Paracha et haftarah dans l'évangile de Luc : le calendrier
liturgique et le ministère de Jésus
L'auteur n'indiquait pas tant un mouvement du corps, que de l'âme, un retirement en soi-même dans le désert de l'esprit, où l'humain se confronte à sa solitude. Jésus, quoique plein d'Esprit Saint, se voyait confronté au vide ressenti dans l'esprit humain. Jean venait d'être incarcéré par Hérode et Jésus faisait l'expérience de la profondeur de la solitude humaine. Le récit des trois tentations, pourrait refléter l'expérience spirituelle à laquelle il fut confronté suite l'incarcération de Jean.
2 - Quarante jours éprouvé par le satan. Et il ne mangea rien en ces jours là , et ceux-là étant achevés *(finalement) il eut faim.Quarante jours: Et que sont devenues les quarante nuits de la formule habituelle, et pourquoi Luc les a-t-il omises? Matthieu (Mt4,1) qui ne les avait pas oubliées rappelait ainsi l'Alliance du Sinaï où durant quarante jours et quarante nuits Moïse sans manger ni boire, intercéda pour le peuple (Dt 9,9,18, 25). Mais à suivre Nb 14,34, Ez 4,6, la valeur du chiffre quarante était considérée comme éminemment symbolique. Les quarante jours ne sont pas ici l'équivalent d'un temps compté d'un mois et dix jours, mais d'un état de combat spirituel (cf Gn 7,17, 1S17,16, Jon 3,4). Cela est confirmé par l'expression en ces jours là avec ekeinaiV , qui vient ensuite; elle évoque non l'alliance passée, mais les jours messianiques annoncés lors de la Nativité ( 2,1); en ces jours là, Jésus entrait dans le combat spirituel, et c'est dans la puissance de l'Esprit, qu'il gagna la Galilée (Lc 4,14).
Satan (et non le diable ): dénomination très lucanienne d'une personnalité à laquelle David et Job s'étaient déjà affrontés. Satan est l'accusateur, qui ira jusqu'à retourner contre l'autre l'accusation portée contre lui. Auteur du stratagème meurtrier tendu à Jésus (22,3), il l'était également de celui qui tenait Jean prisonnier.
Finalement : Cette insertion dans unepartie des manuscrits est une interpolation de Mt 4,2, pour qui Jésus après avoir jeûné longtemps, finalement fut tenté . En Luc Jésus fut éprouvé spirituellement durant le temps symbolique de quarante jours jusqu'à ressentir une faim de pain - matériel ou immatériel? Le pain, produit du grain semé en terre, (image de la parole de Dieu annoncée aux humains), est un leitmotiv de l'évangile.
3 - Si fils tu es de Dieu.L'ordre des mots créé une séparation entre les termes fils et Dieu qui ne constituent pas un titre comme en Lc 1, 34.
4 - Non sur le pain seul vivra l'humain, mais en toute parole[ ]de Dieu.La leçon longue de D05, partagée par une grande partie des manuscrits est la leçon originelle à laquelle le texte standard a préféré le raccourci du codex Vaticanus.
Le pain seul.Avec l'adjectif monos; comme en Dt 8,3 (tant en hébreu qu'en grec), il n'y a pas l'adverbe "seulement", mais l'adjectif "seul" . Le pain seul ce serait la nourriture consommée sans l'action de grâce, la vie d'opulence dans l'oubli de Dieu.
Jean Baptiste avait dit au peuple: Dieu peut de ces pierres faire sortir des enfants à Abraham (Lc3,8). Jésus fut éprouvé par la foi même de Jean: allait-il transformer les coeurs de pierre qui tenaient Jean enfermé en coeurs de chair susceptibles de rendre grâces à Dieu? Jean venait d'être arrêté par Hérode Antipas et comment Jésus n'aurait-il pas été tourmenté par le désir de changer le coeur de ce geôlier?
5 - Sur une montagne très élevée.7 - Elle sera toute de
toi.
Construite avec le verbe être, l'appartenance s'exprime soit au
datif (être à ) et c'est la destination, soit au génitif lorsqu'il
s'agit d'un bien possédé en titre (cf Lc 8,3) , sinon d'une possession
faisant corps avec le possédant (cf Lc 12,20 et 18,16); le diable
suggérait que l'univers habité devienne en quelque sorte, partie
prenante du Christ. Ce choix du génitif accompagnant le verbe être est
littéraire.
13 - Jusqu'à un
temps;
Cette notion est imprécise; elle se substitue à kairou = une
occasion, par laquelle s'établissait un rapport avec le v. 22,6 où
eukairian était cette occasion propice de livrer Jésus, recherchée par
Judas en qui était entré Satan.
Venant d'Alexandrie , enseignant à Césarée dans la première moitié du IIIème siècle Origène pensait qu'il fallait anlyser les Évangiles en respectant plusieurs niveaux de lecture; il doutait notamment que les tentations de Jésus aient à être prises au sens littéral. Que l'épisode soit chez un seul, ou plusieurs évangélistes, n'était pas pour lui un critère déterminant d'historicité. Voici, en substance, ce qu'il conseillait:
"le lecteur parvient a des passages où il ne peut décider, sans plus d'investigations, si tel évènement considéré comme historique s'est vraiment produit ou non. Ou bien si tel commandement biblique doit être observé ou non. En conséquence, celui qui lit d'une manière appropriée, doit - par obéissance au commandement du Sauveur qui dit de scruter les Ecritures - analyser attentivement jusqu'où le sens littéral est vrai, à partir de quel moment il n'est plus possible de le suivre." Origène, premiers principes, 4-3-5.
Dans l'épisode des tentations devait-il imaginer Satan mettant sous les yeux de Jésus, avec tous les royaumes du monde , les peuples les plus éloignés, les Schythes, les Perses ou les Hindous?
"La sagesse Divine dans certains cas d'interruption du récit historique a fait en sorte d'insérer un nombre d'impossibilités et d'incongruités constituant pour le lecteur une barrière l'appelant à sonder le sens littéral et, pour l'avoir éliminé, à rechercher une autre voie ouvrant sur l'immense champ de la Sagesse divine" Origène, premiers principes, 4-2-9 (I).
Les commentateurs s'accordent à voir dans les tentations une métaphore du combat spirituel engagé entre Jésus et les forces du Mal tout en conservant l'idée que Jésus séjourna réellement quarante jours dans le désert après son baptême.
En écrivant ce récit que pensaient les évangélistes?
Est abordé ici le point de vue de Luc comme base de réflexion à
partir de laquelle le lecteur peut lui-même établir des comparaisons
avec Marc (1,12-13) et Matthieu (4,1 et sq).
En faisant le récit des tentations,
Luc pensait-il que Jésus ait séjourné quarante jours dans le désert
en se confrontant physiquement au diable? Sa phrase introductive
détient des contradictions:
Jésus plein de l'Esprit Saint revint du Jourdain et il se rendait
dans l'Esprit, dans le désert, quarante jours, éprouvé par Satan.
Lc 4:1-2
Le Jourdain dessine une limite au-delà de laquelle les terres sont
non seulement peu habitées mais désertiques; mais "revenant" du
Jourdain Jésus s'éloignait donc du désert; pourquoi Luc a-t-il alors
écrit qu'il se rendait dans le désert. S'il parlait de ces parties
désertiques proches des villes de Galilée pourquoi n'a-t'il pas
utilisé le terme au pluriel comme il l'a fait en 1:80 et 5:16 : Il
se tenait retiré dans les déserts?
Parce qu'il était conscient d'écrire une métaphore. En effet, dans la
phrase Il se rendait 1 dans
le désert, il s'est servi de la préposition en = dans,
alors qu'après un verbe de mouvement on attend la préposition eis
(dans certains mss il y a même eu correction) . S'il a
dérogé à la règle c'est parce qu'il utilisait le verbe au sens figuré,
ce qu'il a fait à différentes reprises pour d'autres verbes de
mouvement. Dans les Epîtres se rencontrent des verbes comme marcher
ou tomber au sens figuré commandant la préposition en .
Et comme le mot désert s' emploie aussi dans un sens figuré
(Gal 4,27), Luc laissait penser à son lecteur que c'est dans la
solitude du coeur que Jésus se retirait.
Ne disait-il pas que c'était dans l'Esprit que Jésus était
conduit au désert? Défini par l'article il désignait ainsi l'Esprit
Saint nommé dans la phrase précédente, mais sans répéter l'épithète saint,
comme en 2:27 pour signifier, peut-être, l' union d' esprit à l'Esprit
Saint. Dans cet esprit de prière Jésus se retirait quarante jours;
or quarante est un chiffre symbolique, considéré comme tel par les
auteurs bibliques eux-mêmes, et lié au combat spirituel. Sa faim
n'intervenant qu'au terme des 40 jours c'est de faim spirituelle dont
il était question. Sinon pourquoi attendre le 40 ème jour?
La mise en scène de l'aversaire, nommé le Satan dans le codex
Bezæ, signale l'emprunt au livre de Job qui est une métaphore.
Ainsi la phrase introductive des tentations contient plusieurs termes à prendre au sens figuré (se rendre, désert, 40, faim, Satan). Luc était-il le créateur de l'image des trois tentations du Christ rapportées ensuite? Son souci d'historien, et le fait qu'il se soit abstenu de commenter les évènements à quelques exceptions près ( 23:12) suggèrent qu'il a emprunté cette allégorie à une tierce personne. Pourquoi l'a-t-il insérée après le Baptême dans le Jourdain et pas avant?
Jésus fut inévitablement éprouvé par l'arrestation de Jean Baptiste rapportée au moment du Baptême (Lc3,20); selon Flavius Josèphe, il fut incarcéré par Antipas dans la forteresse de Machéronte à l'Est de la Mer Morte, en plein désert (Lc4:20). L'insertion des tentations à ce moment précis a pu être motivée par cet évènement.
Il se retirait dans
le désert: l'imparfait suggère une action renouvelée; Jésus devait se
reporter souvent, par la pensée et la prière jusqu'à ce lieu
désertique où Jean était détenu. Mais il n'a vraisemblablement pas
commencé son ministère par 40 jours de solitude dans les sables du
désert. Selon Lc 4:23, après son baptême et avant de se rendre à
Nazareth, il était à Capharnaüm.
Dans la phrase qui vient ensuite on retrouve l'expression "en ces
jours là" utilisée par Luc tout au long du ministère pour les grands
moments de la vie de Jésus. Il ne mangea rien "en ces jours là". Cette
expression se rattache aux jours messianiques annoncés par les
prophètes et , à elle seule, récapitule le ministère de Jésus;
or c' est seulement quand ces jours là "furent tous accomplis" qu' il
eut faim. La métaphore des tentations dépeindrait donc Jésus au terme
de son ministère et non au début; deux mots rares des tentations se
retrouvent en introduction de la Passion: "Satan" (entré en Judas) qui
cherchait une "occasion" (de livrer Jésus: Lc 22:3 à comparer avec Lc
4:2 et 13). Ne serait-ce pas pour inviter à penser que les tentations
de Jésus symbolisaient la Passion?
La première tentation porte sur le pain, un symbole particulièrement fort en Luc, et en particulier lors de la Cène juste avant la trahison et le reniement.
La seconde sur la gloire terrestre recherchée par les pouvoirs politiques que Jésus eût à affronter durant sa Passion. Depuis une haute montagne, le diable lui faisait voir les royaumes de la terre. C'est du Mont Nebo que Moïse regarda Canaan dans lequel allait entrer le peuple conduit par Josué.La troisième sur une manifestation de lui-même depuis le pinacle du Temple et qui peut être mise en relation avec ce qu'il vécut devant le Sanhédrin (Lc 22,70).
Les Passions de Jean et de Jésus se trouvent ainsi reliées dans cette métaphore; or le rôle de la métaphore est de dépasser les contextes géographiques et temporels pour atteindre l'universel; l'image du combat spirituel livré par Jésus rejoint donc celui de toutes les générations.
Ainsi en insérant cette métaphore dans la continuité de son récit,
sans rupture, Luc n'a pas manqué de la faire précéder de signaux
indicateurs propres à avertir et interpeller son lecteur. Le lien avec
l'arrestation de Jean permet de comprendre que Jésus ne vécut pas un
retirement de caractère abstrait dans le tréfonds de son être, mais
qu'il fut confronté dès le départ de son ministère à un vrai
cataclysme dont l'issue fut la mort de Jean.
15 - Il enseignait
dans les synagogues *[d'eux].
Cet ajout du pronom personnel, dans tous les autres
manuscrits, tend à introduire une distance entre Jésus et le peuple
juif, comme si les synagogues de Galilée n'avaient pas été aussi les
siennes. Cette influence de Mt 4,23, correspond à une orientation
progressive de la communauté des croyants, qui s'est accélérée après
la chute du Temple.
Nazared avec une orthographe propre
répercutée également dans le latin mais différente de celle de Lc
2,39.
L'accoutumé serait ici la discipline observée par Jésus, par les
habitants de Nazareth et par tous les juifs pratiquants lorsqu'ils se
rendaient à la synagogue.
Bibl.: Monshouwer D., The reading of the Prophet in the synagogue at Nazareth, dans Biblica, 1991, 72-1, p.90-99. Grelot P., Sur Isaïe XLI,la première consécration d'un grand-prêtre, dans Revue Biblique, 1990,3, p.414-31. S. Chabert d'Hyères, chronologie de la vie de Jésus en Luc, Ed Anne Sigier, 1998, p 30-34.
Comparativement sabbasin utilisé ici - datif pluriel de la troisième déclinaison - n'est pas une substitution de sabbatoiV rencontré dans la Septante; sa signification serait légèrement différente; elle serait précisée par le contexte, comme cela se laisse entrevoir en Lc 6,2. À partir de ce verset on entrait dans la période dite des sabbasin.
- Autre racine envisagée: natzar, qui dans son sens premier garder , est devenu un attribut divin , Dieu étant le Notzer d'Israël , son gardien (Jb7,20). Le second sens assiéger, enserrer, pourrait être envisagé ici, nazorenai dit par l'esprit impur pourrait-il se comprendre dans un jeu de mots : "tu m'enserres"?
- Autre racine envisagée, netzer, la branche, le rejeton, image du Messie selon Isaie 11:1