Aucun des évangélistes n'en ayant donné le nom, comment savoir sur
quelle montagne Jésus fut transfiguré ?
*“UNE HAUTE MONTAGNE “ SELON MARC
« Six jours après,
Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean, et il les conduisit
seuls à l'écart SUR UNE HAUTE MONTAGNE . Il fut transfiguré devant
eux».
Marc parlait d'“
UNE HAUTE MONTAGNE ”, sans
article défini et Matthieu d'une très haute montagne. Or il n'y a pas de
haute montagne en Galilée:

Le
mont Thabor culmine à 561m tandis que le point le plus haut de la chaîne
du Carmel, qui dessine une barrière naturelle, est à seulement 551
mètres. Mais Marc, sans le nommer suggérait très nettement un massif
précis, extérieur à la Galilée d'Antipas. Il comparait en effet la
blancheur du vêtement de Jésus à la neige, dont seul l'HERMON est
parfois recouvert. Ce détail était-il connu des scribes Alexandrins qui
l'ont effacé de leurs manuscrits ? En outre il plaçait l'épisode
précédent à Césarée de Philippe, aux sources du Jourdain, supposant
entre les deux un écart de six jours. Jésus aurait cherché un lieu
isolé, à l'écart des foules, ce à quoi répondait ce massif qui culmine à
2814m. Sa position aux frontières de la Syrie et du Liban présentait un
caractère décentré que recherchait l'évangéliste Marc.
* SELON LUC C'ÉTAIT SUR “ LA MONTAGNE ” ; MAIS
LAQUELLE ?
« Il monta sur LA MONTAGNE pour
prier.»
Mais laquelle?
En fait Il y a deux manières de comprendre l' expression:
- Comme il serait allé à la campagne ou à la mer, Jésus s'était
rendu à la montagne. Générique , l'expression ne faisait qu'opposer
la partie montagneuse à la plaine comme c'est le cas en 8:32.
- ou bien il s'agissait d'une montagne particulière et bien définie:
LA MONTAGNE. Il n'y en avait qu'une dans
l'esprit de l'évangéliste. Il en parlait deux fois, et dans deux
épisodes différents. Ce pouvait être la même montagne dans les deux
cas :
«Il
advint alors en ces jours là, qu'il partit vers LA MONTAGNE ; il
pria, passant la nuit dans la prière.
Et lorsqu'il fit jour, il héla ses disciples, choisissant douze
d'entre eux , qu' il appela aussi Apôtres.» Lc 6:12-13
«Or il advint
après ces paroles-ci, environ huit jours, qu' emmenant Pierre et
Jacques et Jean il monta sur LA MONTAGNE
pour prier.
Et il advint comme il priait, que la ressemblance
de son visage devint autre et son vêtement, blanc fulgurant !» Lc
9:27-29
Le but était d'y aller prier. Ce devait être une montagne sur laquelle
il se rendait fréquemment puisque huit jours avant de s'y montrer
transfiguré entre Moïse et Élie il s'y trouvait déjà :
« Or je vous dis que
vraiment certains de ceux qui se sont tenus ICI, ne goûteront pas la
mort jusqu'à ce qu'ils voient le Fils de l'homme venant dans sa
gloire ! » Luc
9:27D
ICI était repris ensuite trois fois dans le récit de la transfiguration.
Il faut en déduire que cette montagne n'était pas très éloignée de la
rive Est du Lac où il séjournait habituellement. Quand il en
redescendait pour rejoindre la plaine , une vaste foule était là qui
l'attendait. L'endroit n'était donc pas désertique. Le grec ὄρος
désignant un mont ou une montagne, ce pouvait être n'importe quelle
hauteur de Galilée. En tous cas ce ne pouvait être l'Hermon, suggéré par
Marc, car trop éloigné.
Que l' évangéliste ait utilisé l'adverbe de lieu ICI , avec insistance
n'est pas anodin; c' était un terme rare en Hébreu, (ὧδε dans la
Septante correspond à l'Hébreu הֲלֹם) attaché aux lieux de manifestation
divine (comme l'Horeb en Ex 3:5). Sans la nommer Luc se référait à une
hauteur proche du lac, propice à la prière et lieu de manifestations
divines; une des montagnes de la Bible.
Il devait estimer que son lecteur l'identifierait aisément, comme il
avait pu le penser d'
OULAMMAUS/BETHEL que la
tradition, cependant, superposa à Emmaus.
* LA LETTRE DE PIERRE ET LA SAINTE MONTAGNE
L'auteur de la première lettre de Pierre était allé jusqu'à écrire:
“Et nous avons entendu cette voix venant du ciel,
lorsque nous étions avec lui sur la SAINTE MONTAGNE” 2 P 1:18
Luc avait évité ce qualificatif réservé à Sion, la montagne du temple de
Jérusalem: elle seule était dénommée sainte de par là Présence divine.
Sur 14 occurences relevées, seule la lettre de Pierre ferait exception
en attribuant le qualificatif sainte à une montagne autre que Sion.
Soit l'auteur de l'épître n'avait pas conscience des expressions
employées, soit il se plaisait à transposer la transfiguration à
Jérusalem, ce qui est contraire aux récits des Synoptiques. Dans un cas
comme dans l'autre l'élément s'ajoute à ceux qui militent contre une
attribution de la lettre à l'Apôtre Pierre lui-même.
* LA TRADITION
La Transfiguration par Bellini.

Ma mère l'Esprit Saint me prit par un de mes cheveux et m'emmena sur la
haute montagne du THABOR»
Cette parole prêtée à Jésus vient de l'Évangile aux Hébreux
1.
Origène que cette citation laissait perplexe s'appuyait néanmoins sur
elle pour dire que le Christ avait été transfiguré sur la montagne du
Thabor; la tradition a accueilli et entériné cette identification
2.
On s'appuyait pour ce faire sur le prophète Jérémie qui y voyait une
figure de la venue messianique:
«Le vivant, moi, oracle du roi ! Son nom : Le
Seigneur Sabaot ! Oui, comme le Thabor parmi les monts, comme le
Carmel sur la mer, il vient!» ? Jr 46,18.
Ou encore sur cette parole des Psaumes :
« Le septentrion et le midi, toi, tu les as créés;
le Tabor et l' Hermon jubilent à ton nomL»
Le Thabor est mentionné à diverses reprises dans les campagnes de
Josué.

Sur
le conseil de Dhébora, du temps des Juges, il fut un lieu de campement
d'où Barak se précipita sur l'armée de Sisera pour la vaincre (Juges
IV).
Il n'apparaît plus dans les livres postérieurs à Jérémie
Josèphe pendant la guerre contre Rome y fit édifier une défense qui ne
résista pas à l'envahisseur.
Mont aride aux ruines désolées, tel, il devait s'offir à la fin du
premier siècle
3. Il a donné son nom à une
victoire de Bonaparte contre les Mamlucks en 1799 ; il évoque donc
surtout des faits d'armes. Ce n'est qu'au XXème siècle
qu'il
a été boisé de conifères.
*LA MONTAGNE D' ELIE ET D'ÉLISÉE
Aux frontières de la Galilée, il y a
«LA MONTAGNE»
si réputée par son prophète, qu'il n'y avait pas besoin de la nommer:
C'était un homme vêtu
de poil et ayant une ceinture de cuir autour des reins. Et Achazia
dit: C'est Élie, le Thischbite.
Il envoya vers lui un chef de cinquante avec ses cinquante hommes.
Ce chef monta auprès d'Élie, qui était assis sur le sommet de LA
MONTAGNE , et il lui dit: Homme de Dieu, le roi a dit: Descends!»
2 R 1: 8-9
La montagne capable de rivaliser avec la Sainte montagne de Sion,
c'était la montagne des prophètes dont le représentant majeur
était Elie, ce redoutable homme de Dieu qui savait faire pleuvoir
pluie ou feu sans craindre de se montrer violent;
«Elie monta au sommet du Carmel; et, se
penchant contre terre, il mit son visage entre ses genoux»
1 Rois 18:42
Cependant Élie n'était que l'un des prophètes ayant élu sa demeure
sur le Carmel.
Le Carmel était la montagne évoquée dans le Cantique:
«Ta tête, sur toi,
comme le CARMEL,
et les cheveux de ta tête comme la pourpre.
Un roi est pris par tes boucles.» Ct 7:5
ou par le prophète Isaïe:
«La gloire du Liban
lui sera donnée, La magnificence du CARMEL et de Saron.
Ils verront la gloire de l'Eternel,
la magnificence de notre Dieu.» Isaïe 35:2.
Le prophète dont se recommandait davantage Jésus était Élisée qui y
avait élu domicile à la suite d'Élie:
«La Sunamite partit
donc et se rendit vers l'homme de Dieu sur la montagne du Carmel.
L'homme de Dieu, l'ayant aperçue de loin, dit à Guéhazi, son
serviteur: Voici cette Sunamite!» 2 Rois 4:25
Élisée suivit cette mère jusqu'à Shunem , de l'autre côté de la plaine
de Yzréel, où il releva son enfant mort alors que Jésus dans la ville
jumelle de Naïn, de l'autre côte du Mt Moreh, ressuscita un jeune homme.
Avec le souvenir d'Élie et d'Élisée, la prophétie d'Isaïe
n'appellait-elle pas la Transfiguration?
D'autant que Jésus avait prophétisé huit jours avant qu'il allait se
manifester dans sa gloire (Lc 9:27 D05). Étonnant tout de même que ce
rapprochement n'ait pas été proposé par Origène, Eusèbe ou Jérôme ! Au
lieu de cela l'annonce de Jésus, transmise par Luc, fut retouchée pour
une harmonisation avec le parallèle de Marc
5.
Les Chrétiens des premiers siècles avaient-ils une raison objective
d'ignorer la montagne d'Élie et d'Élisée pour lui préférer le Thabor
bien qu'il n'ait été marqué d'aucune manifestation autre que militaire?
* LES CULTES SUR LE MT CARMEL
La longue chaîne du Carmel était peuplée dès 12500 ans avant le Christ,
dans sa partie ouest surplombant la mer . De très nombreux cultes s'y
sont succédés. L'autel élevé à YHWH n'y était pas le seul, ce qui
faisait l'objet de menaces par les prophètes.
«Il menace la mer et
la dessèche, Il fait tarir tous les fleuves; Le Basan et le Carmel
languissent, La fleur du Liban se flétrit.» Na 1:4
A l'époque de la guerre contre Rome, le Carmel , selon Flavius Josèphe,
était aux mains des Tyriens:
La Galilée, qui se divise en Galilée supérieure et
Galilée inférieure, est enveloppée par la Phénicie et la Syrie ; au
couchant, elle a pour bornes le territoire de Ptolémaïs et le Carmel,
montagne jadis galiléenne, maintenant tyrienne ; au Carmel confine
Gaba, la « ville des cavaliers », ainsi appelée des cavaliers qui,
licenciés par le roi Hérode, y établirent leur résidence.» Flavius
Josèphe, BJ 3:3,1
Selon Suétone, Vespasien y vint consulter l'oracle qui l'avait assuré du
succès de son entreprise (Vespasien 5:9). Cela avait du raviver
l'intérêt pour les autels dressés aux idoles des Tyriens.
Jamblique, philosophe néo-platonicien du IVème siècle, y voyait un lieu
sacré entre tous, interdit au commun des mortels. Épiphane (Panarion)
rapprochait les Nazaréniens, cette partie des Chrétiens fidèles au
Judaïsme, des Esséniens qui auraient trouvé refuge sur le mont Carmel.
Le fourmillement de spiritualités diverses avait pu conduire les églises
chrétiennes à chercher ailleurs le lieu de la transfiguration: c'est ce
qu'exprimait la vision de l'auteur de l'évangile aux Hébreux :
« Ma mère l'Esprit Saint me prit par un de mes
cheveux et m'emmena sur la haute montagne du THABOR»
* LE CARMEL DE LA TRANSFIGURATION
Dans l'Esprit Saint, Pierre avait identifié à Élie l'un des deux hommes
de l'apparition; cette présence, à elle seule, était une indication du
lieu.
Quelle pouvait en être l' incidence sur la Transfiguration elle-même?
Pierre proposa de dresser trois tentes comme s'il souhaitait marquer
l'emplacement d'un lieu de culte.
Il y eut alors l'intervention de la voix céleste disant :
« Celui-ci est mon
fils bien aimé, l'élu : Écoutez-le ».
Elle venait signifier que le premier “lieu liturgique” c'était le Christ
lui-même, dans l'écoute de sa Parole.
En les bénissant le soir de sa Résurrection, Jésus recommanda aux
Apôtres de ne pas s'éloigner de Jérusalem. C'et là qu'ils s'unifièrent,
continuant à monter prier au temple; c'est de là qu'ils rayonnèrent.
Pour ces raisons, les Apôtres ont pu être amenés à maintenir dans la
confidentialité le nom du CARMEL comme celui de
BÉTHEL.
À ce que laissait percevoir Luc, Jésus avait été transfiguré sur le
Mt Carmel lieu traditionnel des prophètes. Avec le lieu, le moment qui
lui sert de contexte enracine l'évènement dans l'histoire biblique, tout
en lui donnant un extraodrinaire relief : en effet et bien que l'épisode
soit généralement superposé à la Fête de Soukkôt à l' automne, les
paroles échangées sont en lien direct avec
le
don de la Torah à la fête de Shavouôt.
1 - Évangile apocryphe cité notamment par Origène de
qui provient la citation , commentaire sur l'évangile de Jean 2/12 (sur
Jn 1:3)ou sur Jérémie 15:4 ; également Jérôme, commentaire sur Michée
7:6, Isaiah 40:9ff., Ezekiel 16:13.
2 - Commentaire sur le Ps. lxxxviii, 13
3 - St. Cyril of Jerusalem (Catech., II, 16) St. Jerome
(Ep. xlvi, ad Marcel.; Ep. viii, ad Paulin.; Ep. cviii, ad Eust.) St.
Proculus, Patriarche de Constantinople (d. 447; Orat. viii, in
Transfig.), Agathangelus (Hist. of Armenia, II, xvii), Arnobius le jeune
(d. 460; Comm. Ps. lxxxviii, 13) s. En 553 le 5ème Concile de
Constantinople décida l'érection d'un
mémorial
sur le Thabor.
4 - Le Thabor avait la même apparence que sur les
photos
de Bonfils vers 1878
5 -
« Or je vous dis que vraiment
certains de ceux qui se sont tenus ici ne goûteront pas la mort
jusqu'à ce qu'ils voient le Fils de l'homme venant dans sa gloire !Luc
9:27 D
« Or je vous dis que vraiment certains de ceux qui
se tiennent là, ne goûteront pas la mort jusqu'à ce qu'ils voient la
royauté de Dieu » Luc 9:27D
« Amen je vous dis que certains de ceux qui se
tiennent avec moi, ne goûteront pas la mort jusqu'à ce qu'ils voient
la royauté de Dieu se manifester avec puissance» Mc 9:1 D05