Luc, Chapitre II
L' enfance de Jésus
1- En ces jours
là.
A partir de la naissance de Jésus, dans le codex Bezæ, en ces jours là est
écrit avec ἐκείναις, (et non plus avec ταύταις comme précédemment, cf
1:24,39); or, dans la LXX, cette expression recouvre la tournure hébraïque
(bé-yamim ha-hemo), propre aux livres prophétiques , et qui a trait aux
jours messianiques caractérisés par une réunion de peuples à Jérusalem
(cf. Jl 3,2, Za 8,23, Jr 3,16 et 18; 5,18; 50,4). “Ces jours là”, avec
ἐκείναις, oriente vers un avenir messianique, marqué en Luc par la
naissance de Jésus. Il n'y a donc pas lieu d'établir un rapprochement avec
les jours d'Hérode mentionnés au départ du récit (Lc 1,5); affirmer que
Luc faisait remonter l'événement de la Nativité au temps d'Hérode le
Grand, ne trouve pas de fondement dans ce verset.
2 - Cela s'avéra être
un premier enregistrement, Quirinius étant gouverneur de Syrie.
Les mots et leur ordre, dans le codex Bezæ correspondent à la syntaxe du
grec : un pronom démonstratif sujet, que l'on attendrait au neutre,
s'accorde parfois avec son attribut ; il s'agit d'un accord par
attraction; un exemple chez l'historien Thucydide (1,55):
“Cela
s'avéra être la première raison de la guerre”.
Au moment où il écrivait à Théophile, Luc réalisait que l'enregistrement
conduit lors de la Nativité était "le premier"; il y en avait eu un autre
depuis, celui auquel il était fait allusion dans les Actes ( 5:37) et que
Flavius Josèphe plaçait également en regard du nom de Quirinius qui avait
supervisé plusieurs enregistrements alors qu'il était mandaté à deux
reprises en Syrie.
Quoique bien attestés par l'épigraphie latine, ces faits furent
réinterprétés et le verset reformulé. Seule la leçon du codex Bezæ est
valide. Les autres sont bancales, insatisfaisantes au niveau de la
syntaxe.
- Etant gouverneur
.
Ce participe en hapax dans le NT , caractérise les pouvoirs de l'empereur
ou de son représentant, comme le gouverneur de province détenteur du
pouvoir militaire; c'est ce qu'attestait dans ses quinze emplois Flavius
Josèphe qui évitait soigneusement ce terme à propos de Quirinius; celui-ci
en l'an 6 de notre ère avait été envoyé comme "juge du peuple et censeur
des biens" (AJ XVIII,1) mais sans le pouvoir militaire qu'il détenait, par
contre, lorsqu'il était gouverneur de Syrie en l'an 2 av.JC, comme l'
atteste l'inscription funéraire de Q.A.Secundus selon laquelle, sous le
titre de légat d'Auguste en Syrie, Quirinius avait procédé à des
nominations et des affectations militaires, puis mandaté ses soldats dans
le recensement de la population d'Apamée, avant de les envoyer combattre
dans les montagnes du Liban (CIL III,6687).Quirinius avait pu accomplir
successivement deux mandats de nature différente en Syrie; les documents
en présence incitent à cette conclusion.
Dans le codex Bezæ le participe “étant gouverneur” n'apparaît qu’en ce
seul verset. Par une retouche maladroite dans les autres manuscrits, il a
servi à qualifier le rôle de Pilate (Lc 3,1); or celui-ci n'eut jamais que
le rang de procurateur , un terme technique en usage à partir du règne de
Claude (41-54) .
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Inscription d'Antioche de
Pisidie dont Quirinius était duumvir en l'an I AD
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Quirinius offre une orthographe identique chez Flavius Josèphe (AJ
xvii,355-xviii,1) et le codex Sinaïticus; elle est calquée sur la
phonétique grecque courante.
3 - Joseph monta
vers sa patrie [ vers sa ville...] 4
- vers la terre de Juda. [vers la Judée]
Territoire de l'ancienne tribu, la terre de Juda, était celle des ancêtres
de Joseph, cette patrie vers laquelle il "montait"; ses limites étaient
plus restreintes que la province romaine de Judée. La retouche qui
remplaça terre de Juda par Judée , ignorant l'enregistrement de l'an 2
avant notre ère, visait le recensement de la Judée fait en l'an 6 sous
administration Romaine.
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Inscription d'Aemilius
Secundus provenant de la ville d'Apamée en Syrie (CIL III
6687) |
4/5 - Joseph
monta...vers Bethléem pour être enregistré - avec Marie fiancée à lui
étant enceinte - du fait qu'il était de la maison et de la lignée de
David.
Selon cet ordre des phrases, il apparaît que l’enregistrement motivait le
déplacement de Marie avec Joseph. Ce fut le cas effectivement du
recensement d'Apamée qui incluait hommes et femmes (homines).
Avec la refonte de l'ordre des phrases l'accent était mis sur l'origine :
Joseph monta...à Bethléem du fait qu'il était de la maison et de la
lignée de David. 5 - pour se faire enregistrer avec Marie, fiancée à lui
, étant enceinte.
Cette modification allait dans le même sens que les précédentes.
Fiancée ; le participe grec est au
parfait, indiquant un état actuel stable, qui dure dans le présent et qui
remonte à une action se situant dans le passé. A l'Annonciation Marie
était une jeune fille promise à un jeune homme, à la Nativité elle se
trouvait officiellement fiancée, mais non point mariée; un contrat avait
scellé l'union entre Joseph et Marie, mais la cohabitation (hebr.
nissouïn), n'avait pas eu lieu. Ce parfait a pour fonction d' interroger,
puisque Marie était sur le point d'accoucher. Dans certains manuscrits,
par souci d'harmonisation avec Mt 1,18 fut rajouté “sa femme”, mais cela
n'appartenait pas au choix scripturaire de Luc.
6 -Or, lorsqu'ils arrivèrent. [
et il advint comme ils étaient là] Le codex Bezæ seul à
comporter cette leçon, donne à entendre qu'au moment même où ils
parvenaient à Bethléem, Marie dut accoucher; fut à la hâte trouvé un abri
de fortune, la salle commune n'étant pas le lieu qu'il fallait en un tel
moment.
En vue d'une harmonisation avec Matthieu (2,1,8,23 ) qui attribuait comme
domiciliation courante à Marie et à Joseph la ville de Bethléem, on laissa
entendre qu'ils étaient arrivés depuis un certain temps.
Furent achevés
les jours.
Les jours de l'enfantement de Jésus parvenaient à leur terme ; cette
naissance constituait une étape préparant celle où il allait être nommé de
son Nom lors de la circoncision(2,21). Parmi les verbes nombreux
comportant une notion d'accomplissement, teleô, avec ses composés, était
réservé à Jésus; sa signification: finaliser , donner sens (2,21, 4,2,
12,50 13,32 22,37).
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Nativité par Piero della
Francesca, 1460-75, Londres, national Gallery
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7 - Elle enfanta son fils, le
premier né . Le
"premier-né" traduit l'hébreu
bécor, un terme réservé à
l'individu mâle qui ouvre la matrice de sa mère;
bécor
à la différence de son correspondant grec, n'est pas construit sur
l'adjectif “premier” et rien n'implique qu'un
bécor soit
suivi d' individus frères. Dans sa traduction en grec Luc n'avait pas
d'autre choix que πρωτότοκον offert par la LXX, avec la connotation que
l'adjectif “premier” véhiculait. Mais s’il avait fait l'impasse sur ce
terme, il aurait privé le lecteur des informations importantes qu'il
détenait:
- Un premier né devait être racheté (cf Ex 13,13; Nb 3,49-51) à moins
d'être issu par sa mère de la tribu de Lévi, qu'elle ait été mariée à
l'intérieur ou à l'extérieur de cette tribu. Cette coutume est toujours
observée. Puisqu'il n'était pas dit que son fils premier-né fut racheté,
le lecteur averti pouvait déduire et conclure avec certitude que Marie,
parente d'Elisabeth, relevait comme elle à travers la classe sacerdotale
de la tribu de Lévi.
- "Premier-né" était également un titre donné au Messie Davidique selon la
parole du Psaume: "Et moi je l'instituerai Premier-né, Très haut par
rapport aux rois de la terre" Ps 89,28. Cet épithète qualifiait plus
précisément le Messie dit aussi "Fils de Joseph" et qui, selon le prophète
Zacharie, était un fils unique (Za12/10).
15 - Aussi les
humains, les bergers. Quel besoin d'écrire que les bergers
étaient des humains? Au pluriel ἄνθρωποι, englobe hommes femmes vieillards
et enfants de toutes conditions. C'est la qualité que Jésus s'attribuait
dans ce titre Fils de l'humain (5,24). Les bergers faisaient partie de ces
humains de bienveillance (v.14) qui obtenaient la faveur de Dieu.
Témoignant de ce qu'ils entendirent et virent, ils ont élargi à d'autres
le cercle de la bienveillance divine.
21 - Et lorsque furent parachevés les jours.
[ achevés]
Le verbe est ici précédé du suffixe συν qui marque un accomplissement
pleinier, un parachèvement, une finalité (cf. Gn2,1-2); précédemment, lors
de la Nativité, au v. 6 dans le codex Bezæ, le même verbe était utilisé,
mais sans le préfixe. Par ce moyen l'auteur inscrivait une continuité et
un dénouement entre la Nativité et la Circoncision. Pourquoi? Au terme des
huit jours, l'enfant en versant son sang par la circoncision, gage
d'entrée dans l'Alliance de Dieu avec son peuple, recevait son identité;
et justement, il n'est pas dit alors de Jésus qu'il fut appelé de son nom,
mais que :
" Fut nommé le nom de lui, Jésus". [ Fut appelé le nom ]
Tandis que Jean avait été appelé de son nom (v. 59-61), Jésus, lui, fut
nommé du Nom. Cette expression empruntée à Lv 24,16, avait trait
spécifiquement à l'invocation du Nom, le tétragramme YHWH , présent en
partie dans le prénom Jésus (= YH-Sauve ).
Dans le ventre d'une mère.
L' auteur ne s'arrêtait pas au seul réalisme charnel de la conception de
Jésus dans le ventre, mais à son sens véritablement humain; en
s'incarnant, Jésus rencontrait une personne , une femme, qui avec lui
devenait mère. La sensibilité humaine perceptible au v. 15 reparaît ici.
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Vierge à l'Enfant de
Quentin Metsys,1509,
Musée des Beau-Arts de Lyon
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Jésus et
l'imposition du Nom
C'est en lui donnant son nom qu'un père reconnaît son enfant. Or le
huitième jour après sa naissance, alors qu'il était circoncis , Jésus
reçut son nom, d'une manière qui révélait son identité profonde. C'est ce
que le verset du codex Bezae laisse percevoir.
" Fut nommé le nom de lui Jésus” (YHSauve;Yéshouah abréviation de
Yéhoshua), tandis que Jean avait été appelé de son nom. “Sa mère dit:...Il
sera appelé de son nom Jean (YH-fait grâce)” Lc 1,60D
Le Nom du Seigneur YHWH est présent, en partie, dans les prénoms Jean et
Jésus, et les deux expressions paraissent équivalentes; cependant en
Lévitique 24,16, Nommer le Nom est rapporté uniquement au Nom du Seigneur,
YHWH. Une telle expression ne pouvait être employée inconsidérément dans
l' Evangile. Selon le livre du Lévitique, il était interdit, sous peine de
mort, de nommer le Nom du Seigneur .
Mais qu'entendait-on exactement par nommer? Dans sa racine h ébraïque le
verbe (
nqb) qui signifie percer
est employé dix-neuf fois dans la Bible dont onze fois au sens figuré pour
des personnes identifiées nommément; il est alors suivi, le plus souvent
du mot pluriel
shmot, les noms
(Nb1,17...). Mais à trois reprises il est accompagné du singulier
Shem
(le Nom) dans une expression réservée au seul domaine liturgique : il
était interdit de “Nommer le Nom du Seigneur” (Lv 24:11,16).Une racine
très proche (qbb) (lancer des imprécations, maudire), se retrouve sur les
lèvres de Balaam :
“comment maudirais-je celui que Dieu
n'a pas maudit ?” Nb23,8. Or en Lévitique 24,11, nommer (
nqb)
est directement associé à ce verbe maudire: ainsi un israélite de père
étranger qui avait nommé le Nom du Seigneur et l'avait maudit , se vit
imposer la lapidation. Cette racine (
nqb)
ne signifie pas à proprement parler , maudire ou blasphémer; mais c'est
son rapprochement avec l'autre dans un même verset qui semble avoir incité
les traducteurs à lui attribuer ce sens. En fait l'interdit de nommer le
Nom en Lv 24,16 ne concerne pas la répression des malédictions et des
blasphèmes; cette répression est l'objet du v.11; l' interdit en question
regarderait plutôt l'usurpation du privilège sacerdotal.
Il était du ressort des prêtres de bénir les fidèles en prononçant sur eux
le Nom YHWH après le sacrifice du matin; puis ce privilège fut réservé au
seul Grand-Prêtre au jour de Kipour. Avec l'évolution liturgique, (vers
les IVème-IIIème siècles) le Nom ne fut plus prononcé en dehors de ce jour
là. Aussi la condamnation qui initialement tendait à réprimer les
blasphèmes contre Dieu fut étendue à ceux qui s'octroyaient
inconsidérément le rôle de “Nommer le Nom du Seigneur”.
L'expression Nommer le Nom se retrouve chez les Prophètes dans le texte
grec de la Septante , alors qu'elle n'est pas dans l'hébreu correspondant
. En effet il était possible d'inviter en grec le fidèle à Nommer le Nom,
puisque YHWH y est traduit par Kyrios qui est aussi un nom commun,
courant, qui signifie maître. Par contre en hébreu le fidèle était
simplement invité à “se souvenir du Nom”, ce qui n'impliquait pas une
invocation orale. Pour synthétiser ce propos, on pourrait dire ceci : dans
le canon hébraïque de la Bible, l'expression Nommer le Nom, est rapportée
exclusivement à Dieu. Ce choix, la traduction grecque de la Septante l'a
respecté; elle a pu même l'appuyer dans les textes prophétiques en
invitant les fidèles à un acte d'adoration révérencielle envers Dieu.
Dans des livres Deutérocanoniques,
non reconnus du canon hébraïque, nommer le nom a pu être référé à des
êtres de chair; ainsi de Simon le Juste ethnarque et grand-prêtre :
"Jusqu'à ce que soit nommé le nom de sa
gloire jusqu'aux extrémités de la terre ." ; ce verset compte
plusieurs parallèles bibliques Ps 41:6;66:2;96:8...ICh16:29 . L'ampleur de
la gloire de Simon évoquait, non sans le vouloir, la gloire reconnue à
Dieu. Empruntant ce vocabulaire propre au domaine liturgique, l'auteur du
panégyrique pouvait associer Simon, Grand-Prêtre et chef du peuple de
Dieu, à “Sa gloire”. A travers ce verset, c'est à la gloire même de Dieu
qu'il était fait allusion . C'était là une manière à peine voilée de
reconnaître à Simon une vocation messianique.
À suivre les manuscrits de la Mer Morte
être nommé dans le nom divin était une prérogative du messie Davidique.
“Et moi ton messie j'ai compris...tu
m'as donné la connaissance. Et en vérité tu m'as doté d'un grand
discernement.[...] 9 Car on m'appelle par ton nom, ô mon Dieu”
Recueil des psaumes royaux: 4Q381, fragment 15.
L'intitulé fait défaut, mais ce psaume était prêté à David sinon à
Salomon.
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Manuscrit des grottes de
Qumran 4Q246
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Un rapprochement peut également être tenté avec le manuscrit 4Q246 de
Qumrân en langue araméenne , connu pour son parallèle avec l'Annonciation.
Le personnage de la vision se caractérisait par ses titres écrits en
hébreu dans ce document en araméen : Fils de Dieu, Fils du Très-Haut;
c'est en l'appelant ainsi qu'il devait être nommé dans Son Nom, soit le
nom de Dieu selon la restitution envisagée.
Ce verset peut être rapproché de la prophétie d'Isaïe où fils et filles du
Seigneur étaient appelés dans Son Nom (Is 43:7).
Le Midrash qui relève de la
tradition orale couramment répandue, peut permettre de saisir quelque
chose de la nature du Messie attendu. Selon les traités talmudiques, Pes
54a, Ned 39a, YalkI,20, avant que la lumière soit, Dieu avait créé des
éléments présidant à la pensée de la Création:
"Sept choses ont été créées avant que le monde ne fut créé : la Torah, le
repentir, le jardin d'Eden, l'Enfer, le trône de Gloire, le Temple et le
nom du Messie...le nom du Messie puisqu'il est écrit: son nom demeurera
éternellement, tout comme son nom a fleuri avant le soleil"Ps 72/17 du
Roi-Messie cité en Pes 54a .
Dans la pensée hébraïque, la figure prophétique du Messie faisait partie
de l'intention divine au moment de la Création. Le monde aurait été fait
dans la pensée que le Messie allait être, et il aurait été fait en vue de
lui. Que le nom du Messie ait été dans la pensée de la Création,
impliquerait pour celle-ci une orientation, un sens. C'est à cette même
conclusion que conduit l'analyse de l'Apocalypse d'Enoch ("Avant que
soient créés le soleil et les signes avant que les astres du ciel soient
faits, son Nom a été proclamé par devant le Seigneur des Esprits...Il est
devenu l'Elu et celui qui a été caché par devant lui dès la création du
monde". (1 Enoch XLVIII, 1 , 2.6) .
Livre de Jérémie
En fait toutes ces traditions sur le Messie trouvaient leur origine dans
les paroles du Prophète Jérémie. Il avait été dit par lui que le Messie
recevrait le Nom du Seigneur ce qui n'était pas resté ignoré des
talmudistes. Les prophéties puissantes de Jérémie réunissaient le Messie
Davidique et la ville de Jérusalem dans une même invocation, celle de
YHWH.
“Voici venir des jours - Oracle de YHWH - où je susciterai à
David un germe juste et il règnera comme roi...et voici le nom dont il
sera appelé: YHWH notre justice". Jr 23,5-6
Le nom divin était écrit en toutes lettres et non en abrégé comme dans la
composition de certains prénoms. Le Messie devait donc être directement
appelé du Nom divin.
" En ces jours là, en ce temps là, je ferai croître pour David un
germe juste...Juda sera sauvé et elle, Jérusalem, habitera en sécurité,
et voici qu'elle sera appelée: YHWH notre justice"Jr 33:15-16.
Chez Isaïe il y a d'ailleurs un
écho de cette prophétie:
“On t'appellera d'un nom nouveau que la
bouche du Seigneur nommera” . Ce sur quoi Ezéchiel renchérissait:
"YHWH shma"Is 62:2 , ce qui peut signifier soit le Seigneur est là en
elle, soit Le Seigneur est son nom. Cette double lecture n'était pas
involontaire puisque l'invocation du Nom dans le Temple était le signe
même de la présence d'YHWH au cœur de Jérusalem. Au jour de Kipour, le
grand prêtre invoquait la présence divine sur le peuple en prononçant le
Nom.
Ces phrases sont mystérieuses; il semble qu'on ait saisi à travers elles
que Jérusalem était associée à la gloire divine en raison de la Présence
invoquée en elle. Quand au Messie les traditions ultérieures l'ont associé
à la gloire divine, sans toutefois rendre compte de la complexité des
paroles prophétiques.
Au jour de l'Annonciation Marie
avait reçu cette parole "YHWH avec toi!" . L'adresse en Luc était si
directe qu'elle évoque l'invocation du Nom faite par le grand-prêtre dans
le Temple de Jérusalem au jour de Kipour. Dans ses deux réponses
construites sur le verbe être (le verbe être est constitutif du Nom YHWH
révélé à Moïse) Marie aurait exprimé avec sobriété et simplicité sa
connaissance et la conscience de l'évènement vécu :
"Comment cela sera?" et "Qu'il soit à moi selon ta parole".
De classe sacerdotale , elle avait vécu au contact du langage biblique et
de la liturgie du Sanctuaire. Or dans son annonce messianique l'Ange
Gabriel lui avait dit “Tu l'appelleras de son nom Jésus”. Il revenait donc
à Marie sa mère de donner le nom à l'enfant ce qui selon l'usage courant
était du ressort du père. Cependant le verset ne dit pas qui, au moment
opportun, nomma Jésus. Le verbe est au passif, sans indication de l'agent,
probablement pour permettre d'envisager un “passif divin”? Pour Jésus le
fait de recevoir son nom venait en “parachèvement” de sa naissance. Le
verbe achever est précédé d'un suffixe qui marque un accomplissement
plénier, une finalité. Au v. 6 dans le codex Bezæ, c'est bien le même
verbe qui était utilisé, mais sans son préfixe. Par ce moyen l'auteur
inscrivait une continuité et un dénouement entre la Nativité et le moment
de circoncire l'enfant. L'une marquait un achèvement, l'autre un
parachèvement. Au terme des huit jours, l'enfant en versant son sang, gage
d'entrée dans l'Alliance de Dieu avec son peuple, recevait son identité;
son nom lui était alors imposé.
C'est dans ce contexte que trouve sens cette phrase:
"Fut Nommé le Nom de Lui: YH-Sauve".
Elle est plus proche de la prophétie de Jérémie que des textes
messianiques postérieurs; à la manière dont était nommé Jésus, le Seigneur
en personne était invoqué ; il faut se souvenir que "Nommer le Nom"
s'entendait du Seigneur seul. Cette phrase unique serait donc à recevoir
avec une plénitude de sens.Y aurait-il lieu d'en dénier la maternité à
Marie? Quelle autre personne aurait détenu l' autorité de porter ce
témoignage ? C'est en prenant appui sur la liturgie du Temple qu’elle
avait choisi d'exprimer sans ambivalence ni ambiguïté l'identité de Celui
qui, avec elle, vint au monde. Comparativement Paul s'est approché de la
personne de Jésus Christ en des termes qui empruntaient à la tradition
Midrashique.
22 Et lorsque furent accomplis
les jours pour sa purification, selon la loi de Moïse, ils le montèrent
à Hiérosolyma pour le présenter au Seigneur.
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reconstitution de la
Jérusalem d'Hérode le Grand par James Tissot , Brooklyn Museum |
Le verset présente plusieurs difficultés longuement débattues par la
critique textuelle et littéraire :
- La présentation de l'enfant nouveau né ne correspond à aucun rite
spécifique connu.
- La purification du nouveau-né n'est nulle part prévue par la Loi.
- Alors qu'on attendrait κάθαρσις réservé à la jeune accouchée (Lv 12,4),
καθαρισμοῦ est un terme générique usité pour diverses formes de
purification comme celle du lépreux et plus particulièrement pour celle du
temple,
αὐτοῦ dans le codex Cantabrigiensis; c'est un pronom au singulier ,
masculin ou neutre, tandis que dans le texte latin correspondant, "eius”,
inclue également le genre féminin; cette leçon au singulier est partagée
par plusieurs autres manuscrits grecs et l'ensemble des manuscrits latins
antérieurs à la Vulgate. Grammaticalement αὐτοῦ comme (αὐτὸν dans la
phrase suivante) représentent l'enfant Jésus, nommé au verset précédent.
Dans le texte latin eius peut renvoyer à la mère (évoquée au v 21 en d et
dans les autres mss latins). La leçon avec le singulier pourrait bien être
la plus ancienne. Elle pose problème puisque nulle part il n'est dit que
le premier né ait à être purifié. Elle fut corrigée par un pluriel αὐτῶν
sensé représenter les parents de Jésus, ou moins probablement les
habitants de Jérusalem le nom de la ville étant énoncé sous la forme du
pluriel neutre Ἱεροσόλυμα.
Sous cette forme, le nom de la ville est peu usité en Luc; il se rencontre
une seconde fois en 23:7 ( sur d'autres manuscrits en 2:42, 18:31, 19:28).
La raison de ce choix est étymologique:
Jerusalem et Hierosolyma dans le
codex Bezae Cantabrigiensis
- En définitive, la purification demandée par la ”loi de Moïse” concernait
non l'enfant nouveau-né mais le temple évoqué dans le nom de la ville
Ἱεροσόλυμα .
Elle précédait la consécration de l'enfant premier-né voulue par la Loi
écrite du Seigneur (v.23) et habituellement nommée "présentation"; l'
expression “Loi écrite” fait référence à la loi gravée sur les tables de
pierre (Ex 34:1) car parmi les commandements de la loi écrite, il y avait
l'ordre de consacrer les premiers nés (Ex 34:19-20). Marie et Joseph ne
soumirent pas Jésus à un rite, mais répondant à un appel pressant,
intérieur, ils accomplirent un commandement de la Loi.
L'offrande de tourterelles, présentée par la mère à l'occasion de sa
propre purification, était accomplie en vertu de la Loi édictée (v.24),
énoncée par le Seigneur et promulguée d'abord oralement. (cf. Lv 12,1-2 et
8).
Ainsi la consécration de l'enfant (sa présentation) avait été accomplie en
référence à la Loi écrite et l'offrande de tourterelles en conformité à la
Loi édictée, les deux constituant la Loi du Seigneur c'est-à-dire la
Torah. Par contre la purification fut accomplie en vertu de la loi de
Moïse, considérée au v 27 comme une "coutume de la loi”
27 - Pour que, eux,
fassent selon la coutume de la loi à son sujet.
La coutume de la Loi, est une expression inhabituelle; lui a été préférée
“l'accoutumé de la Loi” qui n'est pas plus explicite. A la loi écrite se
rattachaient des coutumes ou droit coutumier gardé dans le Talmud; le
terme coutume, absent de la Torah, apparaît tardivement au livre des
Maccabées à propos de coutumes liées à la situation sociale, historique ou
géographique (1Mc 10,89, 2Mb 13,4). Luc connaissait des coutumes
sacerdotales (1,8) et liturgiques (2,42, 22,15-17). En emmenant l'enfant
pour une purification, au jour des relevailles de sa mère, ses parents se
conformaient à une des coutumes rattachées à Moïse (cf Ac 6,14); selon le
Talmud (Bekorot 4a, 47a), les filles de lévites et de prêtres mariées à un
simple Israélite n'avaient pas à racheter leur premier-né; Marie, parente
d'Elisabeth de classe sacerdotale, mais mariée dans la tribu de David,
relevait de ce régime; elle n'eut pas à racheter son fils; par contre elle
voulut le consacrer à Dieu conformément à la Torah, bien que ce
commandement n'ait pas donné lieu à un rite connu. Ce rite, s'il a existé,
concernait la classe sacerdotale dont les coutumes s'éteignirent avec la
destruction du temple, raison pour laquelle toutes ne se sont pas
transmises. Par sa venue au temple et en référence à Malachie 3, 1 et sq,
Jésus en accomplissait la purification alors qu'il y était consacré au
Seigneur par Syméon.
|
Enluminure de
l'Evangéliaire copte-arabe de la Bibliothèque de Fels,1250 |
28 - et Syméon le
reçut dans ses bras.
Le terme rare désignant ici les bras s'emploie plus volontiers pour ceux
de la mère portant son enfant. Luc a -t-il voulu souligner le geste
affectueux de Syméon? Le latin correspondant a opté pour les "ailes".
Pensait-on au vêtement qui le recouvrait comme le talith? Il semblerait
que Syméon ait été prêtre puisqu'il est dit au v.34 qu'il bénissait les
personnes dans le temple; c’était en effet un geste sacerdotal. La forte
présence de l'Esprit Saint sur lui, son appartenance lévitique, son
affection pour le petit enfant Jésus le rapprochent de Marie. Le portrait
qu'en donnait l'évangéliste n'est pas éloigné de celui que Flavius Josèphe
faisait de Simon Bœthos, originaire d'Alexandrie , et qu'Hérode éleva à la
dignité du grand-prêtre, charge qu'il exerça pendant vingt ans.
32 - Lumière
pour la révélation et la gloire de ton peuple Israël. [ Lumière pour la
révélation des nations, et gloire de ton peuple Israël]
“Des nations” n'est pas dans le codex Bezæ. Le scribe l'aurait-il effacé
sinon oublié? A moins qu'il n'ait été ajouté ultérieurement dans les
autres manuscrits? Sans ce génitif les deux accusatifs révélation et
gloire, reliés par la conjonction et, peuvent dépendre l'un comme l'autre
de la préposition pour et se lire: lumière pour la révélation et pour la
gloire de ton peuple Israël. Ainsi formulé, ce verset plonge ses racines
dans la spiritualité du prophète Isaïe qui appelait de ses vœux la
restauration du peuple d'Israël: “Ne crains pas Jacob,... tu exulteras
dans le Seigneur, à cause du Saint d'Israël tu seras exalté” (Is 41,16; et
45,25; 49,22-23; ch 60). En prenant l'enfant Jésus dans les bras, Syméon
exaltait à travers lui la lumière, grâce à laquelle, le peuple d'Israël
allait être révélé et glorifié aux yeux des peuples.
Cette prière, jugée probablement trop "hébraïsante", fut modifiée par
l'insertion du génitif “des nations”; de la révélation du peuple d'Israël
on passait à la révélation des nations: elles devenaient objet de
révélation tandis que la gloire du peuple d'Israël se voyait mise sur le
même plan que la lumière et le salut, (eux-mêmes à l' accusatif); ainsi le
Messie du Seigneur , Lumière et Salut, était considéré comme la gloire
même d'Israël. L'insertion d'un seul terme fut suffisante pour changer la
teneur du cantique de Syméon. La préoccupation d'universalisme qui se lit
dans cette refonte, doit beaucoup à Paul; elle a conduit à repousser après
70 la date de cet évangile.
A notre époque, les traducteurs dans leur ensemble faisant entorse au
texte, donnent au génitif “des nations” le sens d'un datif d'intérêt:
lumière en vue d'une révélation aux nations. Loin d'eux l'idée que les
nations constitueraient en elles-mêmes un mystère à révéler; par contre
ces nations avaient à recevoir elles aussi la révélation de leur salut.
35 - De sorte que
soient dévoilés les débats de nombreux cœurs.
Le verbe avec son préfixe exprime le dévoilement des pensées profondes
agitant le cœur, et les débats en contradiction avec la venue du Messie
(v.34). L'auteur a souvent fait remarquer combien Jésus, qui ne
méconnaissait pas les pensées secrètes de ses interlocuteurs, savait les
leur exposer ouvertement (cf 5,22, 6,8, 11,17, 12,2, 20,23). Le choix dans
les autres manuscrits du verbe révéler est inadéquat car Luc le réservait
à la révélation que Dieu faisait de lui-même (2:32;10:21-22, 17:30).
36 - Anne
ayant vécu sept ans avec un homme depuis sa puberté.
Parthenia est l'âge de la jeune fille pubère qui n'est pas encore mariée.
Sous ce terme on considère à la fois la maturité féminine à laquelle
accède la jeune fille et son état de virginité avant le mariage. L'Hébreu
betulim, désigne l'état de virginité et
betula la jeune
fille vierge. Mais existe également dans cette langue le mot
almah
pour la jeune fille pubère. La LXX a rendu ces deux termes par parthenos.
37
- et elle, veuve de 84 ans. 84 n'indiquerait pas l'âge
d'Anne en tant que la fille de Phanuel, mais en tant que femme veuve. Elle
aurait connu 84 années de veuvage; le chiffre 84 avait son importance
puisqu'il représentait 12 années sabbatiques; en lui ajoutant le mariage à
la puberté vers 14 ans puis sept années de vie conjugale on obtient un
total de 105 ans soit 15 années sabbatiques. Le compte symbolique des
années sabbatiques aurait retenu l'évangéliste puisque Anne parlait de la
libération accordée lors des années sabbatiques ou jubilaires (v.38). En
d'autres manuscrits, l'ajout de la préposition “jusqu'à” laisserait
entendre qu'elle était une veuve atteignant l'âge de 84 ans à la venue de
Jésus.
38 - et à cette heure là
Luc, ou son témoin, avait été frappé par la coïncidence entre les paroles
prophétiques de Syméon et l'arrivée soudaine d’ Anne au Temple c’est
pourquoi il ajoutait à cette heure là, soit à cet instant. Tandis que
Syméon voyait en Jésus celui qui allait provoquer la chute et le
relèvement d'un grand nombre, Anne, quant à elle, annonçait un rachat dans
Jérusalem.
- Avec
ἀνθωμολογεῖτο, c'est une prière pénitentielle, en référence à Esdras 10,1,
(LXX 8:88) qu'Anne adressait à Dieu.
Elle parlait de Lui : Le pronom “Lui”, grammaticalement, désigne Dieu
qu'elle venait prier.
Cependant le parallèle littéraire avec le vieillard Syméon, au récit
précédent, inviterait à penser que Anne , à son tour, pour avoir identifié
en Jésus le Messie promis, s'était mise à parler de lui. C'est cette
interprétation qu'ont privilégiée des traducteurs en substituant le terme
enfant au pronom lui.
Toutefois, le fait qu' Anne soit venue annoncer la délivrance messianique,
ne signifiait pas pour autant qu'elle identifiait en Jésus le Messie.
- Un rachat dans
Jérusalem. [ le rachat de Jérusalem]
Anne parlait de Dieu à tous ceux qui dans Jérusalem attendaient que leur
soit appliquée la loi sur le rachat ; par ce mot peut-être convient-il
d'entendre la libération définitive des esclaves: un israélite vendu comme
esclave à un étranger pouvait obtenir un rachat de l'un de ses frères
israélites (Lv 25:48-49); celui-ci le gardait à son propre service
jusqu'en l'année jubilaire, et c'est alors qu'il redevenait totalement
libre . Le rachat définitif était considéré comme une œuvre accomplie par
Dieu. On rejoindrait ici le v.68 du cantique de Zacharie. Une autre forme
de rachat était aussi demandée aux Israélites lors des recensements par
l'acquittement d'une taxe; on avait à racheter sa vie (Ex30,12). Il y
aurait là deux allusions à un recensement fait selon les coutumes
hébraïques.
39 - Comme il fut dit par le
prophète: qu’il sera appelé nazôréen.
Cette phrase, dont le sens se laisse mal identifier est une interpolation
de Mt 2,23; elle a été insérée ici en Luc dans le codex Bezæ, de manière
tout à fait incongrue, surtout au regard du v.21.
40 - La grâce de Dieu était en
lui. Et non sur lui, la vie divine se déployant à
l'intérieur de l'âme; une thématique lucanienne (cf. 10,27).
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Enluminure de
l'Evangéliaire copte-arabe de la Bibliothèque de Fels,1250 |
42 a- Et lorsqu'advint à lui
douze ans.
Il y a deux façons d'indiquer l'âge:
- Avec le génitif est indiquée l'année dans laquelle la personne se
trouve; et ce fut pour Jésus, le choix de l'ensemble des copistes.
- avec un accusatif de durée — comme c’est le cas ici dans le codex Bezæ —
est marqué un âge accompli. Jésus qui avait fêté ses douze ans, avait donc
déjà entamé sa treizième année.
Cela correspond à la bar-mitzva qui a lieu à l'âge de treize ans. La leçon
du codex Bezae paraît mieux adaptée aux coutumes juives.
42 b - Ses parents montèrent,
l’ayant, selon la coutume de la fête des Azymes.
[ alors qu’ils montaient selon la coutume de la fête] "
Alors que ses parents venaient à Jérusalem chaque année pour la Pâque,
quand il fut âgé de douze ans , il vint avec eux en considération d'une
coutume liée à la fête des Azymes. Ce soir là, l'
afikoman,
un morceau de pain azyme, était caché pour que les enfants le trouvent. Or
c'est "l'enfant" Jésus qui allait disparaître et que ses parents allaient
rechercher.
Le participe “l'ayant” est surprenant; exprimerait-il un sentiment de
possession de la part des deux parents (vis à vis d'un jeune homme qui
n'était plus un enfant), provoquant l'incident du Temple et la réponse du
fils au v.50?
Au cours du repas pascal, premier soir des Azymes, il était réservé au
plus jeune, de poser des questions au père de famille sur la sortie
d'Egypte. Si Jésus venait pour la première fois à cette fête de pèlerinage
- ce que suggère le codex Bezæ - il lui revint d'interroger Joseph ce soir
là.
46 Et il advint qu' après jours
trois ils le trouvèrent siégeant dans le Temple
après jours trois : expression similaire en 9.21, première
annonce de la Passion.
48 - Peinés.
Cet adjectif apparaît aussi en 24,33 , mais retenu là encore par peu de
manuscrits. Le substantif correspondant a été adopté dans la LXX pour
traduire la peine de la femme dans l'enfantement de ses fils (Gn 3,16).
L'incident du Temple était une première illustration de cette prophétie de
Syméon: “une épée te transpercera l'âme” (2:35); l'incompréhension de
l'être aimé n'est-elle pas en effet l' épreuve des épreuves?
49 - Ne savez-vous pas que
parmi les de mon Père il me faut Être?
ἐν τοἶς = “parmi les” : l'article au datif pluriel est du genre soit
masculin, soit neutre. C'est suivi d'un génitif - par ellipse de οἰκῷ = la
maison, qu'une préposition suivie de l'article au singulier signifie
“chez”. Par exemple : σὺν τῷ αὐτοῦ = >avec sa maison (Ac 16,36 D05).
L'expression εἰς τὰ ἴδια signifie littéralement "dans ses biens propres",
soit “chez soi" (cf Ac 21:6). En Esther 5:10 et 6:12, εἰς τὰ ἴδια recouvre
l'hébreu אֶל־בֵּיתֹ֑ו = à sa maison; en Esther 7:9, ἰδιοἶς est
sous-entendu là ou ἐν τοἶς recouvre l'hébreu בְּבֵ֣י qui signifie dans la
maison. Job 18:19 n'offre pas une traduction mais un développement du
texte hébreu et ἐν τοἶς ne signifie pas "chez" mais désigne la diversité
des biens dont le méchant se voyait priver.
Voir dans ἐν τοἶς une expression idiomatique signifiant "chez" n'est pas
étayé par les exemples. Lire dans l'article τοἶς un collectif neutre
signifiant "les affaires","les choses” comme on le rencontre parfois,
n'est pas satisfaisant au niveau du sens.
L ’article s' utilise en lieu et place du pronom relatif (Mt 24:38;26:71;
Lc 1:4D; 19:42; Marc 4:24D; 8:19D; Ac 2 :45D), et notamment lorsque le
groupe de référence s'élargit au-delà de celui indiqué par le texte. Il
faut plutôt envisager qu' avec le masculin pluriel , Luc désignait ici les
familiers du Père, à savoir les docteurs, prêtres et lévites siégeant dans
le Temple. A ses parents qui le pensaient être dans la caravane parmi
leurs familiers (ἐν τοἶς γνωστοῖς v.44), Jésus disait qu'il lui fallait
être ἐν τοἶς, parmi d'autres familiers, ceux du Père, sans préciser
davantage. La réponse pouvait ainsi englober ceux qui n'y étaient pas
encore mais qui y seraient dans les temps à venir. La traduction "dans la
maison de mon Père" pourrait être satisfaisante dans la mesure où par
"maison" on entend ceux qui la composent et pas seulement ses murs.
"Être", était placé en dernier , recevant ainsi une accentuation
particulière, de manière à ce que ressorte dans son sens fort,
existentiel, ce verbe si souvent utilisé comme simple copule. Alors que
ses parents montant à Jérusalem, “l'avaient”,(v.42) il lui fallait pour sa
part “être”. Si Jésus était resté au Temple de Jérusalem à l'insu de ses
parents, c'est parce qu'il lui fallait Être parmi les familiers de son
Père. Parlant, dialoguant avec les docteurs de la Loi, établissant une
relation avec eux, la parole entre eux devenait vivante. Et c'est à
travers ce même verbe Être que Jésus lors de son procès devant le
Sanhédrin allait exprimer son identité (22,70).
50 - Mais eux ne comprirent pas la parole qu’il
leur dit Avec le δὲ au lieu du καὶ, D05 souligne davantage
la contradiction. Le verbe συνέχω, suppose un rapprochement entre des
paroles et des évènements pour en déterminer le sens et la fonction. Les
précédentes remarques sur l’avoir et l’être répondent en partie à cette
incompréhension.
51 - Elle gardait toutes ces
paroles
Marie continuait à garder tous ces événements en son cœur. Le préfixe δι,
de part en part, confère au verbe garder, le sens de la continuité de
l'action persistant dans le temps pour être menée jusqu'à son terme. Ce
verbe se rencontre déjà à propos de Marie quelques versets plus haut, en
2,18, avec le préfixe συν, avec soi. Le renvoi implicite d'un verset à un
autre est le signe du perfectionnement, de l'accomplissement que vivait
Marie dans l'écoute de la Parole.