allumer la Menorah reçut lui-même le nom “purification” (2Mb1:36); aussi la notion de lumière est-elle attachée à cette fête (Hanoukka). - αὐτοῦ qui suit τοῦ καθαρισμοῦ est un pronom singulier du genre masculin ou neutre ; grammaticalement il se rapporte à l'enfant Jésus nommé au verset précédent. C'est du moins la leçon du codex Cantabrigiensis, des mss 118,205,209, de l'Itala et des versions syriaque (Sys) et arménienne. Mais aucune coutume connue ne contraignait à la purification du nouveau-né et cette leçon au singulier s'insère difficilement dans le récit. L'autre leçon au pluriel "leur purification", adoptée dans le texte standard, a été appliquée par René Laurentin à Hierosolyma, en supposant que les habitants étaient évoqués dans ce pluriel neutre.
Avec la leçon au singulier (masculin ou neutre) la purification peut être référée au temple (neutre) évoqué dans le nom de la ville.
Le verset serait à comprendre ainsi: Et lorsque furent accomplis les jours pour la purification [du temple], selon la loi de Moïse, ils le montèrent à Hiero-Solyma (la ville du temple) pour le présenter au Seigneur.
Ce verset était réitéré plus loin dans des termes semblables :
« ...au Temple, dans le fait, pour les parents, d'introduire le petit enfant Jésus, en vue d'agir selon la coutume de la loi à son sujet. “Luc 2:27 “À son sujet” peut être référé là aussi au temple comme à Jésus.
La façon de formuler ces versets a pu être suggérée à l'évangéliste par la prophétie de Syméon qui, recevant Jésus pour le consacrer au Seigneur, magnifiait en lui la lumière pour la révélation et la gloire d'Israël. En venant apporter la lumière au temple, Jésus en assurait la “purification”.
Cette prophétie s'appuyait sur celle de Malachie :«Me voici, j'envoie mon messager, il déblaiera la route en face de moi. Soudain, il viendra dans son palais, le seigneur que vous demandez, le messager de l'alliance que vous désirez. Voici, il vient ! dit le Seigneur Sabaot...Il purifiera les fils de Lévi» Ml 3:1
L'évangéliste aurait pu se contenter de καθαρισμοῦ seul, sans lui adjoindre de pronom. S'il avait agi ainsi, personne ne se serait posé de question, pensant simplement qu'il n'avait pas usé du bon terme et que καθαρισμοῦ s'appliquait à Marie. L'insertion du pronom était essentielle pour permettre au lecteur de s'interroger.
2 - HÉrode
En Luc 23:7 la seconde occurrence confirme que le nom était voulu pour son étymologie:
« Reconnaissant alors qu'il était de l'autorité d'HÉRODE , il le déféra à HÉRODE qui était à HIÉROSOLYMA en ces jours là. Mais HÉRODE ...»
Hierosolyma est couplé avec le nom d'Hérode dont la double récurrence a nettement pour objet, d'attirer l'attention ; l'étymologie de ἡρῴdης (hērōdēs), est formée de deux racines:
ἡρῴoς, le héros, qui a donné ἡρῴς le maître, l'homme-dieu, le demi-dieu, l'homme divinisé et ἡρῴov, son temple.
- ῴdης, le chant, l'ode, la louange, un terme que l'on trouve en introduction des psaumes chantés de la LXX (Ps 90,91 etc). ἡρῴdης serait en quelque sorte la louange à l'homme divinisé.
Hérode le grand avait été le constructeur de villes, forteresses et palais auquel son nom était attaché et dont il reste l'Hérodion, son tombeau. Il avait accroché sa marque au temple de Hierosolyma reconstruit à son initiative par un aigle royal au fronton du portail principal. Luc a pu être incité à faire allusion , à travers Ἱεροσόλυμα , au temple construit à la gloire d'Hérode bien plus qu'à celle de Dieu.
Ce subtil jeu de mots sur les noms n'incite pas à penser que Luc écrivait alors que le temple avait été détruit, au contraire!
- PAUL privilégiait lui aussi Ierusalem; cependant au début de sa lettre aux Galates, il a, par trois fois, nommé la ville Hierosolyma (Gal 1,17,18; 2:1). Il s'adressait à des lecteurs de langue grecque, et il donnait alors au premier des apôtres non plus son surnom araméen Cephas, mais sa traduction en Grec, Petros (Gal 1:18; 2:7,8,11,14). La raison en est simple: Paul comparait alors Petros qui signifie "pierre" à une "colonne" (Gal 2:9). En s'appuyant sur l'étymologie de Petros et de Hierosolyma (Ἱερόv= temple), il présentait l'Apôtre Pierre comme une solide colonne du temple spirituel. Il est vraisemblable que le jeu de mots lucanien, souligné précédemment, lui ait suggéré le sien.
- MATTHIEU, on l'a vu plus haut, avait adopté partout le nom grec Hierosolyma ; il appellait aussi la ville “la cité du Grand Roi” (Mt 5:35) :
«Mais moi, je vous dis de ne jurer en aucun cas, ni par le ciel, parce que c'est le trône de Dieu, ni par la terre, parce que c'est son marchepied , ni par Hierrosolyma, parce que c'est la cité du grand roi.»
Qui était ce “grand roi” : Dieu lui-même ou bien Hérode dit "le Grand"? Cette ambiguité rend incertaine la pensée de l'auteur.
- Dans LES ACTES DES APÔTRES , alternent constamment les deux dénominations Jerusalem (35 fois) et Hierosolyma (25). Selon J Read-Heimerdinger, Luc aurait indiqué le partage des sentiments entre l'appartenance à la religion mère, représentée par Jérusalem, et le mouvement vers l'église des nations, Hierosoluma (cf Ac 8:1 D05). [the message of Acts in Codex Bezae, vol 1 2003]. Somme toute, Luc rendait compte d'une évolution qui allait se généraliser au sein de la Chrétienté.
Jeruerusalem et Hierosolusoluma
En Luc 23:28 "Filles de Ἱερου-ερου-σάλημ" (Ierou-erou-salem) passerait pour une dittographie si elle n'accompagnait la complainte de Jésus sur la ville:

«Se retournant, Jésus leur dit: " Filles de Jéru-éru-salem, ne me pleurez pas, ni ne soyez dans le deuil, mais pleurez-vous vous-mêmes ainsi que vos enfants!»
Le grec ἐρυω signifie tirer d'un danger, protéger, sauver - et par cette redondance s'inscrivait , dans l'écriture même, la tonalité de l'invective de Jésus aux femmes de Jérusalem: Filles de Jérusalem, s'il est encore possible, sauvez ce qui est essentiel dans votre vie et celle de vos enfants.
Dans les Actes en 19:21 , une occurrence similaire se retrouve cette fois avec Hierosolyma: «Alors Paul se proposa dans l'Esprit de parcourir la Macédoine et l'Achaïe et de se rendre à Hieroso-luso-lyma, disant que après être parvenu là, il me faut voir aussi Rome.» .

Au début de ce même chapitre Luc disait que Paul souhaitait selon son propre dessein se rendre à Hierosolyma mais que l'Esprit l'en avait alors dissuadé. Plus tard à Césarée Luc lui-même tentait de lui faire changer d'avis alors qu'un prophète venait de lui annoncer qu'il y serait arrêté et ligoté s'il y montait(Act 21:11-14).
Λύσω est le futur de λύω qui signifie délier, libérer. Or Paul allait remonter à Ἱεροσολυσόλυμα tout en sachant qu'il y serait lié et emprisonné . Par un jeu de mots, Luc n'exprimait-il pas les contradictions qu'il percevait dans la démarche de Paul qu'il avait tenté en vain de dissuader ?
"Je délivrerai": Telle était l'intention de Paul qui en remontant à Jérusalem souhaitait imiter le Christ. Celui-ci avait parlé avec Moïse et Élie de son "exode" à Jérusalem, c'est-à-dire de la libération qu'il allait apporter( Luc 9:31). Dans la reduplication des syllabes du nom de la ville, Jeru-eru-salem et Hieroso-luso-luma, Luc faisait se rejoindre l'intention du Christ et celle de Paul.
Ἱερουσάλημημ
En Luc 24:13, la dittographie qui porte sur la finale du nom fut grattée par le correcteur:

La terminaison ημ de Ἱερουσαλημήμ , ne correspond pas à une forme déclinée (à la différence de Ἱερουσαλημήν dans la langue d'Aristote) et revêt peut-être une fonction littéraire dans ce verset où le vocable Oulammaus n'est pas un toponyme mais un nom littéraire adopté dans la Septante pour le songe de Jacob et dont le nom géographique était Béthel, l'actuelle Beitin.
Il s'avère que μημ, mêm, est la vocalisation de la lettre M, lettre centrale de l'alphabet grec compte tenu du stigma ς qui, à l'époque en faisait partie intégrante , si on se réfère au Psaume 118 , de la LXX dans l'intitulé des paragraphes 6 v 41 et 13, v 97. L'alphabet grec comporte 25 lettres, le μημ , en occupe la treizième place, la place centrale. Or Flavius Josèphe écrivait au sujet de la cité :«La ville de Jérusalem est située presque exactement au centre de la Judée, ce qui l'a fait appeler quelquefois, non sans raison, l’“omphalos” de la région» (GJ III,52). Omphalos c'est le nombril , l'ombilic , sinon le point focal comme l'était Delphes pour les Grecs.
Adjointe à Jérusalem la finale mem soulignerait ainsi la centralité de la cité.
De par son relief, la région environnante était appelée en Grec ὀρεινὴ, orine, "la montagneuse”, "la montagneuse Jérusalem" ou encore "la montagneuse de la Judée” (Za 7:7, Lc 1:39 et 65, BJ,4:454); aussi, après la destruction de la ville en 70, ce vocable fut reprit pour nommer la toparchie, et Pline l'Ancien écrivait à ce sujet: «la toparchie d'Orine, où fut Jérusalem, la plus célèbre des villes, non de la Judée seulement, mais de l'Orient».
En faisant appel à un vocable couramment utilisé, l'adjectif était devenu un titre, la "toparchie d'Orine", avant qu'elle ne devienne la colonie romaine d'Aelia Capitolina après la révolte de 135.
Entre 6 et 70 , quel nom était donné à la toparchie? Hierosolyma selon l'orthographe adoptée uniformément par les traducteurs ou les copistes de l' oeuvre de Flavius Josèphe, puisque les autres toparchies de Judée avaient pour nom celui de leur chef-lieu .
Mais détail curieux, la déclinaison avec l'accusatif ουντα se rencontre une fois pour deux d'entre elles, Emmaus et Jéricho :
- κατ' Ἀμμαοῦντα, qui peut se comprendre dans le voisinage d'Emmaus ou bien à travers [le territoire de la tétrarchie d'] Emmaus, (BJ 2.63) et
- Hiericounta à propos des fortifications de Bacchidès (AJ 13:15);
Le parallèle Latin du suffice ουντα qui est “ante” se retrouve pour ces deux mêmes villes sur la table de Peutinger.

La ville sainte y porte son nouveau nom "Aelia Capitolina". C'était une des colonies romaines les plus importantes du Moyen Orient, défendue par des légions qui stationnaient sur les collines environnantes. Son territoire s'étendait au-delà de la ville dessinée à la charrue. Était donné également son nom initial

«antea dicta Herusalem m Helia Capitolina»
Ce ‘m‘ a été compris par les auteurs comme l'abréviation de l'adverbe “modo”, qui signifie "à l'instant" ou encore “récemment” : «Appelée auparavant Jerusalem, récemment Aelia Capitolina». En effet la colonie n'avait pas trente ans lors de l'établissement de la carte. Il est tentant d'établir un lien entre ce m et le suffixe μήμ par lequel le vocable Ἱερουσαλημήμ pouvait s'étendre à la toparchie centrale de la Judée. La carte en aurait gardé une empreinte déformée à travers l'abbréviation de cet adverbe.
Il s'avère qu'en hébreu, le duel de "Yerushalem" n'aurait pas du être "Yerushalayim", mais "Yerushalmayim" et ”Yerushalmayimah" au locatif; la redondance Jérusalêmêm n'en est pas éloignée, d'autant que la finale “ayim” était parfois transcrite “êm” (Saarêm au lieu de Saarayim en 1Chr 8:8). D'autre part il semble qu'un alpha A ait été gratté lui aussi invitant à lire Ἱερουσαλημημα. Si Scrivener et Swanson n'ont pas lu cet alpha, il n'en est pas moins discernable sur le parchemin. Ce pourrait être la retranscription en Grec du locatif dans la forme du duel.
Que Ἱερουσαλημήμα ait désigné au premier siècle la première toparchie de Judée n'est donc pas invraisemblable. Une lecture patiente des manuscrits sinon de l'épigraphie le confirmera peut-être un jour.
Si l'hypothèse s'avérait juste , on retrouverait alors la distance de soixante stades ou 12km séparant Oulammaus/Bethel des limites de la toparchie de Jérusalem.
S Chabert d'Hyères
© Copyright 2006