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Béthanie ou Bethphagé ?
Béthanie = El Azariyeh
Bethphagé = Abu Dis ? Ou plutôt Beth Page, nommée dans le Talmud en
Menahot 78b et qui marquait dans les faubourgs la limite externe de
Jérusalem défendue par des murs. En arrivant à Bethphagé, Jésus se
trouvait dans les limites de la ville sainte. Eusèbe dans l'Onomasticon
disait que le village se situait au Mont des Oliviers.
Bibliogr. Jack Finegan, The
Archeology of the New testament, p 163.
Village de Béthanie; au
fond l'Hérodion
Histoire rédactionnelle
Le chemin de Jéricho à Jérusalem passait par Béthanie située sur la
crête du Mont des Oliviers ; Bethphagé devait se trouver un peu avant ;
et c'est vers ce village que Jésus envoyait ses disciples délier un ânon
:
- Luc 19.29 : Lorsqu'il approcha de Bethphagé et de Béthanie au
mont dit des oliviers, il envoya deux de ses disciples, en disant:
30 “allez au village d'en face...”



Marc n'a gardé que Béthanie où, selon lui, Jésus allait revenir pour un
repas avant la Pâque :
- Marc 11.1D05 : Lorsqu’il approcha de Jérusalem et de Béthanie
au mont des oliviers.
Béthanie aurait due être nommée avant Jérusalem, et Matthieu a retouché la
phrase par l'ajout d'un second verbe au pluriel et le choix de Bethphagé
au lieu de Béthanie ;
- Mt 21.1 : Lorsqu’ils approchèrent de Jérusalem et vinrent à
Bethphagé au mont des Oliviers.
Les copistes reprirent Marc d'après Matthieu, insérant Bethphagé tout en
gardant Béthanie.
- Mc 11.1 :Lorsqu’ils approchent de Jérusalem, de Bethphagé et de
Béthanie au mont des Oliviers...
8
- - Beaucoup étendirent leurs vêtements sur
la route
- - et les étendirent sur le chemin.
- - et d’autres coupèrent des feuillages des
arbres
Étendre son manteau sous les pas de la monture marquait un signe
d'allégeance au roi messie. Mais que venaient faire les branches ?
Marc
11.8 selon B03, C04, L ΔΨ א |
Marc 11.8,
autres manuscrits |
Matthieu 21.8 |
Et d'autres ayant coupé des feuillages
des champs. |
Et d’autres
coupèrent des feuillages des arbres
et les étendirent sur
le chemin. |
d'autres coupèrent
des branches d'arbres,
et en jonchèrent le chemin |
Giotto, détail de
l'entrée de Jésus à Jérusalem, Padoue.

Le verset est grammaticalement incomplet dans le codex Vaticanus (B03 et
autres manuscrits affiliés) où manque la troisième partie du verset et il
n'est pas indiqué ce qu'il était fait des branches coupées ; étaient-elles
agitées en signe d'acclamation ?
Luc n'en faisait pas état (pas plus que le copiste du codex W en Marc et
en Matthieu). Par contre, selon Jean, Jésus aurait été acclamé par les
Jérusalémites venus à sa rencontre des palmes à la main. Mais Marc n'avait
pas parlé de palmes, employant le terme rare ἐστιβάδας ou στοιβάδας ou
στιβάδας, des feuillages servant à la confection de bourre de matelas et
provenant du verbe στείβω signifiant compacter. Placés avec les vêtements
sous les pas de la monture, n'étaient-ils pas sensés amortir les rugosités
du chemin ? L'importance donnée à ces feuillages paraît avoir un lien
littéraire avec l'acclamation joyeuse “hosanna” dite par les disciples ;
elle provient du Psaume 118(117) et dont le v. 27 mentionne des feuillages
compacts :
Ps 118.27
אִסְרוּ־חַג בַּעֲבֹתִים עַד־קַרְנֹות הַמִּזְבֵּֽחַ |
LXX Ps 117.27 : συστήσασθε ἑορτὴν ἐν τοῖς πυκάζουσιν ἕως τῶν
κεράτων τοῦ θυσιαστηρίου |
Trad Chouraqui : Liez la fête de feuillages
entrelacés aux cornes de l’autel.
Tr. du Rabbinat : Attachez la victime par des liens tout
contre les angles de l’autel.
|
Tr.litt.:
Rassemblez une fête dans des
entrelacs jusqu'aux cornes de l'autel.
Trad P. Giguet: Célébrez une fête solennelle avec des rameaux
touffus et ombragez jusqu'aux cornes de l'autel.
|
La difficulté posée par le verset tient à l'interprétation de deux termes
hébreux.
- עֲבֹתִ désigne un entrelacs qui peut être de cordes (Jud 15.13-14)
comme de feuillages (Ez 19.11; 31.3).
- חַג désigne non seulement la fête mais aussi l'animal sacrifié ce
jour là. C'est bien de l'animal sacrifié dont il était question dans
le verset puisque le verbe suppose qu'il soit ligoté, ce qu'on ne
saurait dire de la fête.
Or les versets 25&26 qui précèdent ce verset 27 détiennent des
acclamations reprises par les disciples lors de l'entrée de Jésus à
Jérusalem:
Acclamations
des disciples :
Ps 118 25-26 |
Marc 11.9-10 D05, W, It |
Luc 19.38 D05, It, Syh |
Matthieu 21.9
|
Jean 12.13 |
Donne,
Seigneur, donne le salut (Hoshia_na)!
Donne, Seigneur, donne la réussite!
26 Béni celui qui vient au nom du Seigneur ! |
Béni
celui qui vient au Nom du Seigneur! Béni le règne qui vient de
David notre père !
Hosanna dans les hauteurs ! |
Béni
celui qui vient au Nom du Seigneur!
Béni le roi ! Paix dans le ciel et gloire dans
les hauteurs! |
Hosanna
au Fils de David. Béni celui qui vient au Nom du Seigneur.
Hosanna dans les hauteurs. |
Hosanna!
Béni celui qui vient au Nom du Seigneur,
le roi d'Israël |
Le psaume 118 est le dernier des 6 psaumes du Hallel entonné à l'office
religieux du matin, après la Amidah, à l'occasion des trois fêtes de
pèlerinage (Pessah, Shavouot et Soukkot), ainsi que pour Hanoucca et Rosh
Hodesh. Et selon le Talmud, l'acclamation
Hoshanna devint le nom
donné au bouquet de quatre végétaux liés ensemble et agité à Soukkot (T.
Bab. Succa, fol. 37a).
En intégrant des
feuillages compacts à son récit, Marc
n'avait-il pas cherché à établir un lien avec les
entrelacs du
psaume ? L'acclamation
hosanna tendrait à le confirmer. Elle est
la traduction en araméen de l'hébreu
Hoshia_na. Introduite par
Marc dans les acclamations des disciples elle a été adoptée par Matthieu
et par Jean.
Par contre elle n'est pas en Luc pour qui Jésus fut
acclamé comme venant au Nom du Seigneur et comme roi, son rôle messianique
n'étant pas seulement spirituel mais aussi politique.
Or, dans le texte de Marc, l'acclamation royale est
équivoque
: “Béni soit le règne qui vient de David notre père”.
Que signifie-t-elle ? Difficile de le dire. Évitant son rôle politique,
Marc offrait un contexte liturgique à l'entrée de Jésus à Jérusalem.
Matthieu a renforcé ce trait en faisant carrément disparaître
l'acclamation royale.
L' hébreu
hoshia-nah du Psaume 118.25,
O Seigneur, donne
le salut, offre un lien avec l'étymologie du nom Jésus. Mais
jusqu'où l'expression
“Hosannah dans les hauteurs” permet-elle ce
rapprochement ? Dans ces lieux élevés que ne saurait atteindre l'homme et
où réside la puissance divine entourée de ses anges, devrait-on imaginer
qu'il y ait nécessité d'apporter le salut ? L'expression n'est pas
vraiment satisfaisante et il y a lieu de se demander si Marc n'aurait pas
simplement remplacé l'expression lucanienne
“gloire dans les
hauteurs” par
“hosanna dans les hauteurs”, sans réaliser
la méprise.
13 - Le figuier que Jésus aurait maudit
Jésus se serait approché d'un figuier pour apaiser sa faim alors même
qu'il sortait de Béthanie où il avait passé la nuit ; n'y trouvant pas de
fruit, il aurait prononcé à son encontre une parole de malédiction ; et
Marc d'ajouter que ce n'était pas la saison des figues.
Tous ces détails laissent le lecteur perplexe! Derrière le figuier, en
lien avec Jer 8.13, se profilerait le peuple d'Israël ; cette péricope est
interprétée depuis deux millénaires comme une parabole de la fin du temple
qui, d'une Maison de prière, était devenue un repaire de brigands.
Ficus
Ruminalis, pavement de la Cathédrale de Sienne, 1373
Mais comment Jésus pouvait-il maudire ? Selon Luc et Matthieu il pleura
sur Jérusalem et le sort prévisible qui attendait la ville ; Il pleurait
sur elle, il ne la maudissait pas. Luc avait rapporté cette parole de
Jésus : “
Si vous aviez de la confiance comme un grain de
sénevé, vous diriez à ce mûrier : Déracine-toi, et plante-toi dans la
mer; et il vous obéirait.” Lc 17.6
Il faut bien voir que c'était là une boutade ; Jésus venait d' inviter ses
disciples à une patience d'ange en pardonnant 7 fois par jour à celui qui
se repent, et il leur montrait par l'exemple du mûrier qu'ils n'avaient
pas encore commencé à emprunter ce chemin. Marc n'aurait-il pas pris au
mot cet exemple du mûrier ? S'il écrivait de Rome, comme le suggère la
Première Lettre de Pierre, il devait avoir connaissance du figuier ruminal
supposé avoir abrité Romulus et Remus et qui, selon Tacite, se dessécha en
l'an 58 de notre ère :
“La même année, le figuier Ruminal, qu’on
voyait au Comice, et qui, plus de huit cent quarante ans auparavant,
avait ombragé l’enfance de Remus et de Romulus, perdit ses branches, et
son tronc se dessécha, ce qui parut d’un sinistre augure ; mais il
poussa de nouveaux rejetons.”(Annales, XIII, 58).
Frappé par cet événement, Marc ne s'en serait-il pas inspiré ? Le
combinant avec la parabole du mûrier, il aurait composé la péricope du
figuier desséché, reportant ainsi sur Jérusalem des augures qui menaçaient
Rome.
17 Et il les enseignait en
disant : Il est écrit : Ma Maison maison de prière sera appelée
pour toutes les nations. Mais vous, vous en avez fait une caverne de
bandits.
L'expulsion des marchands est accompagnée en Luc d'une parole forte qui
donne le sens du geste et par laquelle Jésus revendiquait le temple
comme
sa Maison.
Chez Marc cette parole n'est plus “réactionnelle” ; elle devient un
enseignement où Jésus citait Isaïe 56.7 qui exprimait le souci des
nations, une motivation chère à Marc. Cependant la parole n'a plus la même
force qu'en Luc et semble dévitalisée.
La phrase centale a été formulée comme une question dans le Texte
Alexandrin :
N'est-il pas écrit que...
On retrouve ici comme aux v 8 -10 l'ancrage littéraire de l'évangéliste à
travers lequel il cherchait à renouveler le sens de son récit.
23
La foi
Amen, je vous le dis, celui qui dit à cette montagne : “Ôte-toi de
là et jette-toi dans la mer”, et ne doute pas en son cœur mais croit
l'avenir qu'il a énoncé lui arrivera. Peut-être Matthieu y
voyait-il une certaine proximité avec des paroles magiques ? Il reprit le
verset sous la forme :
Mt 21.22
Et quoi que vous demandiez en priant, si vous croyez, vous
le recevrez.
Le Pardon
26 Et si vous ne pardonnez pas, votre Père qui est aux cieux ne
vous pardonnera pas non plus vos fautes.
Ce verset omis de nombreux témoins scripturaires (א B L S W etc.) est
attesté de D05 et de plusieurs autres manuscrits (A C K M U f13
etc). Le verset se retrouve en Mt 6.15 où, avec le précédent, il
constitue un commentaire de cette demande du Notre Père :
Remets-nous nos dettes comme
nous, nous remettons à nos débiteurs.
Le “comme” est comparatif : Le Père se calquerait sur les
attitudes humaines dans ses propres jugements ; si les humains sont
miséricordieux entre eux, il le sera envers eux.
En Luc, la demande est : Remets nous nos dettes et nous, en effet,
nous remettons à ceux qui nous doivent. Il n'y a pas “comme”
mais “et en effet”. Le priant a grand besoin de la miséricorde
divine pour pardonner à son tour. Toutefois, il n'attend pas d'être
pardonné pour déjà pardonner en son cœur. Il ne demande pas pour autant
à Dieu de se calquer sur lui.
La nuance entre les évangiles est subtile ; la façon dont Marc Matthieu
l'ont comprise tendrait à limiter Dieu dans son œuvre de salut, dans la
mesure où il calquerait son attitude sur celle des humains.