Luc Chapitre III
Les Personnages Politiques du temps de Jésus
Tibere, Rome Museo Nazionale
1-
Or en l’an 15 de l’hégémonie de Tibère... La numismatique offre
des repères précis permetttant de dater aisément cette quinzième année de
l’an 28-29 de notre ère, puisque Pilate avait fait une émission de pièces
portant les années 16,17, et 18 de Tibère. Les pièces frappées à l’effigie
du souverain, n’étaient certainement pas passées inaperçues (cf 20,24),
mais largement distribuées en Judée elles purent servir de repère dans
l’entourage de Jésus pour dater son année de ministère.
Ponce Pilate étant
procurateur de la Judée. Luc est le seul à avoir donné ici et en
Ac 4,27 le nom patronymique
Ponce de Pilate, omis en Marc et
Jean, adopté ensuite en I Ti 6,13, et ajouté dans certains manuscrits de
Matthieu ( 27, 2).
Au temps où il exerçait sa charge, Pilate était qualifié du terme latin de
“prefectus” comme en témoigne l'inscription commémorative d'un monument
élevé en l'honneur de Tibère à Césarée. Et c'est ce que, selon le codex
Bezæ, Luc a traduit par le participe substantivé ἐπιτροπεύοντος, pour un
dignitaire de haut rang.
Sous Claude, empereur de 41 à 54, le préfet de province reçut le titre de
procurator et ce terme fut traduit en grec par le substantif
ἐπίτροπος.
Cependant, au participe substantivé ἐπιτροπεύοντος du codex Bezæ, les
copistes ont substitué celui d'ἡγεμονεύοντος,
gouverneur, titre
qui fut, par exemple, celui de Quirinius alors qu'il commandait sur la
Syrie. Après la guerre contre la Judée et le règne d'Agrippa II, au début
du Second siècle, ce n'est plus un procurateur que Rome envoya dans cette
province mais elle en confia la charge à un gouverneur. Il faut donc
comprendre que les copistes inscrirent dans le texte de l'Évangile le
titre que le légat romain portait de leur temps.
[ étant tétraque de la Galilée ]. Cette
ligne fait défaut, non dans le texte latin mais dans le grec du codex
Bezæ; le scribe l’ayant sautée par inadvertance recopia ensuite deux fois
la phrase
étant tétrarque de l’Iturée, pour respecter le
nombre des 33 lignes par page.
Philippe
son frère étant alors tétrarque de l’Iturée et de la région de
Trachonitide. D’après Flavius Josèphe à la mort d’Hérode le Grand
en 4 avant notre ère, Philippe succéda à son père sur la Batanée la
Trachonitide l'Auranitide et partie du domaine de Zenodorus ; ce dernier
qui comprenait l'Iturée avait été remis à Hérode vers 27 av. notre ère .
Son fils Philippe, selon Flavius Josèphe aurait joui pendant 37ans de la
Trachonitide, et de la Batanée, ainsi que de la Gaulanitide - l'un des
cinq districts de la Pérée consentie à Hérode Antipas tétrarque de Galilée
(BJ, II, 6, 95). Curieusement, il n'était plus fait mention à la mort de
Philippe en la 20ème année du règne de Tibère, du domaine de Zénodorus
avec l'Iturée, ni de l'Auranitide; l’un et l’autre réapparaissent dans la
donation faite ensuite à Agrippa Ier (GJ II, 11,5) auraient-ils été
oubliés par Flavius Josèphe? Il semble en fait qu'il y ait eu entre temps
de nouveaux morcellements avec des remaniements frontaliers. Luc qui
rassemblait sous la dénomination “région de la Trachonitide” les diverses
contrées transmises à Philippe, nommait séparément l’Iturée cette partie
du domaine de Zénodore; après avoir été donnée à Philippe, elle nécessita
une intervention armée de la Syrie dans les années 3-2 av. notre ère . Il
y eut alors une nouvelle partition des territoires, avec la création de la
tétrarchie d'Abilène.
Site d'Abila surplombant le
wadi Barada

2 -
Lysanias de
l'Abiliane. Une orthographe propre pour cette région dont
Lysanias était tétrarque; contrairement à ce qui se lit encore souvent,
l'existence du personnage auquel Luc faisait allusion est bien documentée
par les sources parallèles. Luc ne le confondait pas avec le roi du même
nom tué par Antoine et qui succéda sur l'Iturée à son père Ptolémée
Mennaeus. La présence en Abilène d'un tétrarque du nom de Lysanias est
attestée par les deux inscriptions commémoratives de Nymphaios, affranchi
du souverain, et qui construisit un temple avec son environnement paysager
à Abila, au-dessus de l' actuel village de Suq sur le Wâdi Barada, à 30 km
de Damas . Ces inscriptions parce qu'elles sont dédicacées aux seigneurs
Augustes et à toute leur maison, permettent d’en établir la datation entre
l’année 14, où avec Tibère Livie fut déclarée Augusta, et l’année de sa
mort en 29.
La tétrarchie d'Abylène avait été implantée sur une partie de l'ancien
royaume de Ptolémée Mennaeus transmis à Hérode dans les années 27 à 20. Ce
royaume fut morcelé à sa mort, et l'Iturée qui en avait fait partie revint
à Philippe. Et si la tétrarchie d'Abilène semble avoir été constituée peu
après vers l'an 3-2 av. notre ère, le premier témoignage certain , est
donné par les inscriptions sus-mentionnées datées entre 15 et 29 de notre
ère. Puis elle fut concédée avec la tétrarchie de Philippe à Agrippa Ier
(37-44) par Caligula ( AJ 18/237). D'autres traces de morcellements de
l'ancien royaume de Ptolémée Mennaeus subsistent; sous le règne de Claude,
un royaume de Chalcis fut confié à Hérode frère d'Agrippa Ier et donné
ensuite avec la tétrarchie de Soaemus à Agrippa II (GJ II, 215 et 247).
Les renseignements consignés par Luc ne sont pas à dédaigner; confirmés
par l'épigraphie ils viennent compléter ceux de Flavius Josèphe.
2- Sous le grand prêtre Anne et Caïphe. -
1-Anne
C’était à Anne seul que Luc reconnaissait la qualité de grand prêtre;
Caïphe était nommé à la suite, sans indication de son rôle. La même
particularité se retrouve en Ac 4,6: “Et Anne le grand-prêtre, et Caïphe
et Jonathan et Alexandre” . Or selon Flavius Josèphe, en cette quinzième
année du principat de Tibère, le grand-prêtre reconnu par Rome était
Caïphe. En effet Anne qui avait été institué grand-prêtre en l’an 6 à
l’arrivée de Quirinius, exerça le pontificat jusqu’en 15 de notre ère,
puis ses fils assurèrent la continuité pendant les deux décennies
suivantes, sans compter les intermèdes dont celui de Caïphe de18 à 36
(cfAJ XVIII,24,95,123). Dans ces conditions, pourquoi Luc donnait-il à
entendre que vers 30, Anne portait toujours le titre, et qu’il exerçait
l’autorité au sein du Sanhédrin? (cf Ac 4,6 5,21,27). Comme il est
inconcevable qu’il ait commis un erreur grossière en s’adressant à
Théophile, il faut bien expliquer l’anomalie.
Si le pouvoir romain nommait et destituait le grand-prêtre, dans la
hiérarchie sacerdotale on reconnaissait une moindre autorité à celui qui
n’avait été qu’ investi officiellement de cette charge ; le vrai
grand-prêtre était celui qui avait été consacré par l’onction sainte et
éternelle :
“ Le grand-prêtre oint de
l’huile d’onction précède [dans la hiérarchie] le grand prêtre distingué
{des autres prêtres] seulement par l’investiture. Entre le pontife oint
par l’huile d’onction et celui qui l’est par un surcroît de vêtements
officiels, la différence consiste en ce que le premier seul est tenu
d’offrir en expiation un taureau pour la communauté. Entre le pontife en
exercice et celui qui l’a remplacé provisoirement, la distinction
consiste en ce que le premier offre le taureau du grand pardon et la
dîme d’épha (Talmud traité Meg. I§10).
Depuis le règne de Josias (VIIème siècle), si le grands-prêtre ne recevait
plus l’onction sacerdotale, il n’en était pas moins élu à vie à
l’intérieur de la hiérarchie du Temple . Sous les Maccabées, Jonathan, le
chef de guerre, fut institué grand-prêtre par Alexandre Balas(1M10,20).
Son successeur et frère, Simon (dit le Juste), fut reconnu grand-prêtre à
vie par les prêtres et les chefs du peuple avant d’être confirmé dans
cette charge par Démétrius (1M14,38 et 41). Simon était dit éminent
grand-prêtre (1M13,41; 14,27).
Afin de dominer sur la classe sacerdotale, Hérode le Grand mit fin au
pontificat à vie, suscitant parmi les familles de grands-prêtres le désir
de le voir renaître un jour. A la mort du Roi, Joazar, le fils de Boéthos,
se vit retirer sa charge par Archelaüs au profit de son frère Eléazar (AJ
XVII,339), peut-être parce qu’il n’avait pas de fils susceptible de lui
succéder. Eléazar fut remplacé rapidement par Jésus fils de Sié (AJ
XVII,341). malgré ces nominations, Joazar se trouvait encore en place huit
ans plus tard; en dépit de l’injonction du politique, il s’était maintenu
à son poste, et pour y parvenir, il avait du jouir d’une considération
particulière. C’est alors que le parti adverse obtint sa destitution, et
que le légat d’Auguste, Quirinius, lui ôta “l’honneur de son privilège”
(AJ XVIII,26); l’expression pléonastique de Flavius Josèphe retient
l’attention, car le privilège, vécu comme gage de reconnaissance divine,
était concédé à perpétuité (AJ XII,42, Hb5,4). Après son investiture sous
Hérode, se pourrait-il que Joazar se soit fait reconnaître par la
hiérarchie du Temple et remettre le pontificat à vie? Démis de sa charge
il aurait perdu avec elle le “privilège”qui y était alors attaché.
Anne, qui était du parti opposé à celui des Boéthusiens, fut investi de sa
charge par l’autorité romaine; aurait-il sollicité à son tour de ses
frères, le pontificat à vie, indépendamment de l’investiture successive
d’autres grands prêtres par le politique? N’aurait-il pas de cette manière
conservé son rang et sa charge au sein de sa caste? Ce qui paraît se
dessiner sous la plume de Luc trouverait un appui chez Flavius Josèphe
qui, à propos des fils d’Anne, écrivait que leur père était grand-prêtre,
en un moment où il n’était plus investi de cette charge par l’autorité
romaine (AJ XVIII,34 et 95). D’ autres personnages sont dits fils de
Boéthos, de Phabi, ou de Camith sans que Josèphe ait cru nécessaire de
noter que l’un ou l’autre avait été grand prêtre. Anne échappe à cette
règle : secrètement n’était-il pas encore “le grand-prêtre” tandis que ses
fils n’étaient que ses représentants? Que l’investiture ait été conférée à
l’un de ses fils, tendrait à prouver que la charge de grand-prêtre était
redevenue héréditaire.
Flavius Josèphe n'a rien dit de sa mort; peut-être n'était-il plus en vie
en 36 lorsque son fils Jonathan fut nommé grand-prêtre en lieu et place de
Caïphe que Vitellius avait destitué.La garde du manteau du grands-prêtre,
détenu dans l'Antonia, avait été réclamée au gouverneur qui accorda que le
vêtement sacré soit dorénavant conservé dans le Temple par les prêtres (AJ
XX 90). Un changement était intervenu dans les relations entre Jérusalem
et Rome.
La mémoire d’Anne perdura, puisque Flavius Josèphe pouvait identifier son
tombeau en remontant le ravin que surplombait la piscine de Siloé. (GJ
V,506).
Dans la suite de son évangile Luc n’a plus parlé que des grands-prêtres,
au pluriel, englobant sous cette dénomination soit les prêtres issus des
familles de grands-prêtres (cf.Ac 4,6), soit l’ensemble des prêtres
responsables au Temple des sections hebdomadaires.
2 - Caïphe
L’évangéliste Jean décernait à Caïphe le titre même de grand-prêtre; mais
ce n’est pas contradictoire puisqu’il en était ainsi aux yeux des romains.
En ajoutant qu’Anne était le beau-père de Caîphe il donnait une raison
pour le moins insuffisante de sa présence à ses côtés (Jn 18,13-14). Tout
en n’hésitant pas à faire de Caïphe un “faux prophète” (Jn 11, 51), il
considérait sa charge comme annuelle (Jn 11,49,51, 18,13). Mais sa
connaissance du milieu historique était inexacte puisque Caïphe fut en
poste pendant dix-huit ans.
L’orthographe du codex Bezae Kaifa est à lire phonétiquement képha ; c’est
celle qui fut adoptée dans l’ensemble des manuscrits de la tradition dite
occidentale; elle a été observée dans le codex Bezæ à deux exceptions qui
peuvent passer pour des erreurs de scribe. L’orthographe Kaïafa que nous
lisons Caïphe fut usitée dans les autres manuscrits néo-testamentaires et
les Antiquité Juives (dont les principaux témoins, soulignons-le, ne sont
pas antérieurs au XIème siècle).

La découverte à Jérusalem en novembre 90, d’ une grotte funéraire, dont
deux ossuaires contenaient les restes d’une famille du nom de Keph (ou
Koph) donne raison à la tradition occidentale. Sur un premier ossuaire
contenant les restes d’une première famille se lit phonétiquement Képha.
Sur un second, qui contenait entre autres les ossements d’un homme d’une
soixantaine d’années, deux graffiti , Joseph fils de Képha et Joseph fils
de Kopha . Ce troisième graffiti avec un vav intermédiaire se lit en
principe kopha, mais il n’est attesté qu’une fois sur trois. Les éditeurs
de ces inscriptions en langue araméenne ont fait le rapprochement avec le
Caïphe des Evangiles qui selon Flavius Josèphe s’appelait Joseph, surnommé
Caïphe. L'orthographe Képha desgraffiti 1 et 2 correspond au grand-prêtre
des évangiles dans les manuscrits de la tradition occidentale.
Bibliogr:
R. Reich, Caiaphas name inscribed on bone boxes, in Biblical Archeology
Review, 1992, 18/5 p38-44.
Z. Greenhut,Burial cave of the Caiaphas Family, in Biblical
Archeology Review, 1992, 18/5p28.
E. Puech, A-t-on re -découvert le
tom- beau du grand- prêtre Caïphe? dans Le Monde de la Bible,
1993, n°80 p42-47.
La rusticité de l'ossuaire pourrait faire douter qu'il ait été celui d' un
grand-prêtre , d'autant que ce titre ne figure pas avec le nom . Cependant
Caïphe n’était pas mort en fonction, mais une vingtaine d’années après
avoir été destitué de sa charge.
Il resterait à expliquer pourquoi dans les manuscrits néotestamentaires
les scribes passèrent, vers le troisième siècle, de Kaifa à Kaïafa.
Phonétiquement Kaifa est très proche de Kêfa, le surnom que Jésus avait
donné à Simon:“Tu es Simon le fils de Jean; tu seras appelé Képha, ce qui
se traduit Petros” (Jn1,42) . Luc avait tout de suite opté pour Petros, au
lieu de Kêfa transcrit de l’araméen, et sous lequel l’apôtre était connu
jusqu’à Corinthe dans les années 50-52.
La traduction de Kêfa par Pierre évitait la confusion apportée par la
proximité des trancriptions Kaifa et Kêfa, source d’un parallèle inutile
entre les personnes de Caïphe et de Pierre. Lors du rassemblement des
textes néo-testamentaires, on aurait jugé opportun de dissocier nettement
les deux noms et Kaifa fut orthographié Kaïafa qui gardait une consonance
araméenne.
Jean Baptiste et Jésus
Citation du prophète Isaïe selon la LXX par le
rédacteur de l'Évangile
Isaïe 40
|
Luc 3 D05
|
3 φωνὴ
βοῶντος ἐν τῇ ἐρήμῳ· ἑτοιμάσατε τὴν ὁδὸν Κυρίου. εὐθείας ποιεῖτε
τὰς τρίβους τοῦ Θεοῦ ἡμῶν. 4 πᾶσα
φάραγξ πληρωθήσεται καὶ πᾶν ὄρος καὶ βουνὸς ταπεινωθήσεται, καὶ
ἔσται πάντα τὰ σκολιὰ εἰς εὐθεῖαν
καὶ ἡ τραχεῖα εἰς ὁδοὺς λείας·
5 καὶ ὀφθήσεται ἡ δόξα Κυρίου,
καὶ ὄψεται πᾶσα σάρξ τὸ σωτήριον τοῦ Θεοῦ, ὅτι Κύριος
ἐλάλησε.
|
4φωνὴ
βοῶντος ἐν τῇ ἐρήμῳ ἑτοιμάσατε τὴν ὁδὸν Κυ. εὐθείας ποιεῖτε τὰς
τρίβους ὑμῶν 5 πᾶσα φάραγξ
πληρωθήσεται καὶ πᾶν ὄρος καὶ βουνὸς
ταπεινωθήσεται καὶ ἔσται τὰ σκολιὰ
εἰς εὐθείας καὶ αἱ τραχεῖαι
εἰς ὁδοὺς λείας
6.
καὶ ὄψεται πᾶσα σὰρξ τὸ σωτήριον Κυ
|
4 -Rendez droits vos sentiers.
[ ses sentiers.]
L'expression du codex Bezæ s’apparente au sens du texte hébreu d’Isaïe qui
invite ainsi les fidèles:
“rendez droit un chemin pour notre Dieu”
(Is 40,3), tandis que la LXX comporte :
“rendez droits les sentiers
de notre Dieu”.
6 - ...Et toute chair verra le
salut du Seigneur. D05, Sysc
[ ...le salut de Dieu]
Le texte Alexandrin se conformait à la LXX
et toute chair
verra le salut de Dieu (alors que le texte hébreu courant
comportait
“et toute chair verra que la bouche du Seigneur a parlé”)
. Le verset du codex Bezæ s'appuyait sur l'hébreu d'Exode 14,13 : וּרְאוּ֙
אֶת־יְשׁוּעַ֣ת יְהוָ֔ה ,
et ils verront le salut de יְהוָ֔ה
.
Jésus en hébreu יְשׁוּעַ֣ est une abréviation de יְהשׁוּעַ֣ ,
Josué,
signifiant
יְהוָ֔ה sauve ;
יְהוָ֔ה sauve et
le
salut de יְהוָ֔ה
sont identiques, et c'est ainsi qu'Isaïe
avait annoncé la venue de Jésus. En substituant Dieu (grec Θέος) à יְהוָ֔ה
,
(traduit en grec
par Κυρίος), les copistes du Texte
Alexandrin privaient la citation de ce qu'elle avait “d'essentiel”.
La citation d'Isaïe n'était pas entière car la phrase précédente “
et
la gloire du Seigneur se manifestera” était omise. Et
pourquoi ? L'auteur de cet évangile dissociait-il l'Incarnation et la
Passion du Christ de sa gloire ? Une omission dans une autre citation
d'Isaïe en Luc 4.18,
guérir les cœurs brisés, manifestait
ce que le rédacteur ne se sentait pas à même d'écrire. On penserait à
Marie dont le cœur fut transpercé d'une manière si profonde que la
blessure a pu ne pas cicatriser.
7 - Aux foules sortant
pour être baptisées sous son regard. Ces foules d’où
sortaient-elles? Ce verbe rare s’inscrit dans une expression de la LXX sur
la liberté d’aller et venir dans le sanctuaire devant Dieu; le verbe est
aussi Dt 31,2, alors que Moïse trop âgé se voyait limité dans sa liberté
d’aller et venir et que le passage du Jourdain lui était refusé au profit
de Josué (un nom dont Jésus est la forme abrégée).
10 - Pour que nous soyons sauvés;
Un leitmotiv repris aux v.12 et 14, comme une réponse à
l’appel de Jean au v. 3.
16 - En vue du
repentir. Cet ajout serait une "interpolation" mathéenne ne se
justifiant pas vraiment ici (les manuscrits C1071 et 1424 qui comportent
eux aussi cette leçon ont répercuté également d’autres interpolations
matthéennes en Lc 4,1-13,6,40, 11,5-43, 17,36,18,29). Le baptême donné par
Jean-Baptiste est décrit en Matthieu 3,6 et 11, comme un moment liturgique
préparant au repentir. Mais en Luc, la plongée du peuple dans les eaux du
Jourdain était vécue en vue de la libération des fautes (3:3 et Ac 2:38),
le repentir étant préalable au baptême qui permettait d’accueillir le
pardon. Que le fait de se plonger soit précédé du repentir était
bien vu par Flavius Josèphe:
“Car c’est à cette condition que Dieu
considérerait le baptême comme agréable, s’il servait non pour éviter le
reproche de certaines fautes, mais pour purifier le corps après
qu’on ait préalablement purifié l’âme par la justice”
(AJ, XVIII-117).
20 -Il enferma Jean en
prison. Le préfixe ἐν, doublé par la préposition ἐν après le
verbe est une insistance bien lucanienne. Alors que les foules jouissaient
de la liberté d’aller et venir devant lui (cf note du v.7), Jean fut
enfermé en prison et privé de la liberté d’aller et venir. Flavius Josèphe
écrivait que Jean avait été incarcéré à Machéronte, une forteresse
hérodienne à l'est de la mer morte. L'information sur cet acte d’Hérode
Antipas était donnée par Luc au moment où Jésus était baptisé.
Luc avait donné deux raisons de l’ incarcération : le prophète avait blâmé
Antipas d'avoir pris la femme de son frère (une "abomination" décrite en
Lévitique 18/16). Mais il lui avait aussi reproché "tous les méfaits
commis ". Hérodiade n'était donc pas seule en cause, et Antipas avait eu
des raisons personnelles de mettre le Baptiste à mort. De ces "méfaits"
commis au regard de la Torah, certains nous sont connus par l'épigraphie
et par Flavius Josèphe. A Délos il avait consenti à se faire élever une
statue dont subsiste la dédicace. En Galilée même, et contrairement à la
loi juive, Antipas s'était fait construire un palais orné d'effigies
animalières sur un site de sépultures considéré impur. Pour y attirer des
habitants et y fonder sa capitale il avait fait appel à des "fils de
Bélial" dignes de ces villes de refuge , dont parle Dt 13/13. Selon le
vocabulaire biblique (Dt17/15) les méfaits évoquent encore les pratiques
divinatoires, incantatoires et magiques liées à la consultation des morts
(Lv 19/27 Dt 18/9).Qu'Antipas en ait recherché le contact serait indiqué
par le site de sépultures choisi pour Tibériade. Cette attirance était
sanctionnée par la Torah, et la peine de mort attendait les faux prophètes
qui entraînaient aux pratiques impures(Dt 13/6, 10, et 17/7); les villes
en cause devaient être vouées à l'interdit(13/16). Jean en prophète, se
devait de lui rappeler les fondements de la Torah et ses sanctions, même
si à des yeux extérieurs ces méfaits n'avaient rien que d'anodin. Jean ne
mâchait pas ses mots se servant d'expressions fortes, n'hésitant pas à
traiter ses concitoyens de "race de vipères".
Le tétrarque en aurait éprouvé cette irritation qui le conduisit à lui
ôter lui-même la tête, reportant sur Jean la sanction dont il l'avait
prévenu. La mort du Baptiste ne fut pas l'objet du hasard ni de passions
incontrôlées, mais de la détermination d'un homme. C'est bien ce que
soulignait Jésus lorsqu'il disait d'Hérode Antipas : "Allez dire à ce
renard..." (Lc 13,32). Esope s'était servi de l'image du renard pour
décrire un être dangereux dont la finesse allait de pair avec la
couardise. Jésus n'ignorait pas qu' Hérode Antipas allait constituer un
maillon très fort de la chaîne qui l'enserrerait au jour de son procès.
Si Luc a pris soin de donner le nom d'Hérodiade avec son identité, c'est
bien parce que sa responsabilité personnelle était en cause dans la mort
de Jean. Faut-il pour autant reporter sur elle toute la culpabilité?
21 - Or il advint
du fait d’être baptisé. Luc n’a pas comme Marc (1,9) et Matthieu
(3,13) placé l’ensemble du baptême de Jésus sous le regard de Jean. La
tournure “or il advint” introduit souvent une rupture temporelle avec ce
qui précède, et au moment où Jésus après son baptême se trouvait en
prière, il semble que Jean ait déjà été arrêté par Hérode.
22 - Tu es mon fils
aujourd’hui je t’ai engendré. [et non: le bien aimé, en toi j’ai mis
ma faveur] Parole adressée à Jésus lui-même, “Tu es” ,
citation du Psaume 2 qui exaltait l’onction royale faite par Dieu de son
Messie sur Sion; elle fut célébrée en Ac 13,33 et He 1,5. Clément
d’Alexandrie connaissait cette version du codex Bezæ (Pd I 25,2). Elle
peut être comprise en référence à celle de l’Annonciation: “l’ engendré,
saint, sera appelé Fils de Dieu” (1,35). Accompagné de l’adverbe
aujourd’hui, le verbe engendré au parfait a une valeur de présent
intemporel utilisé pour les cas d’ institutions durables: “Avant de te
façonner dans le sein de ta mère, je te connais, avant que tu ne sortes de
son ventre je te consacre, je te place prophète ...je te donne aujourd’hui
autorité sur les nations” (Jr 1,4, 10) Ou l’institution (à vie?) du
grand-prêtre Jonathan : “Nous t’instituons aujourd’hui grand-prêtre”
(1M10,20).
L’ouverture du ciel et la venue de la colombe allant de pair avec la voix
céleste évoquaient la nuée qui aurait reposé sur la tente de la rencontre
après la consécration d’Aaron et de ses fils (Ex40,34-38). La venue de la
colombe rappelle plus encore la venue de l’Esprit sur Marie (1,35). Par
ailleurs le psaume 2 cité ici exalte dans sa totalité la consécration du
roi.
23 Or Jésus avait comme trente ans en commençant!
Comme il était estimé être fils de Joseph!
[Et lui Jésus avait en commençant, environ trente ans, étant fils
comme on estimait, de Joseph].
“Comme” amène une nuance essentiellement comparative avec l’âge de
maturité du roi et du prêtre (2S 5,4; Nb4,3); la comparaison est en outre
à double volet : “comme trente ans”, et “comme on le pensait être fils de
Joseph”.
Jésus était sensé être fils de Joseph aux yeux de l'entourage, alors que
pour l'évangéliste ou son témoin, il s'originait en Dieu; le psaume venait
expliciter ce que déjà les deux premiers chapitres donnaient à entendre.
Aussi la longue liste de noms qui venait ensuite n'était pas une
généalogie , mais une ascendance de générations remontant jusqu'à Dieu par
Joseph de Nazareth , le roi David ou encore Juda. À la manière dont Jésus
avait son origine en Dieu, ses années elles aussi, s'originaient en Lui;
ainsi pourraient s'expliquer ces deux "comme" qui assurent la coordination
des phrases entre elles; le verset est en assonance avec son parallèle du
livre de la Génèse: Un rapprochement s'impose, en effet, avec cet autre
Joseph, le fils de Jacob qui avait justement trente ans lorsqu'il devint
ministre du pharaon d'Egypte
“comme Joseph avait trente ans
lorsqu'il se tint en présence de Pharaon, aussi prit-il congé de lui
pour parcourir toute l'Egypte.” Gn 41:46
Joseph avait souffert de par la jalousie de ses frères, mais il était
sorti victorieux de l'épreuve; sur cet exemple être appelé "fils de
Joseph" devint une qualité attendue du Messie.
L'ordre des mots, et le choix du verbe être à l'infinitif demandent
attention. Jésus était considéré comme fils de Joseph; tel est le sens du
verbe déjà rencontré en 2,44, quand ses parents le croyaient dans la
caravane et qu’il n’y était pas. Jésus était-il vraiment fils de Joseph?
Si l’entourage le pensait, la question restait néanmoins posée. Et Luc de
partir d’une exclamation : comme on l’estimait être fils de Joseph!
suivait alors une lente remontée vers Dieu d’une filiation spirituelle à
travers les générations. Car Luc ne dressait pas l’ arbre généalogique de
Jésus, mais à travers une filiation d’ordre spirituel, il faisait remonter
l’action de grâce vers Dieu.
En offrant une généalogie sur le mode biblique, Matthieu a souhaité, à
l'opposé de Luc, manifester le hyatus existant entre Jésus et la lignée
Davidique.
23 - 31 de Jacob...de
Salomon. Ces noms sont interpolés du parallèle de Mt 1,15 à 6.
Il y eut une tentative d'harmoniser entre elles les deux “généalogies” en
reprenant des noms dans la liste de Matthieu et en les insérant à la place
d'autres dans la lignée consignée en Luc (le codex Bezae est lacuneux à la
page correspondante de Matthieu).
33 - *[ Admin , Arni ],
Le codex Bezae n'a pas ces deux noms, mais Aram, suivant Mt 1,3-4, et
1Chr2,9-10.
36 - *[ Kaïnam ].
Ce nom reçu par l’ensemble des manuscrits provient de Gn10,24; il est
absent du codex Bezae aligné lui sur 1Chr1,24.