2-3
Le soir venu vous dites :
“Beau temps”, en effet le ciel s'empourpre, et le matin : “orageux
aujourd'hui” car l'air
s'empourpre en s'assombrissant.
Le mot “air” est en hapax dans les évangiles. Jésus s'adressait à un
public versé dans les phénomènes atmosphériques, fidèle observateur de la
couleur du ciel matin et soir, tirant des conclusions sur la journée à
venir : les nuages rougissant sont signe de beau temps au coucher du
soleil mais non à son lever. Cela s'observe partout où que l'on soit selon
le dicton “ciel rose du matin, de l'eau au chemin.” Ainsi Matthieu ne
décrivait pas un phénomène propre à Israël. Est-ce que de Rome, il
n'aurait pas associé phénomènes atmosphériques et “signes à partir du
ciel” dont l'auditoire aurait pu être friand?
Comparativement, son parallèle lucanien relève de la topographie propre
d'Israë
l : Lorsque vous voyez la nuée se levant à l'Ouest, aussitôt
vous dites: “la pluie vient”, et il advient ainsi; et lorsque le vent du
midi soufflant vous dites “il y aura une chaleur torride” et cela
advient. Hypocrites. Certes l'aspect du ciel et de la terre vous savez
les discerner, seulement ce temps-ci, vous ne le discernez pas ?
Luc 12.54-56.
En Israël la pluie vient de l'Ouest, de la mer ; le vent du Sud y est très
chaud car il passe par le désert. Les propos de Jésus manifestaient
l'observation du phénomène et la foule à laquelle il s'adressait et qui
savait observer et interpréter (rôle de l'hypocrite) les phénomènes
atmosphériques, n'était pas en mesure de discerner la particularité de sa
présence au milieu d'elle. En faisant une comparaison entre l'accueil qui
lui était réservé et l'observation du ciel Jésus avait interrogé la
capacité de réflexion de la foule. Auparavant, et suite à un exorcisme, on
lui avait demandé “un signe à partir du ciel” selon l'expression de
Jérémie 10.2 qui décrivait les croyances païennes dans les idoles et une
nature habitée de multiples divinités. La réponse de Jésus avait alors
porté sur la division interne à ces multiples forces dites aussi “démons”.
4 Génération mauvaise ! Elle
cherche un signe et de signe il ne lui sera pas donné,
sinon le signe de Jonas.
Ce verset est une réitération du
v 12.39
sorti de son contexte initial ; il est à relier dans ce chapitre-ci au v.
17 :
“Heureux es-tu Simon fils de
Jonas parce que chair et sang ne te l'ont pas révélé, mais
mon père dans les cieux”.
Fils de Jonas est comme un
titre conféré précisément dans cet épisode, par Jésus à Simon en
complément de celui de Pierre au v18.
Le nom du père de Simon-Pierre et d'André n'est pas Jonas; il ne nous a
pas été transmis, à la différence de celui de Zébédée, le père de Jacques
et de Jean. L'évangéliste Jean en I.42, disait Pierre
fils de
Jean au sens de fils spirituel de Jean le Baptiste (
fils de
Jonas selon d'autres manuscrits, par conformité avec Matthieu).
Celui qui est dit
Fils de Jonas est un héritier spirituel de ce
prophète : Jonas avait renoncé à se rendre à Ninive tandis que Pierre
renia son maître. Mais ensuite, il se rendit auprès des païens les
appelant à se convertir et à croire à la résurrection du Christ
comme l'avait préfigurée le prophète Jonas par son passage de trois jours
dans le monste marin. Pierre devenait dès lors pour les païens un “signe
du ciel”.
12
Il n'avait pas dit de se garder
du levain [.] mais de l'enseignement des Pharisiens et des Sadducéens...
Le mot “pain” fait défaut non seulement en D05, mais dans les mss Θ, 124,
565, 788 dans cette phrase explicative qui n'est pas dans le parallèle de
Marc.
13 Qui moi les humains disent
être [.] fils de l'homme ?
L'article défini
le devant
fils est absent du (seul)
codex Bezæ ; ce n'est plus alors un titre et la question pourrait porter
sur le sens de l'expression : qu'est-ce qu'un fils de l'homme ?
Toutefois l'article est présent dans tous les autres manuscrits et la
question a été traduite ainsi:
Qui disent les hommes que je suis, moi, le Fils de l'homme?
Or le pronom “moi” est absent des codicii Vaticanus et Sinaïticus,
579 , 700, 1582 et la phrase se comprend alors :
Qui est-ce que les
humains disent être le Fils de l'homme ? Une question à la
formulation incertaine portant sur l'identité de Fils de l'homme : Qui
est-il ?
Selon les parallèles synoptiques Jésus avait demandé :
-“Qui moi les foules disent être?”Lc 9.18
- “
Qui moi les humains disent être ?”Mc 9.27
16
Tu es le Christ le
Fils de Dieu le Sauvant (σὺ εἶ ὁ Χρς ὁ υἱὸς τοῦ Θῦ τοῦ
σώζοντος.
D05 et It
d)
Sur la page en parchemin du codex,
σώζοντος=
sauvant
a été légèrement gratté et réécrit au-dessus
ζόντος
=
vivant. L'un comme l'autre sont des participes au génitif se
rapportant au génitif Θεοῦ,
de Dieu et non au nominatif ὁ
Χρίστος,
le Christ. Comme le latin correspondant présente le
génitif “salvatoris” =
salvateur, il faut en conclure que
l'ancêtre du codex Bezæ comportait déjà
σώζοντος.
Le verset reflétait de manière presque exacte l'acrostiche bien
connu ἰχθυς =
poisson, formé sur Ἰησους Χριστος Θεοῦ υἱὸς σώτερ.
Toutefois, pour qu'il lui corresponde parfaitement il aurait fallu
inscrire le nom de Jésus en tête, permuter Θεοῦ avec υἱὸς, supprimer les
articles et mettre le participe au nominatif σώζων plutôt que de le garder
au génitif qualifiant le Père. Car la formulation du codex Bezæ
présente une difficulté théologique puisque c'est au Père qu'y est
rapporté le fait de sauver et non à Jésus alors qu'il était dit par l'ange
en Mt 1.21 que Jésus sauverait le peuple de ses péchés. Dans tous les
autres manuscrits, la leçon ζοντος =
vivant (simple raccourci de
σώζοντος) se rapportant au Père considéré comme le
Créateur de toute vie, évite cette difficulté.
Ainsi l'acrostiche trouverait son origine dans le texte gardé par le Codex
Bezæ. Il est à relier
à l’épisode du poisson miraculeux détenant la pièce
d'un statère d'argent dans sa gueule et sur lequel se profilait le dieu
Tyrien, Melkhart (autre synonyme de Mammon); il s'agit d'une création
personnelle de l'évangéliste Matthieu, car au temps de Jésus l'impôt dit
de la didrachme prélevé par les Juifs et versé au Temple ne fut prélevé
par les Romains qu'après la guerre de 70. Or le dialogue entre Jésus et
Pierre parce qu'il repose sur l'impôt versé à Rome manifeste une rédaction
postérieure à la guerre. Dans cet épisode, le poisson, ἰχθυς avait avalé
l'effigie de Melkhart ; mais n'était-ce pas cet adversaire, voire
l'Adversaire, que Pierre, finalement, sortait des eaux ?
L'acronyme de la stèle de Licinia Amias (IIIs) au Musée National de Rome
avec ΙΧΘΥΣ ZWTWN correspond à la lecture courante du verset
matthéen; toutefois le participe "vivant" au nominatif se rapporte à Jésus
et non au Père.
18 Or moi aussi je te dis que tu
es Pierre et sur cette
pierre je bâtirai mon église et les portes de l'Hadès ne prévaudront pas
contre elles.
La préposition ἐπὶ accompagnant un verbe de mouvement commande l'accusatif
; ce fut le choix du rédacteur selon le codex Bezæ mais auquel fut préféré
un datif dans les autres manuscrits de manière à éviter la notion
d'hostilité “contre” qui peut accompagner l'acusatif.
Clef en bronze d'époque romaine
19 Tout
ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux
Le verbe δέω signifie lier de liens, voire de chaînes ; il renforce
l'image des clefs qui servent à fermer et à ouvir. Il revêt un sens figuré
en Luc 13.16 pour cette femme maintenue dans des liens d'infirmité par le
démon. Qu'est-ce que Pierre était susceptible de lier jusque dans
l'éternité ? Les démons eux-mêmes ?
Les églises à la fin du Ier siècle accueillaient des croyants issus des
sectes où il s'étaient voués à une divinité par un serment, jusqu'à
l'inscrire dans la pierre par un ex-voto. Sinon c'étaient des soldats qui
s'étaient voués, dévoués, à l'empereur ou à leur chef jusqu'au sacrifice
de leur vie à travers le
sacramentum militiae. Aussi, par la
parole de Jésus, l'église pouvait s'autoriser à délier les uns et les
autres de leurs serments.
20 Alors
il tança ses disciples afin qu'ils ne disent à
quiconque que c'est le Messie Jésus.
Le verbe ἐπιτιμάω,
menacer, tancer, se rencontre ici en D05 et
B03 au lieu de διαστέλλω,
enjoindre,
commander, dans
les autres manuscrits .
Le nom de Jésus est en fin de phrase en D05 ; en א C K U W
f
13etc. il est en avant-dernière position Ἰησοῦς ὁ χριστός
= Jésus le Messie, ou le Christ Il a disparu de B03 L
f1
etc. L'expression
“le messie Jésus” tend à manifester qu'au Ier
siècle le peuple juif attendait un messie, un oint de Dieu ou encore un
prophète ; c'est avec le Christianisme que “le Messie” est devenu un nom
propre.
21 À
partir de là Jésus commença d’enseigner à ses disciples qu'il lui
fallait se rendre à Jérusalem et beaucoup souffrir [..] de
la part des anciens, grands prêtres et scribes et être mis à
mort et après trois jours se
lever. D05, Itala, Bo.
Les mots soulignés indiquent les différences d'avec le Texte Alexandrin ;
ils se retrouvent en Marc 8.31 et dans un ordre légèrement différent (
après
jours trois), en Luc 9.22 ( D05, Itala, Marcion).
Contrairement à ses parallèles Matthieu n'a pas gardé l'expression “
être
rejeté ” après le verbe
“souffrir”; mais en
harmonie avec eux le verbe de la résurrection est à l'actif avec
ἀναστῆναι, Jésus se levant lui-même de la mort. Par contre, dans les
manuscrits du Texte Alexandrin lui a été substitué ἐγείρω,
se
réveiller, à la voix passive, considérant que Jésus fut
ressuscité par le Père et l'expression
après trois jours y
a été remplacée par
au troisième jour.
“Après jours trois” se rencontre aussi en Lc 2.46, l'évangéliste
établissant une analogie avec la disparition de Jésus, à l'âge de 12 ans,
dans le Temple, trois jours durant au milieu des docteurs; la comparaison
était cependant toute relative puisque Jésus n'avait pas passé trois
jours entiers dans le tombeau ; c'est pourquoi en 18.33 et 24.21 Luc a eu
recours à l'expression “le troisième jour” qui est une référence biblique
(Gn 1,13; 42,17-18. 2R 18,10 etc.). Aussi, en Marc (8.31, 10,34) et
Matthieu (16.21 & 17.23) parce qu'elle ne jouit pas du même
antécédent, l'expression
“après trois jours” se révèle
inadaptée. En conclusion, le codex Bezæ manifeste que la rédaction
initiale de Luc a été reprise par Marc et Matthieu avant d'être amendée
dans le Texte Alexandrin.
Christ dans sa gloire, prieuré de Berzé-La-Ville, XIIs
27 Le Fils de l'homme est sur le
point de venir dans la gloire de son père avec
ses saints anges.
(C04 D05 1071)
La gloire symbolisée dans l'Art par une mandorle exprime l’harmonie
intérieure. EN Marc et Matthieu la gloire est focalisée sur le Père
La qualité de “saints” est aussi dans les parallèles synoptiques ; mais en
Luc
9.26 il convient de garder l'étymologie car la gloire n'y est
pas uniquement celle du Père mais aussi celle du Fils et celle des
“saints envoyés” à savoir Jean-Baptiste, Moïse et Élie.
28 Le Fils de l'homme venant
dans son règne.
Cette phrase a pour parallèle :
- en Marc 9.1
“la royauté de Dieu en train de venir avec puissance”,
- en Luc dans le codex Bezæ
“le Fils de l'homme venant dans sa
gloire”, remplacé
- dans le Texte Alexandrin par
“la royauté de Dieu”.
L'expression
“dans sa gloire” est davantage appropriée à
l'épisode de la Transfiguration qui fait suite, dans la mesure où celle-ci
est une manifestation de la personne du Christ dans sa gloire avant d'être
la réalisation de son règne.