רוּשָׁלַיִם יְרוּשָׁלִַם Ἱερούσαλημ Ἱεροσόλυμα
Le nom de la ville sainte Jérusalem apparaît sous plusieurs orthographes
dans l'évangile de Luc.
Aux deux formes courantes Jérusalem et Hierosolyma, dans le codex Bezae
Cantabrigiensis s'en rajoutent trois autres qui ne sont pas homologuées:
- - Jéru-eru-salem, une forme poétique qui épouse la complainte de
Jésus sur la ville en Luc 23:28 (D05)
- - Hieroso-lyso-lyma en Actes 19:21(D05)
- - Jerusalêm-êm en Luc 24:13 (D05).
Si les erreurs de scribe ne sont pas rares dans le codex
Cantabrigiensis, le redoublement de deux syllabes ne s'observe que pour
Jérusalem et la triple récurrence incite à penser qu'il ne s'agit pas
d'une simple dittographie mais d'une reduplication intentionnelle.
Luc n'avait-il pas cherché à s'inscrire comme à innover à l'intérieur
même d'une longue tradition puisqu'en Hébreu comme en Grec le nom de la
ville revêtait différentes orthographes et différents sens ?
- Yérushalaim et Yerushalayim
- Jérusalem dans la LXX
- Hierosolyma dans les livres Deutérocanoniques
- Hierosolyma dans le Nouveau Testament
- Jeruerusalem et Hierosolusoluma
- Jerusalêmêm
ירוּשָׁלַיִם יְרוּשָׁלִַם
Le nom usuel de la ville sainte fut vocalisé, יְרוּשָׁלִַם Yerushal
aim
par les Massorètes.
Une autre forme accentuée sur l'avant dernière syllabe avec l'insertion
d'un yod intermédiaire ירוּשָׁלַיִם , Yérushal
ayim,
apparaît dans les livres de Jérémie des Chroniques et celui d'Esther.
Yérushala
yim ainsi que le “locatif” Yérushala
yima
épousaient une forme abrégée du "duel" qu'on retrouve en Grec pour des
villes comme Athènes (Ἀθῆναι) ou Thèbes (Θῆβαι) qui possédaient comme
Jérusalem une orthographe courante au singulier (Ἀθηνᾶ, Θήβη) ; ce duel
intégrait à la ville haute la ville basse, à la ville intra muros les
territoires extra muros relevant de sa juridiction.
- - ...qui avait été exilé de Yeroushalayim
parmi les déportés emmenés avec le roi de Juda Est 2:6
- - Voici les fils qui lui naquirent à Yeroushalayim :
Shiméa, Shobab, Natân, et Salomon, quatre de Bath-Shua, fille
d'Ammiel»1chr 3:5
- - Amasias devint roi à l'âge de vingt-cinq ans et
régna vingt-neuf ans à Jérusalem. Sa mère s'appelait Yehoaddân, de
Yeroushalayim. 2chr 25:1
- - Ainsi parle Yahvé Sabaot Sion sera une terre
de labour, Yeroushalayim un amoncellement de
pierres et la montagne du Temple une hauteur boisée!» Jr
26:18 (citant Michée 3:12 qui présente la forme usuelle
Yerushalaim); le duel différenciait ici la cité dans son ensemble,
de la montagne du temple qu'elle cernait;
Deux autres occurrences sont des locatifs et se terminent par une
voyelle יְרוּשָׁלְָ֑מָ, et יְר֣וּשָׁלַ֔יְמָה, Yerushal
aymah.
- - Après cela Sennachérib, roi d'Assyrie...,
envoya ses serviteurs à Yeroushalayimah à
Ézéchias, roi de Juda, et à tous les Judéens qui se trouvaient à
Jérusalem...Sur quoi repose votre confiance, pour que vous restiez
à Jérusalem dans la détresse? 2chr 32,9-10 ( cf Is
36:2).Pourquoi ce locatif au duel יְר֣וּשָׁלַ֔יְמָה Yeroushalayimah?
Ezéchias avait fait réparer les remparts et construire une enceinte
extérieure (2 Chr 32:5) et les envoyés de Sennachérib s'adressaient
en Judéen au peuple qui se trouvait sur la muraille (2 Rois 18:26
sq).
- «Achazias se réfugia à Meguiddo, et il y
mourut. Ses serviteurs le transportèrent sur un char à Yerushalaymah
יְרוּשָׁלְָ֑מָ et ils l'enterrèrent dans son sépulcre avec ses
pères, dans la ville de David».2 Rois 9:27-28.
Achazias ne pouvait avoir été enseveli à l'intérieur de la cité où
les sépultures étaient prohibées, mais bien à l'extérieur des
remparts; aussi en vocalisant le texte pour la liturgie, les
Massorètes veillèrent à ce que les règles élémentaires ne soient pas
contredites; sans retoucher le nom de la ville par l'insertion d'un
yod intermédiaire, ils le vocalisèrent comme un duel puisque cette
forme était employée lorsque les environs immédiats étaient inclus
avec la cité. Elle n'était pas encore usitée au VIIIème siècle
avant notre ère lorsque fut rédigé le second livre des Rois, mais
les Massorètes trouvèrent un moyen d'y remédier.
En Hébreu, un autre toponyme présente les deux orthographes; c'est le
mont Hermon , dont le duel Hermoniyim , fut retranscrit en Grec comme en
Latin (Ps 42:7/41:6). Par contre Yérushala
yim ne l'a
pas été, mais l'orthographe habituelle lui a été substituée.
Sinon une trentaine de toponymes bibliques comme Ephraïm épousent la
forme du duel mais n'ont pas de forme connue au singulier.
Le "duel" fut adopté ensuite littérairement et Rabbi Yochanan disait :
«Le
Saint Béni-soit-il déclare: Je n'entrerai pas dans la Yerushalayim
d'en-haut que je ne sois entré dans la Yerushalayim
d'en-bas.» Ta'anit 5a. Il prenait ainsi position contre
l'auteur de l'Apocalypse qui entrevoyait dans ses visions une seule
ville, celle d'en haut, la "nouvelle Jérusalem”.
Le duel qui se prêtait à cette distinction entre
Yerushalayim
shel maala et Yerushalayim shel matah fut adopté
ensuite dans le Zohar.
Retranscription de ירוּשָׁלַיִם dans La LXX
À l'époque classique, la retranscription du nom usuel יְרוּשָׁלִַם en
Grec était Ἱερουσάλημ; elle suivait la première déclinaison; en effet
l'accusatif Ἱερουσάλημην est attesté par Flavius Josèphe qui citait
Aristote (Contre Apion 1,179). Cependant les traducteurs de la Septante
adoptèrent au second siècle un vocable indéclinable, féminin singulier
Ἱερούσαλημ, retranscrit Hierusalem en Latin dans la Vulgate. La forme du
duel
Yerushalayim ne s'est pas répercutée
dans le Grec mais le vocable usuel lui a été substitué.
Ἱεροσόλυμα
I - DANS LES LIVRES DEUTEROCANONIQUES écrits
en Grec, à côté de la forme usuelle Ἱερούσαλημ , Ierousalem, une autre
forme, moins fréquente, a été intercalée: (τα) Ἱεροσόλυμα , Hierosolyma,
un neutre pluriel qui se décline; cependant les adjectifs qui lui sont
associés sont au féminin, car sous le nom est considérée la ville comme
entité féminine; ainsi par exemple:
- « Le sanctuaire de Hierosolymwn la choisie»Tb1:4;
- «Le roi Hérode fut troublé et toute
Hierosolyma avec lui.»(Mt 2:3).
Hierosolyma apparaît pour la première fois dans le livre de Tobit, écrit
probablement en Egypte, peut-être vers 200 avant notre ère, sinon plus
tôt. Elle y est à six reprises, dans la recension courte, la plus
ancienne (
1). C'était la ville sainte, vers laquelle,
de la diaspora, les fils d'Israël montaient en pèlerinage offrir les
sacrifices prescrits. Là ils apportaient leurs dîmes . C'était la ville
de pèlerins qui n'y avaient pas une demeure stable, si ce n'est
spirituelle. Elle n'avait pas été comprise dans le territoire divisé
entre les douze tribus, car elle était considérée comme propriété de
tout Israël. De fait, les pèlerins en arrivant étaient logés dans les
familles et donnaient en échange les peaux des bêtes sacrifiées.
Hierosolyma était un nom interprétatif, symbolique, voire littéraire, à
l'usage des Juifs parlant le Grec. L'adjectif Ἱερός qualifie ce qui est
sacré et le substantif Ἱερόv désigne le temple; ( σ)όλυμα , par contre
est plutôt incertain.
- « la Maison de Ιεροσολύμων, choisie parmi
toutes les tribus d’Israël, pour que toutes les tribus y
sacrifient(»Tb 1:4 (A,B)
- «Moi, seul, j’allais souvent à Ἱεροσόλυμα pour
les fêtes» Tb1:6(A,B)
- «la 2ème dîme j'allais la dépenser à
Ιεροσολύμοις chaque année» Tb1:7b (A,B) ;
- «quand nous allions ensemble nous prosterner à
Ἱεροσόλυμα .»Tb 5:14 (A,B)
- « Célébrez-Le à Ιεροσολύμοις ; Ἱεροσόλυμα,
ville consacrée...»Tb 13:10 (A,B)
- «nos frères seront dispersés sur la terre, loin
de la bonne terre et Ἱεροσόλυμα sera un désert et la maison de
Dieu, en elle, sera brûlée et sera un désert jusqu'au temps.»
Tb14:4 (A,B)
Ἱεροσόλυμα s'y trouve en alternance avec Ἱερούσαλημ la capitale du pays,
la ville du roi, la ville des prêtres:
- «les Fils de Lévi officiant à Jérusalem»Tb1,7b
- «Jérusalem sera rebâtie de saphirs et
d’émeraudes»Tb13,17
- «les places de Jérusalem »Tb13,17
- «Ils bâtiront Jérusalem »Tb14,5
Par contre l'alternance a disparu au profit de Ἱερούσαλημ, dans le Codex
Sinaïticus, qui comporte la recension longue comme dans les textes en
Hébreu et en Araméen plus tardifs que la recension courte, en Grec, des
codicii Vaticanus et Alexandrinus. Avec cette alternance a disparu
également le petit chien, très tôt domestiqué par les Égyptiens, et qui
accompagnait Tobit.
Papyrus 4Q196,fragment araméen,Tobie14:3-4 Si Yeshua ben
Sirach, disait que son aïeul Eléazar, était “Hierosolomytain” (Si
50:27), c'est probablement parce qu'en Hébreu il n'y avait pas
d'adjectif correspondant à Jérusalem, et que pour en former un, les
auteurs se sont fondés sur le nom grec Hierosolyma.
En définitive selon le livre de Tobit, parallèlement à Jérusalem, le nom
usuel, Hierosolyma représentait pour les Juifs de la diaspora parlant le
Grec, la Ville Sainte, ville des pèlerins qui y jouissaient d'un statut
particulier.
Deux occurrences de Hierosolyma se rencontrent dans le Premier Livre des
Maccabées dont l'auteur a privilégié Jérusalem en se fondant sur
l'original sémitique . Hierosolyma y est considérée comme la ville où
les pèlerins amenaient la dîme (1Mb 11:34); c'était aussi la ville de
refuge.
«Tous ceux qui auront fui vers le temple qui
est à Hierosolyma et dans tous ses territoires, devant au fisc royal
et pour toute affaire..., qu'il soient libérés» IMb10:43.
Il est évident de par cette citation que Hierosolyma n'était pas la
transcription du duel hébreupuisque ses environs immédiats n'étaient pas
inclus dans son nom puisqu'il étaient nommés en sus.
Mais à l'inverse, l'auteur du Second Livre des Maccabées ou encore
l'auteur du troisième Livre d'Edras, qui écrivaient tous deux
directement en Grec, avaient ignoré la forme indéclinable Ierousalem et
opté pour la nouvelle orthographe Hierosolyma. Celle-ci fut répercutée
ensuite par l'ensemble des auteurs à partir du second siècle comme
Polybes, Diodore de Sicile, et avec eux, trois des auteurs du Nouveau
Testament, Marc, Matthieu et Jean en raison de l'étymologie qui
sacralisait la ville du Temple. Dans les oeuvres de Flavius Josèphe les
traducteurs, sinon les copistes, ont partout privilégié cette forme.
II - La Vulgate Latine a observé la
différenciation entre l'indéclinable Hierusalem et Hierosolyma dans les
livres deutérocanoniques. Et c'est ce dernier nom, un féminin singulier
en Latin, qui, au Moyen-Âge servait a décrire la ville sainte des
Chrétiens,“Hierosolyma Sancta”, tandis que Jerusalem demeurait le nom de
la ville biblique.
HIEROSOLYMA URBS SANCTA IUDEAE [1657]
III - DANS LE NOUVEAU
TESTAMENT, mis à part Marc,
Matthieu et Jean qui optèrent pour Hierosolyma, les autres auteurs,
familiers de l'Hébreu, ont gardé le nom biblique usuel transcrit en grec
Ἱερούσαλημ, Ierousalem; Philon d'Alexandrie s'en servait communément ;
toutefois en évoquant la ville du temple dans sa Legatio ad Caium, il
faisait usage de l'autre nom:
“Hierosolyma
est ma patrie où a été érigé le saint temple du Très-Haut” Leg
278. Ainsi au premier siècle, pour les auteurs Juifs, Hierosolyma
représentait la ville Hérodienne avec son temple, comme le confirment
les écrits de Luc et de Paul:
- ÉVANGILE DE LUC
(selon le codex Bezae Cantabrigiensis) :
Hierosolyma y est nommée deux fois: dans l'épisode de la
"purification" lors de la présentation de Jésus au temple et à la
fin du livre, en relation avec Hérode.
1
- La Purification
Et lorsque furent accomplis les jours pour sa
purification, selon la loi de Moïse, ils le montèrent à
Hierosolyma pour le présenter au Seigneur. Lc 2:22D05
- Luc s'est servi de τοῦ καθαρισμοῦ , la purification, au
lieu du terme attendu κάθαρσις, réservé à la femme accouchée (Lv
12:4). Pourquoi?
- Etant donné que l' expression καθαρισμὸν τῆς ἁμαρτίας, "la
purification des péchés"(Job 7:21, Ex 30:10), est peu
appropriée, ce n'est pas à elle que Luc se référait d'autant
qu'elle n'offre pas une correspondance exacte avec l'Hébreu; ce
ne sont pas les péchés qui ont à être purifiés mais les
personnes ;
- τῇ ἡμέρᾳ τοῦ καθαρισμοῦ le jour de la purification désigne le
Yom Kippour, le jour du grand pardon (Ex 29:36, Nb 14:18).
- καθάρισμος concerne la purification du corps (de sa lèpre
Lv14:32 , de ses gomorrhées Lev 15:13), dans les livres tardifs
a fini par concerner directement le temple ( 1 Chr 23:28;
2M1:18,36; 2:16,19; 10:5,)
.
Le
rite de la Purification du Temple instauré sous Judas Maccabée, en
référence à la loi de Moïse, fut fixé au 25 Kislev (2Mb 1:18; 2:16;
10:5); le napthe qui servit à alimenter le feu dans le sanctuaire
pour allumer la Menorah reçut lui-même le nom “purification”
(2Mb1:36); aussi la notion de lumière est-elle attachée à cette fête
(Hanoukka). - αὐτοῦ qui suit τοῦ
καθαρισμοῦ est un pronom singulier du genre masculin ou neutre ;
grammaticalement il se rapporte à l'enfant Jésus nommé au verset
précédent. C'est du moins la leçon du codex Cantabrigiensis, des mss
118,205,209, de l'Itala et des versions syriaque (Sys)
et arménienne. Mais aucune coutume connue ne contraignait à la
purification du nouveau-né et cette leçon au singulier s'insère
difficilement dans le récit. L'autre leçon au pluriel "leur
purification", adoptée dans le texte standard, a été appliquée par
René Laurentin à Hierosolyma, en supposant que les habitants étaient
évoqués dans ce pluriel neutre.
Avec la leçon au singulier (masculin ou neutre) la purification peut
être référée au temple (neutre) évoqué dans le nom de la ville.
Le verset serait à comprendre ainsi: Et lorsque
furent accomplis les jours pour la purification [du temple],
selon la loi de Moïse, ils le montèrent à Hiero-Solyma (la ville
du temple) pour le présenter au Seigneur.
Ce verset était réitéré plus loin dans des termes semblables
:
« ...au Temple, dans le fait, pour les parents,
d'introduire le petit enfant Jésus, en vue d'agir selon la coutume
de la loi à son sujet. “Luc 2:27 “À son sujet”
peut être référé là aussi au temple comme à Jésus.
La façon de formuler ces versets a pu être suggérée à l'évangéliste
par la prophétie de Syméon qui, recevant Jésus pour le consacrer au
Seigneur, magnifiait en lui la lumière pour la
révélation et la gloire d'Israël. En venant apporter la
lumière au temple, Jésus en assurait la “purification”.
Cette prophétie s'appuyait sur celle de Malachie :«Me
voici, j'envoie mon messager, il déblaiera la route en face de
moi. Soudain, il viendra dans son palais, le seigneur que vous
demandez, le messager de l'alliance que vous désirez. Voici, il
vient ! dit le Seigneur Sabaot...Il purifiera les fils de Lévi»
Ml 3:1
L'évangéliste aurait pu se contenter de καθαρισμοῦ seul, sans lui
adjoindre de pronom. S'il avait agi ainsi, personne ne se serait
posé de question, pensant simplement qu'il n'avait pas usé du bon
terme et que καθαρισμοῦ s'appliquait à Marie. L'insertion du pronom
était essentielle pour permettre au lecteur de s'interroger.
2 - HÉrode
En Luc 23:7 la seconde occurrence confirme que le nom
était voulu pour son étymologie:
« Reconnaissant alors qu'il était de l'autorité
d'HÉRODE , il le déféra à HÉRODE qui était à HIÉROSOLYMA en ces
jours là. Mais HÉRODE ...»
Hierosolyma est couplé avec le nom d'Hérode dont la double
récurrence a nettement pour objet, d'attirer l'attention ;
l'étymologie de ἡρῴdης (hērōdēs), est formée de deux racines:
ἡρῴoς, le héros, qui a donné ἡρῴς le maître,
l'homme-dieu, le demi-dieu, l'homme divinisé et ἡρῴov, son temple.
- ῴdης, le chant, l'ode, la louange, un terme que
l'on trouve en introduction des psaumes chantés de la LXX (Ps 90,91
etc). ἡρῴdης serait en quelque sorte la louange à l'homme divinisé.
Hérode le grand avait été le constructeur de villes, forteresses et
palais auquel son nom était attaché et dont il reste l'Hérodion, son
tombeau. Il avait accroché sa marque au temple de Hierosolyma
reconstruit à son initiative par un aigle royal au fronton du
portail principal. Luc a pu être incité à faire allusion , à travers
Ἱεροσόλυμα , au temple construit à la gloire d'Hérode bien plus qu'à
celle de Dieu.
Ce subtil jeu de mots sur les noms n'incite pas à penser que Luc
écrivait alors que le temple avait été détruit, au contraire!
- PAUL privilégiait lui
aussi Ierusalem; cependant au début de sa lettre aux Galates, il a,
par trois fois, nommé la ville Hierosolyma (Gal 1,17,18; 2:1). Il
s'adressait à des lecteurs de langue grecque, et il donnait alors au
premier des apôtres non plus son surnom araméen Cephas, mais sa
traduction en Grec, Petros (Gal 1:18; 2:7,8,11,14). La raison en est
simple: Paul comparait alors Petros qui signifie "pierre" à une
"colonne" (Gal 2:9). En s'appuyant sur l'étymologie de Petros et de
Hierosolyma (Ἱερόv= temple), il présentait l'Apôtre Pierre comme une
solide colonne du temple spirituel. Il est vraisemblable que le jeu
de mots lucanien, souligné précédemment, lui ait suggéré le sien.
- MATTHIEU, on l'a vu plus
haut, avait adopté partout le nom grec Hierosolyma ; il appellait
aussi la ville “la cité du Grand Roi” (Mt 5:35) :
«Mais moi, je vous dis de ne jurer en aucun cas,
ni par le ciel, parce que c'est le trône de Dieu, ni par la terre,
parce que c'est son marchepied , ni par Hierrosolyma, parce que
c'est la cité du grand roi.»
Qui était ce “grand roi” : Dieu lui-même ou bien Hérode dit "le
Grand"? Cette ambiguité rend incertaine la pensée de l'auteur.
- Dans LES ACTES DES APÔTRES ,
alternent constamment les deux dénominations Jerusalem (35 fois) et
Hierosolyma (25). Selon J Read-Heimerdinger, Luc aurait indiqué le
partage des sentiments entre l'appartenance à la religion mère,
représentée par Jérusalem, et le mouvement vers l'église des
nations, Hierosoluma (cf Ac 8:1 D05). [the message of Acts in
Codex Bezae, vol 1 2003]. Somme toute, Luc rendait compte
d'une évolution qui allait se généraliser au sein de la Chrétienté.
Jeruerusalem et Hierosolusoluma
En Luc 23:28 "Filles de Ἱερου-
ερου-σάλημ"
(Ierou-erou-salem) passerait pour une dittographie si elle
n'accompagnait la complainte de Jésus sur la ville:
«Se retournant, Jésus leur dit: " Filles de Jéru-éru-salem,
ne me pleurez pas, ni ne soyez dans le deuil, mais pleurez-vous
vous-mêmes ainsi que vos enfants!»
Le grec ἐρυω signifie
tirer d'un danger, protéger, sauver -
et par cette redondance s'inscrivait , dans l'écriture même, la tonalité
de l'invective de Jésus aux femmes de Jérusalem: Filles de Jérusalem,
s'il est encore possible, sauvez ce qui est essentiel dans votre vie et
celle de vos enfants.
Dans les Actes en 19:21 , une
occurrence similaire se retrouve cette fois avec Hierosolyma:
«Alors Paul se proposa dans l'Esprit de parcourir la Macédoine et
l'Achaïe et de se rendre à Hieroso-luso-lyma, disant
que “après être parvenu là, il me faut voir aussi Rome.» .

Au début de ce même chapitre Luc disait que Paul souhaitait selon son
propre dessein se rendre à Hierosolyma mais que l'Esprit l'en avait
alors dissuadé. Plus tard à Césarée Luc lui-même tentait de lui faire
changer d'avis alors qu'un prophète venait de lui annoncer qu'il y
serait arrêté et ligoté s'il y montait(Act 21:11-14).
Λύσω est le futur de λύω qui signifie délier, libérer. Or Paul allait
remonter à Ἱεροσο
λυσόλυμα tout en sachant qu'il y
serait lié et emprisonné . Par un jeu de mots, Luc n'exprimait-il pas
les contradictions qu'il percevait dans la démarche de Paul qu'il avait
tenté en vain de dissuader ?
"Je délivrerai": Telle était l'intention de
Paul qui en remontant à Jérusalem souhaitait imiter le Christ. Celui-ci
avait parlé avec Moïse et Élie de son "exode" à Jérusalem, c'est-à-dire
de la libération qu'il allait apporter( Luc 9:31). Dans la reduplication
des syllabes du nom de la ville, Jeru-eru-salem et Hieroso-luso-luma,
Luc faisait se rejoindre l'intention du Christ et celle de Paul.
Ἱερουσάλημημ
En Luc 24:13, la dittographie
qui porte sur la finale du nom fut grattée par le correcteur:
« Or deux étaient en train de s'éloigner d'eux en
ce jour là vers un village distant de soixante stades de Jérusalemem,
du nom d' Oulammaüs.» Luc 24:13 D05,
La terminaison ημ de Ἱερουσαλημήμ , ne correspond pas à une forme
déclinée (à la différence de Ἱερουσαλημ
ήν dans la
langue d'Aristote) et revêt peut-être une fonction littéraire dans ce
verset où le vocable Oulammaus n'est pas un toponyme mais un nom
littéraire adopté dans la Septante pour le songe de Jacob et dont le nom
géographique était Béthel, l'actuelle Beitin.
Il s'avère que
μημ, mêm, est la vocalisation de la lettre M, lettre
centrale de l'alphabet grec compte tenu du stigma ς qui, à l'époque en
faisait partie intégrante , si on se réfère au Psaume 118 , de la LXX
dans l'intitulé des paragraphes 6 v 41 et 13, v 97. L'alphabet grec
comporte 25 lettres, le μημ , en occupe la treizième place, la place
centrale. Or Flavius Josèphe écrivait au sujet de la cité :«La
ville de Jérusalem est située presque exactement au centre de la
Judée, ce qui l'a fait appeler quelquefois, non sans raison,
l’“omphalos” de la région» (GJ III,52). Omphalos c'est le
nombril , l'ombilic , sinon le point focal comme l'était Delphes pour
les Grecs.
Adjointe à Jérusalem la finale mem soulignerait ainsi la centralité de
la cité.
De par son
relief, la région environnante était appelée en Grec ὀρεινὴ, orine,
"la montagneuse”, "la montagneuse Jérusalem" ou encore "la montagneuse
de la Judée” (Za 7:7, Lc 1:39 et 65, BJ,4:454); aussi, après la
destruction de la ville en 70, ce vocable fut reprit pour nommer la
toparchie, et Pline l'Ancien écrivait à ce sujet: «la
toparchie d'Orine, où fut Jérusalem, la plus célèbre des villes, non
de la Judée seulement, mais de l'Orient».
En faisant appel à un vocable couramment utilisé, l'adjectif était
devenu un titre, la "toparchie d'Orine", avant qu'elle ne devienne la
colonie romaine d'Aelia Capitolina après la révolte de 135.
Entre 6 et 70 , quel nom était donné à la toparchie? Hierosolyma selon
l'orthographe adoptée uniformément par les traducteurs ou les copistes
de l' oeuvre de Flavius Josèphe, puisque
les
autres toparchies de Judée avaient pour nom celui de leur chef-lieu .
Mais détail curieux, la déclinaison avec l'accusatif ουντα se
rencontre une fois pour deux d'entre elles, Emmaus et Jéricho :
- κατ' Ἀμμαοῦντα, qui peut se comprendre dans le voisinage d'Emmaus ou
bien à travers [le territoire de la tétrarchie d'] Emmaus, (BJ 2.63)
et
- Hiericounta à propos des fortifications de Bacchidès (AJ 13:15);
Le parallèle Latin du suffice ουντα qui est “ante” se retrouve pour
ces deux mêmes villes sur la table de Peutinger.
Cette
carte du monde habité était une mise à jour de celle qu'Auguste avait
demandée à Agrippa. Elle accompagnait le décret impérial de Marc
Aurèle de 162 commandant le bornage des voies romaines. Y sont donnés
les noms des toparchies de Judée Amauante, Hiericonte, Lydois, Gofna
Thamna et Joppé. Le nom des autres est connu par Flavius Josèphe,
Akrabatta, Herodium, Pella, Idumea, Engedi (GJ III, III, 5) et par
Pline l'Ancien qui paraissait ignorer les deux dernières qu'il
remplaçait par Bethleptephe. Amauante ou Emmaus, changea de nom
en 220 pour Nicopolis ce qui prouve que la carte fut réalisée
antérieurement à cette date; mais elle fut actualisée pour les pèlerins
chrétiens avec, par exemple, la notification du Mont des Oliviers.
La ville sainte y porte son nouveau nom "Aelia Capitolina". C'était une
des colonies romaines les plus importantes du Moyen Orient, défendue par
des légions qui stationnaient sur les collines environnantes. Son
territoire s'étendait au-delà de la ville dessinée à la charrue. Était
donné également son nom initial

Herusalem.
Un “m” accentué suit le nom de la ville sainte:
«antea
dicta Herusalem m Helia Capitolina»
Ce ‘m‘ a été compris par les auteurs comme l'abréviation de
l'adverbe “modo”, qui signifie "à l'instant" ou encore “récemment” :
«Appelée auparavant Jerusalem, récemment
Aelia Capitolina». En effet la colonie
n'avait pas trente ans lors de l'établissement de la carte. Il est
tentant d'établir un lien entre ce m et
le
suffixe μήμ par lequel le vocable Ἱερουσαλημήμ
pouvait s'étendre à la toparchie centrale de la Judée. La carte en
aurait gardé une empreinte déformée à travers l'abbréviation de
cet adverbe.
Il s'avère qu'en hébreu, le duel de "Yerushalem" n'aurait pas du être
"Yerushalayim", mais "Yerushalmayim" et ”Yerushalmayimah"
au locatif; la redondance Jérusalêmêm n'en est pas éloignée, d'autant
que la finale “ayim” était parfois transcrite “êm” (Saarêm au lieu de
Saarayim en 1Chr 8:8). D'autre part il semble qu'un alpha A ait été
gratté lui aussi invitant à lire Ἱερουσαλημημα. Si
Scrivener et Swanson n'ont pas lu cet alpha, il n'en est pas moins
discernable sur le parchemin. Ce pourrait être la retranscription en
Grec du locatif dans la forme du duel.
Que Ἱερουσαλημήμα ait désigné au premier siècle la
première toparchie de Judée n'est donc pas invraisemblable. Une
lecture patiente des manuscrits sinon de l'épigraphie le confirmera
peut-être un jour.
Si l'hypothèse s'avérait juste , on retrouverait alors la distance de
soixante stades ou 12km séparant Oulammaus/Bethel
des limites de la toparchie de Jérusalem.