XIII 1-2 “Un de ses disciples lui dit...
En réponse Jésus leur dit:
Vous regardez ces immenses constructions. Amen, je vous dis ... ”
Un disciple s'adressait à Jésus, mais c'est au pluriel qu'il lui
répondit: “vous regardez...Amen je vous dis”. Cette incongruité a été
corrigée par les copistes du Texte Alexandrin avec le premier verbe au
singulier et la suppression de “Amen je vous dis que”.
Or en Luc comme en Matthieu c'est un groupe de disciples qui
s'adressait à Jésus; et celui-ci leur répondit au pluriel ; selon Matthieu
il aurait aussi employé l'expression : “Amen je vous dis que”.
Voici comment peuvent se retracer les étapes
rédactionnelles de cette péricope: Marc a tenté de corriger une difficulté
qui se rencontre fréquemment en Luc, quand un groupe de disciples
s'adresse à Jésus : l'un d'eux prend-t-il la parole pour le groupe
ou bien sont-ils plusieurs à s'exprimer ? L'évangéliste ne le précise pas
; aussi, Marc a choisi d'écrire qu'un disciple s'adressait à Jésus tout en
laissant la réponse au pluriel. Matthieu a conjugué leurs deux
rédactions et gardé le pluriel; par la suite les copistes du TA ont repris
Marc en fonction de Matthieu, certains gardant la phrase “amen je vous dis
que”, d'autres non.
“Que ne soit pas laissée ici pierre sur pierre qui
ne soit démolie !”
Considérant qu'il n'y a pas de mouvement dans l'expression “pierre
sur pierre”, le terme commandé par la préposition ἐπὶ,
sur,
est au datif (cf. Lc 21.6). Par contre, dans le TA, les copistes ont
repris l'expression à l'accusatif du parallèle matthéen (24.2).
Selon Luc (21.4 D05), Jésus avait précisé que “
ne serait pas laissée
pierre sur pierre dans une muraille ici qui ne serait démolie”.
Ce sont bien les murailles qui furent renversées, tandis que les
pierres jonchaient le sol mais que les fondations résistaient.
À la différence de leur emploi à l'indicatif futur dans le parallèle
lucanien, les verbes sont ici au subjonctif aoriste sans la particule ἄν ;
ce subjonctif marque la volonté avec le caractère éventuel qui en est la
conséquence. Cette nuance, propre au grec, se perd en français où les
verbes sont généralement traduits par l'indicatif futur qui introduit une
notion de certitude.
Au chapitre précédent, Jésus émettait une malédiction à
l'encontre d'un figuier, sensé représenter le temple et ses institutions.
Elle se confirmerait ici par l’emploi du subjonctif de volonté :
Jésus ne faisait pas une annonce prophétique mais une sorte d'imprécation.
Le parallèle matthéen, avec un premier verbe au
subjonctif et un second à l’indicatif a conjugué, là encore, les deux
autres Synoptiques.
“Et dans trois jours un autre sera relevé sans les
mains.”
Présentant son corps comme un sanctuaire, Jésus annonçait sa résurrection
après ses trois jours au tombeau. Cette phrase, non retenue dans le
TA, est attestée par de nombreux manuscrits : D,W,
Ita, b,
c, d, ff2, i, n, r1, Cyprien ; c'est elle qui aurait été
rapportée déformée, lors du procès :
“Je détruirai ce temple fait par
la main et après trois jours j'en reconstruirai un autre non fait par la
main (αχειροποίητον).” Mc 14.58 .
Pourquoi cet antécédent servant de référence au (faux)
témoignage porté contre Jésus n'a-t-il été gardé ni dans le TA ni
par Matthieu ? Peut-être parce qu'il tranche sur les paroles qui le
précèdent ? Il ne s'insère pas littérairement dans la péricope
mais apparaît plutôt comme un ajout maladroit.
Marc qui n’a pas souhaité donner un caractère
politique mais principalement religieux à la condamnation de Jésus a
pu vouloir étoffer un dossier vide d'accusations. En recherchant un
argument c'est au récit du martyr d'Étienne qu'il aurait fait un emprunt
:
Étienne était accusé par ceux qui, avec lui, fréquentaient la synagogue
des affranchis, d'avoir dit que “
Jésus le Nazôréen lui-même détruirait
ce Lieu-ci et changerait les coutumes que Moïse nous a transmises”(Ac
6:14). Est-ce bien ce que Jésus avait dit ? Les propos d'Étienne
n'avaient-ils pas été déformés? Lors de son procès, en se référant au
Prophète Isaïe, il professait: “
Mais le Très-Haut n'habite pas dans ce
qui est fait de main d'homme (ὁ δὲ ὕψιστος οὐ κατοικεῖ ἐν χειροποιήτοις)
, comme dit le prophète !” (Ac 7.48). Sa référence à Isaïe revêtait
un caractère spirituel et non point politique. Étienne était de tradition
samaritaine, comme le reflète son long discours devant les membres du
Sanhédrin et l'accusation portée contre lui manifeste les tensions entre
les deux cultes.
De ces mots
“Jésus le Nazôréen lui-même
détruira ce Lieu-ci ” Marc a pu tirer une accusation pour le
procès de Jésus et leur donner un antécédent par une parole qu'il lui a
prêtée personnellement “
et après trois jours un
autre sera construit sans les mains”, parole symbolique
sur le relèvement du temple, allusion cachée à sa résurrection
et ne pouvant être comprise sur le moment ; elle se prêtait à être
déformée, notamment par des témoins à charge appelés au procès.

Quand
à l'image d'un édifice qui ne doit rien à la main humaine, c'est dans
l'Épître aux Hébreux que Marc a pu la trouver. L'état du Christ
ressuscitant y est mis en rapport avec son entrée dans ce “ciel” qui est
cette tente non faite de main d'homme :
“Le Christ est devenu grand
prêtre des biens à advenir par le moyen d'une tente plus grande et plus
achevée, non faite à la main, soit qui n'est pas de cette
création...Car ce n'est pas dans des lieux saints faits à la main —
contrefaçon des véritables — qu'est entré le Christ, mais
en lui, le ciel afin d'être manifesté pour nous par la face de Dieu.”
He 9.11&24.
Marc aurait fait un emprunt à un auteur qu'il connaissait bien puisqu'il
était parent de Barnabé, auteur de cet épître selon Tertullien. À une
image qui demeurait floue, Jean (2.19-20) a conféré un contour
précis, celui du temple symbolisant le corps de Jésus.
La face du linceul de Turin, “icône
αχειροποίητον”.
10
Et auprès de toute
nation doit être premièrement proclamé l'évangile
parmi toutes les nations.
La fin du verset est une surcharge qui a été supprimée dans le TA.
La nécessité de “proclamer l’évangile” revient 3 autres fois en Marc
(1.14, 14.9 et 16.15). L'expression lui est propre et n' a été
reprise que dans les parallèles de Matthieu. Par contre Marc a ignoré le
verbe εὐαγγελίζω si fréquent en Luc-Actes et dans les épîtres
pauliniennes; sous sa plume l'évangile semble davantage correspondre à un
récit existant qu'à la proclamation d'un message de foi dit à brûle
pourpoint.
Ce verset qui occupe une place intermédiaire ne permet pas d'entrevoir une
chronologie aux événements prophétisés; se trouvent rassemblés par Marc
des éléments des chapitres 17 et 21 de Luc et propres à constituer un
désordre eschatologique.
14 Que le lecteur ait l'intelligence de ce qu'il
lit.

Ces
derniers mots
“de ce qu'il lit” sont absents du
TA alors qu'ils renvoient directement à l'expression que l'évangéliste
venait d'employer
“l'abomination de la désolation”
; pour le Prophète Daniel (12.11), elle résumait les actes de
profanation du Temple sous Antiochus Épiphane. À travers elle Marc faisait
une allusion cachée à la profanation que Caligula envisageait encore
peu de jours avant son assassinat en janvier 41. Marc est nommé dans les
Actes peu après le martyr de Jacques en 43 ; il avait pu être témoin des
événements et les répercuter de cette manière dans les paroles de Jésus.
Caligula, Lac Nemi

20 “à cause de ses élus”
Nouvelle redondance faisant double emploi et supprimée dans le TA.
Le thème des élus revient en outre au v 27: “Et alors, il
enverra les Anges et il rassemblera les élus des quatre vents d'une
extrémité de la terre à l'extrémité du ciel.”
- Combinaison de versets ? (Dt 30.4, Za 2.6)
- Image empruntée à l'Apocalypse (7.1:3)?
- à une source commune?
Michelange, Chapelle Sixtine, les Quatre vents
Et si le Seigneur n'avait abrégé les
jours...toute chair ne serait pas sauvée(οὐκ ἂν ἐσώθη πᾶσα σάρξ)
Il s'agit bien du salut de “toute chair” sans exception, selon une
expression paulinienne (R 3.20 ; 1 Co 1.29 ; 15.39)
“Chair” est du féminin comme l'adjectif “toute” qui le qualifie;
grammaticalement, la négation se rapporte au verbe, et non point
au substantif sujet de la phrase. Aussi “toute chair” ne peut être
traduit par “nulle chair” ni par “personne”. Toutefois les
traducteurs reportent toujours la négation sur le substantif : “aucune
chair ne serait sauvée”; ce faisant le salut est particularisé à
quelques uns, les élus, comme précisé dans la phase précédente ou la
phrase suivante.