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Évangile de Luc, Chapitre V





1 - Au bord du lac Gennesared
La terminaison des noms en D(05) suit une phonétique différente et plus ancienne que celle adoptée dès la fin du second siècle.

Le Lac et ses dénominations

Le lac, dans les eaux duquel Pierre pêchait, reçut diverses dénominations au cours des siècles. Le choix de telle ou telle n'est pas indifférent car il  renseigne beaucoup sur les intentions littéraires d'un  auteur et son rapport à la réalité  géographique et historique.
Dans  les livres bibliques, ce lac était  dénommé en hébreu יָם־כִּנֶּרֶת  yam kineret du nom d'une ville ou de places fortes commandant le Jourdain. La  racine Kinor correspond à la harpe, comme celle dont  David s'accompagnait en composant les psaumes; le lac, dans sa forme, rappelait l'instrument. Kinéret est son nom actuel.
Au temps de  Jésus, le lac était dénommé lac de Gennésared, vocable adopté par  l'évangéliste Luc et par Flavius Josèphe (Gennesaridi limnè Vita 349 ou lac de Gennesar AJ 18, 28 & 36; BJ 2,573; 3,463). Aujourd'hui le nom Gennesar a été repris par le Kiboutz Ginosar (ou Ginnosar) au Nord de Tibériade, non loin  de Tabgha.     

•     La  LXX avait adopté la transcription  θαλάσσης Χενερεθ ou “mer de Kineret”  traduisant l'hébreu יָם־כִּנֶּרֶת (Nb  34:11, Josué 12:3, 13:27 ), à une époque où ce  nom s'était presque effacé, puisque l'auteur du premier livre des Maccabées ne parlait plus du lac que sous le nom des eaux de Γεννησὰρ (1Macc 11,67), nom  formé à partir de l'hébreu גנ, le jardin et de סר, le prince (selon  l'étymologie transmise par St Jérôme). D'un  territoire cultivé comme un jardin à une  époque ancienne n’aurait-on pas tiré le nouveau vocable du lac? C’est ce que confirmerait Flavius  Josèphe (BJ, 3:515,  cf. TB Nidah 20a). Il mentionnait un territoire de ce nom au Nord-Ouest du lac, une contrée paradisiaque (BJ 3:515-521) de même que Marc en parlant de la terre de  Γεννησὰρ, avant que son texte ne soit harmonisé  sur  celui de Matthieu qui y voyait plutôt une localité ou un  lieu-dit (Mt 14,34 ; cf Dt 3.17).
Jean en parlait comme de la “mer de Tibériade” (Jn 6:1 et 21:1, les auteurs classiques du “lac de Tibériade”, Antipas ayant donné le  nom de l'empereur Tibère à la ville qu'il  édifia dans les années 20 sur la rive Ouest du lac;  toutefois Pline au milieu du premier siècle parlait du Lac de Tarichée ( Josèphe  BJ 3,57; 4:456, Pausanias V/7/4; Pline Hist Nat V, XV).
    •     Mais nulle part cette étendue d'eau n'était appelée “lac de Galilée” si ce  n'est dans les évangiles de Marc et de Matthieu où il est  dénommé “mer de Galilée” (Mc1,16; 7:31; Mt  4:18;15:29) ; l'hébreu n'avait qu'un seul terme יָם pour dire  à la fois mer et lac et dans la LXX les traducteurs optèrent pour mer au lieu de lac. En  faisant le choix de mer,  Marc faisait un septantisme; en fait il se plaçait dans la perspective des disciples du Christ qui avaient à traverser la Méditerranée pour évangéliser les nations païennes. Le petit lac, traversé à diverses reprises par Jésus, était une  préfiguration de ce que les disciples allaient devoir accomplir. En outre, la terre de Galilée  elle-même, représentait aux yeux de Marc l'ensemble des nations selon la parole biblique :
"Région de Zabulon  et terre de Nephthali, chemin de la mer et les autres  situés sur la côte et au-delà du Jourdain, Galilée des nations , les territoires de la Judée;  le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière"(Isaïe 9:1-2 d'après la  LXX).  La Galilée des Nations était au temps  d'Isaïe un territoire peuplé d'étrangers; Marc  en avait repris l'expression comme une image littéraire appropriée à l'évangélisation, mais  elle ne collait qu'imparfaitement avec la Galilée du Ier siècle dont la population était essentiellement Juive et Pharisienne. Dans la perspective où se plaçait Marc,  Jésus aurait rappelé aux Douze, par un ange apparu  aux femmes après sa résurrection, qu'il les  précédait en Galilée; c'était une  manière de les inviter à se rendre parmi les nations  païennes où lui-même les attendait.

Jusqu'où Matthieu et Jean qui écrivirent en connaissance de son texte comprenaient-ils  l'allusion? Ils cherchèrent à concrétiser  cette parole en décrivant des apparitions du Christ en  Galilée même, sur la montagne ou au bord du lac; ils  contredisaient la recommandation faite par Jésus aux Douze de ne pas quitter la ville de Jérusalem avant qu'ils  n'aient été revêtus de la Puissance d'En-Haut  (Lc 24, 49).

Ainsi l'expression Mer de Galilée,  forgée par Marc répondait à l'appel universel  dont il sentait l'évangile investi. Par contre, la dénomination Lac de Génésared,  sous laquelle le lac était  communément appelé jusque dans la première  moitié du premier siècle, fut adoptée par Luc, l'évangéliste apparemment le plus proche de la source.
“Oson, oson”:
Rien qu'un peu: Tournure idiomatique presque familière. Jésus s'éloignait du rivage avec la barque mais rien qu'un peu. Son but n'était pas d'échapper à la foule, ainsi que Marc le suggérait, mais de se faire entendre d'elle; sur l'eau la voix porte loin. Flavius Josèphe aurait fait de même, s'adressant à la foule depuis son embarcation pour mieux se faire entendre. Une expérience à faire dans les petites criques du lac entre Tibériade et Bethsaïde. 


5 - Didaskale
Première occurrence d’un titre donné par Pierre alors que Jésus achevait d’enseigner; pour cette raison, il convient mieux que "Epistata", chef. Au cours du 1er siècle de notre ère, le terme Rabbi  en vint à désigner plus précisément les experts de la loi, membres ordonnés du Sanhédrin. En Luc, à la suite de Jean le Baptiste (3,12) Jésus était à plusieurs reprises appelé didaskale soit Rabbi, par des représentants de l’autorité religieuse (8,49, 10,25,18,18, 20,21,28) ou par des gens de la foule réclamant son intervention (9,38, 12,13), tandis que ses disciples ne l’appellaient  déjà plus ainsi mais Seigneur ou Maître, quand ce n'était pas  "Epistata",  qui apparaît ailleurs, un peu plus loin alors que le groupe des Douze accompagné de femmes commençait à se constituer (par exemple, lors de la tempête apaisée); Epistata pourrait être traduit par Instructeur, le vocable adopté dans les manuscrits de la Mer Morte pour celui qui était à la fois le guide de la communauté et l’intermédiaire entre l’ici et l’En-haut.
Je ne ferai pas semblant d'écouter
[...]
Dans la barque avec Jésus, Pierre avait entendu l'enseignement donné par celui qu'il appelait alors Rabbi; et comme Jésus lui offrit, sur le champ, l'occasion de manifester sa confiance, en allant à la pêche, Pierre affirma son désir de ne pas se montrer un auditeur inattentif. Il mit en pratique l'enseignement reçu. La seconde invitation de Jésus au v.10, fut elle aussi couronnée d'une réponse au v.11, basée sur l'écoute: Eux alors, ayant écouté, laissèrent tout derrière eux . 7 - Pour qu'ils viennent à leur aide
[Pour qu'ils viennent se joindre à eux]
L'aide venue d' autrui n'est-elle pas un secours donné par Dieu? Selon Gn2,18, la femme fut donnée par Dieu à l'homme pour qu'elle lui soit une aide, une collaboratrice. Une autre allusion à ce récit de la Génèse se détecte au v.11. Ainsi dès cette première pêche, Pierre ne se retrouvait pas seul. La nouvelle communauté qui se formait avait pour point de référence la communauté familiale.

8 - Simon *[Pierre] tombant à ses pieds
(ses genoux)
Le surnom Pierre donné par Jésus à Simon n'apparaît pas avant 6,14. Ceux qui tombaient au pied de Jésus étaient plutôt les lépreux, les prostituées ou le chef de synagogue; aurait-on voulu relever l'honneur de Pierre en corrigeant "les pieds" par "les genoux" ? 

10 Or ses associés étaient Jacques et Jean fils de Zébédée; il leur dit alors: Allez! et ne soyez plus pêcheurs de poissons car je vous ferai pêcheurs d'humains.
[.Et Jésus dit à Simon: Ne crains pas, à partir de maintenant, tu prendras des humains vivants]
Il leur dit alors : grammaticalement, Il représenterait Simon, tandis que le contexte force à y voir Jésus. Jésus adressait un appel, non seulement à Simon mais aussi à Jacques et à Jean. Et logiquement, en réponse, ce n'est pas Simon seul qui se mit à la suite de Jésus, mais ses associés avec lui; tous les manuscrits sont d'accord sur ce dernier point.
Dans les autres manuscrits où l'interpellation de Jésus était adressée à Pierre seul , et non à ses compagnons, c'est la primauté accordée à l'apôtre qui était valorisée, aux dépends peut-être d'un appel plus communautaire.

11 -Eux alors, ayant écouté, laissèrent tout derrière eux sur la terre et le suivirent.
[Ayant ramené les barques sur la terre, quittant tout, ils le suivirent.]
Le choix de καταλείπω, propre au codex de Bèze a pu être guidé par l'allusion implicite qu'il contient à Gn 2, 24: "l'homme laissera son père et sa mère et il s'attachera à sa femme". Pierre et ses associés laissèrent tout derrière eux pour suivre Jésus avec une communauté de disciples qui leur était donnée comme une aide (cf. note du v.8).

Si tu veux tu peux
La demande du lépreux qui se prosternait devant Jésus ressemble à l'une des mises à l'épreuve du chapitre précédent, où le diable disait: Si tu es le Fils de Dieu dis... Cet homme mettait à l'épreuve Jésus dans sa volonté d'exercer le pouvoir à une fin louable; demande très subtile de la part de quelqu'un qui, après avoir pris l'attitude du suppliant prosterné, refusait de se soumettre à la loi du Temple comme l'y invitait Jésus.

14a - afin que, cela soit pour vous, en vue d'un témoignage
[en vue d'un témoignage pour eux]
τοῦτο, cela, un neutre se rapporte à la situation dans son ensemble, non à la seule “purification” qui est du genre masculin en grec.
Jésus demandait à celui qu'il venait de délivrer de son mal, d'aller faire authentifier sa guérison par le prêtre, car la Torah prescrivait à cette occasion tout un rituel avec des offrandes (Lv 14,1-32); par ce moyen la guérison pourrait devenir officielle. Jésus faisait cette recommandation avec force; ce qu'il venait d'accomplir - vouloir purifier un lépreux et le guérir - allait être un témoignage pour toutes les personnes présentes. A travers ce récit, s' affirmait le respect des traditions mosaïques qui permettaient au malade de coopérer à sa purification. Mais cet homme n'en tint pas compte; nous le savons par la phrase qui fait suite (probablement interpolée de Mc1,45 ).
Dans les autres manuscrits, le verset fut corrigé d'après le récit de Marc qui voyait dans l'offrande offerte selon les prescriptions de la Loi, un témoignage à l'intention d'eux, c'est à dire des prêtres.
 
14b -Lui, alors sortant, commença à proclamer et à divulguer la parole, de sorte qu'il ne pouvait plus ouvertement dans une ville entrer, mais il était dehors, dans les lieux déserts, et ils se réunissaient autour de lui. Ensuite il se rendit de nouveau à Capharnaüm.
Ce verset paraît interpolé de Mc 1,45, d'autant qu' il fait double emploi avec le v.15. Il renseigne sur l'agir du lépreux guéri qui, au lieu de suivre la recommandation que Jésus lui faisait d'aller offrir un sacrifice, divulguait partout le récit de sa guérison. Jésus qui en était devenu suspect se serait vu contraint de rassembler les gens à l'écart des villes. Selon le v.15, aux demandes de plus en plus pressantes de la foule, Jésus répondit par un retirement dans le désert où il priait.  
 
Dans un des jours
L'expression suppose un compte précis de jours; ce pourrait être soit l'un des sept jours de la semaine; on penserait plus particulièrement à l'un des deux jours de marché en lesquels les synagogues étaient ouvertes à l'enseignement. Ce qui expliquerait le rassemblement des docteurs de la loi et des pharisiens.
Ou bien le premier des jours du mois. Selon le calendrier des premières semaines du ministère de Jésus ce serait le 1er Iyar, 3 mai 29.

17 -Pour les guérir. ( ou : pour qu' eux guérissent ou soient guéris)
[et la puissance du Seigneur était en vue de ceci: qu'il fasse des guérisons]
Deux possibilités de traduction s'offrent puisque le complément à l'accusatif peut être pris également pour le sujet du verbe à l'infinitif moyen. Le traducteur latin voyait d'une part Jésus guérissant, d'autre part une foule de gens venus de Galilée et de Judée, dont se différenciaient les docteurs de la Loi et les pharisiens. Ces derniers survinrent à l'improviste pour reprendre Jésus, suite probablement, à l'attitude du lépreux qui n'avait pas offert les sacrifices voulus pour sa guérison. La refonte du verset, motivée par son caractère elliptique, a laissé entendre, abusivement, que pharisiens et docteurs de la Loi se seraient rassemblés de toute la Galilée et la Judée autour de Jésus.




19 Ayant découvert les tuiles.
[A travers les tuiles ils le descendirent].
L'alinéa, a contraint à séparer le préfixe du verbe qui se trouve démuni de sa première lettre raccrochée maladroitement au préfixe; un tel découpage tend à prouver que le scribe qui recopiait ce manuscrit ne connaissait pas personnellement le grec. La phrase (comme toute la page) avec les mots grabat et paralytique, semble avoir subi l'influence de Mc 2,4 et sq.

20 - il dit :
Ici comme aux v. 22 et 24, le verbe est au présent et non plus à l'aoriste; influence ponctuelle de Marc (2.5,10), qui eut souvent recours au présent dans le discours indirect. En d'autres endroits,  le texte de Luc au présent dans le codex Bezæ, fut mis à l'aoriste dans les manuscrits postérieurs. Vraisemblableemnt à l'état oral il devait être au présent et lors de la mise par écrit,  l'évangéliste opta pour l'aoriste. Marc hésitait entre les deux, comme en témoigne D05; le parti pris des scribes fut de mettre l'ensemble de son discours au présent.

21 - Sinon un, Dieu. D05, Ψ
[seul Dieu]
 L'expression se retrouve en Lc 18,19  et cette fois sur les lèvres de Jésus. Le remplacement du numéral “un” par l'adjectif “seul” convient-il à Dieu, et ce choix des copistes est-il ajusté? Sur les parallèles synoptiques de l'expression, cf. Mc 2.7

22 - Pourquoi débattez-vous en vos cœurs de mauvaises choses ? D05, Itala.
[Que débattez-vous en vos cœurs?]
Le mal, un terme rencontré précédemment à propos des pratiques d'Hérode Antipas (Lc 3.19), ne rend pas compte de la question que se posaient scribes et pharisiens, raison pour laquelle Marc ne l'a pas repris ; et il a disparu sous la plume des copistes. Tout en le conservant Matthieu l'a inséré dans une expression plus littéraire, “méditer du mal”.

23 - ont été remis les péchés de toi
La phrase, comme au v 20, ne comporte pas le pronom personnel complément d'attribution du texte alexandrin : "à toi" tes péchés ont été remis .
Et de fait, la place  du pronom au génitif "de toi", à la suite du verbe, suscite deux lectures:
- tes péchés ont été remis, en sous-entendant sous le Grec, le verbe hébreu qui signifie porter la faute, pardonner,  comme en Gn 18,26. 
- les péchés ont été laissés loin de toi, en gardant au verbe grec son sens littéral .
 Le verbe comme au v.20 (idem dans le parallèle de Mc2,5D et 9D à la différence de Mt 9,2 et 5) est au parfait, signifiant que les péchés étaient pleinement, définitivement remis. Jésus manifestait ainsi publiquement le pardon divin et il y a insistance sur le verbe "dire" , au v 23: "Qu'est-il plus facile de dire tes péchés sont remis ou de dire: mets-toi debout et marche?" et au v 24 : "Alors, ... il dit au paralytique : À toi je dis : mets-toi debout...". La première parole du Fils de l'homme aux humains, ses semblables,  était celle du pardon.  En Luc, le mot péché n'est jamais employé sans celui du pardon.
Le lien que faisait Jésus entre le pardon et la guérison suppose d'en établir un entre le péché et la maladie. Ceux qui portaient le paralysé devaient bien le connaître. Ils espéraient sa guérison. Son état et ce qui avait conduit à sa paralysie pouvaient être connus de la foule. Il convient d'établir ce lien pour comprendre celui que fit Jésus. En accordant le pardon au pécheur, il remontait aux origines de la maladie, ne se contentant pas de soigner les effets mais de libérer l'humain de la culpabilité et de ses conséquences.

24 - Le Fils de l'Humain.
Jésus est venu donner un visage humain à notre humanité; l'humain ἄνθρωπος, homme ou femme ; il convient de faire la différence d'avec l'homme (ἀνήρ) au sens strictement masculin du terme.
Autre différence à respecter
ὁ υἱὸς τοῦ ἀνθρώπου fils d'humain : est ainsi dénommé le personnage de caractère céleste venant avec les nuées du ciel que voyait Daniel dans une vision (Dn 7,13); Jésus en adoptait l'image en parlant de sa venue en gloire (Lc 21,27). Toutefois dans la citation de Daniel comme dans toutes les autres références bibliques, l'expression ne comporte pas d'article (fils d'humain, hébr. ben-adam, cf Jr 49,18,33 Ez 2,1, Ps 80,18, Dn7,13 etc). Dire d'un individu qu'il est un fils d'humain, c'est reconnaître son appartenance au genre humain.
ὁ υἱὸς τοῦ ἀνθρώπου le Fils de l'humain : la même expression, cette fois avec l'article ne se retrouve que sur les lèvres de Jésus pour parler de lui-même, et pour la première fois dans ce verset. Elle peut être assimilée à une "qualité" à l'instar des fils de la noce (5,34) des fils du Sabbat (6,10) des fils de paix (10,6) ou des fils de la résurrection (Lc 20,36). Héritier de toute l'humanité, et non d'un humain en particulier, il est celui qui la révèle à elle-même. Dans cet épisode précisément Jésus mettait en lumière la puissance du pardon accordé sur la terre par le Fils de l'humain à un humain (v.20). Ce n'était pas l'être céleste de la vision de Daniel, immatériel et difficilement saisissable qui, à travers lui s'adressait à ses interlocuteurs, mais l'humain entre les humains. Non seulement il transmettait le pardon divin, mais lui-même, en tant que Fils de l'humain, manifestait le pouvoir du pardon capable, sur terre, de rendre foi et santé au paralytique.
Cette expression, ὁ υἱὸς τοῦ ἀνθρώπου, Fils de l'homme  apparaît dans les chapitres 36-70 del'Apocalypse d'Énoch qui, autour de 3 paraboles, constituent un ensemble littéraire propre dont  aucun fragment n'a été retrouvé parmi les manuscrits de la Mer Morte ou d'Egypte, ce qui plaide en faveur d'une date plus  tardive - fin du Ier siècle (?) - que le reste du livre. Son contenu doit beaucoup à Daniel 7 où se déploie la figure d'un Fils d'homme. Les traducteurs mettent l'article devant homme par fidélité à la version éthiopienne. Reste à savoir si celle-ci était fidèle à son original araméen ou hébreu. Quoi qu'il en soit, les citations d'1 Enoch ne remettent pas en cause l'originalité du titre Fils de l'homme, que Jésus s'accordait.

  26 - ***
[ Et une stupéfaction les saisit tous et ils glorifiaient Dieu, et ils furent remplis de crainte].
Cette addition du texte alexandrin hésite entre la crainte et la louange de Dieu.

 
27 Et étant venu à nouveau vers la mer, tandis que le poursuivait la foule, il enseignait; et cheminant, il vit Lévi, celui d'Alphée. assis au bureau des taxes et il lui dit...
[Et après cela il sortit, et remarqua un collecteur d'impôts du nom de Lévi, assis au bureau des taxes et il lui dit].
Le verset est interpolé de Marc (Mc2,13-14), qui parlait de la mer de Galilée,  montrant souvent Jésus poursuivi par la foule et cherchant à lui échapper . Toutefois dans le verset correspondant du codex de Bèze, Marc a nommé non point Lévi d'Alphée, mais Jacques d'Alphée qui apparaît dans la liste des Douze.
Les correcteurs qui retouchèrent le texte de Marc ont conclu que Lévi devait être un fils d'Alphée et le frère de Jacques (cf note sur 6,16).


36 Or il leur disait aussi une parabole, parce que personne, une pièce d'un vêtement neuf, l'ayant déchiré, n'applique sur un vieux vêtement; sinon, certes, il aura déchiré le neuf et au vieux ne s'accordera pas la (pièce) tirée du neuf !
Jésus venait de répondre à des scribes et des pharisiens et il ajoutait deux paraboles illustrant le fond de sa pensée. Dans la première il prenait l'exemple du rapiéçage d'un vieux vêtement,  par une pièce prise à un vêtement neuf ; le premier symbolisait ses auditeurs, l'autre la nouveauté instaurée par son enseignement ; cette nouveauté  ne pouvait se surajouter, sans discordance, aux traditions ; sinon il lui eût fallu disparaître ; un choix était donc à faire, par ceux qui voulaient venir avec lui, entre le vieux et le neuf.

37 Et personne ne verse du vin nouveau  dans de vieilles outres; sinon, certes alors le vin, le nouveau, fera éclater les outres, les vieilles, et lui sera répandu; et les outres seront perdues.
Mosaïque du jeu de l'outre, Museum de Berlin.
38 - Mais le vin nouveau dans des outres neuves on verse, et les deux sont préservés.

Les versets 37 & 38 demandent à être lus ensemble. La dernière phrase du verset 38 est présente dans une majorité de manuscrits dont le codex Bezæ, mais elle n'a pas été retenue dans le texte courant parce qu'elle est absente du codex Vaticanus. Elle a pu être ôtée lorsque fut ajouté le verset 39.
39 - *** Verset absent de D05, It, Eusèbe.
[ Et personne ayant bu du vieux, ne désire du nouveau; il dit en effet le vieux est bon].
Ce verset a une fonction de modération après les paroles cinglantes de Jésus sur le vieux et le neuf qui sembleraient ne pouvoir coexister, alors que lui-même avait bénéficié des traditions et de l'enseignement rabbinique. Et plus qu'une fonction de modération ce verset vient même contredire ce qui précède, manifestant ainsi le caractère excessif des deux paraboles énoncées par Jésus. Comme il n'entre pas dans la logique du discours et rompt la continuité avec l'épisode qui vient à la suite au chapitre 6, il est imputable à une addition faite par un tiers. Ces paraboles sur le vieux et le neuf demandent à être comparées avec leurs parallèles synoptiques.