Histoire du
Manuscrit et de son texte
Son intituté “Bezæ Codex Cantabrigiensis”, ce précieux manuscrit le
tient de sa préservation par les Huguenots lors des guerres de religion.
En effet Théodore de Bèze l'avait eu sous sa sauvegarde en 1562, quand,
durant les guerres de religion, il fut retiré du monastère St Irénée de
Lyon pris dans les flammes. Il l'adressa quelques années plus tard à la
Bibliothèque de l'Université de Cambridge où il est conservé depuis
lors.
L'évêque de Clermont d'Auvergne, dans le but de confirmer une variante
latine de Jean (21, 22) dont l'original grec ne se lisait que dans cet
exemplaire, l’avait amené en 1545 au Concile de Trente.
Plusieurs de ses pages qui avaient du être réécrites ont une encre
identique à celle d'un manuscrit sorti de l'atelier de Florus qui
exerçait à Lyon au IXème siècle. En outre certains versets du texte
latin se retrouvent avec les mêmes particularités dans les citations du
martyrologe d'Adon, rédigé au milieu du IXème siècle à Lyon.
L'analyse de la calligraphie a permis de faire remonter sa réalisation
aux années 380-420
1 .
Le début du Vème siècle à Lyon fut une période d'effervescence pour les
communautés chrétiennes avec l'édification de basiliques sur les deux
nécropoles voisines des martyrs St Irénée et St Just.
F.H Scrivener lui assignait le Sud de la Gaule pour région d’origine,
en raison de la langue latine dans laquelle avait été traduit le texte
grec. Qu'une communauté hellénophone ait subsisté à Lyon à cette époque
n'est guère attesté par les documents ou l'archéologie; cependant la
communauté chrétienne a pu souhaiter sauvegarder un document écrit en
Grec en le recopiant pour assurer sa transmission et en le traduisant,
pour son propre usage.
Si la confection du livre n'est pas antérieure au début du Vème siècle,
l’ancêtre grec dont il livrait copie était, quant à lui, très ancien,
puisque des citations s’en trouvaient déjà chez Justin (
3),
martyrisé vers 165 à Rome, et chez Irénée dans son traité contre les
Hérésies
(4) . Ce dernier, était arrivé à
Lyon dans les années 170, venant de Smyrne où il avait été disciple de
Polycarpe. Il paraissait vraisemblable à F H Scrivener que lui, sinon
ses compagnons, ait amené en Gaule ce livre des Évangiles et des Actes
auquel fut adjoint alors une transcription latine
(5)
. À ce scenario vraisemblable, les propositions offertes en alternative,
n’emportent pas l’adhésion faute d'éléments significatifs de comparaison
(6).
Le scribe qui en avait assuré la copie avait eu sous les yeux un texte
plus ancien que les grands onciaux du IVème siècle sur lequel se base le
texte courant; cet ancêtre conditionna la mise en forme du nouveau
manuscrit qui n’a pas d’émargement à droite comme cela se pratiquait au
IV-Vème siècle; aussi les mots accolés s’inscrivent, à chaque page,
sur trente trois lignes d’une inégale longueur, répercutant avec plus ou
moins d’adresse la répartition en stiques de l’original (
7).
La phonologie grecque était celle attestée dans l’épigraphie du Ier
siècle et qui évolua notablement par la suite; la calligraphie, plus
hésitante à gauche qu’à droite, manifeste que le grec n'était pas la
langue que le scribe pratiquait ordinairement et il a répercuté des
onciales du Latin dans le Grec. En outre, là où l’original grec était
trop délavé pour être lu, il a complété sa copie en se référant aux cas
et aux déclinaisons du Latin, alors qu’ils n’étaient pas identiques (
8).
L’ancêtre du codex Bezæ différait du texte standard de nos bibles par
certains versets en moins, sinon par d'autres qu'il avait en propre ou
qu’il partageait avec les manuscrits dits de la tradition occidentale,
par des membres de phrases, des termes, des conjugaisons, des cas, des
déclinaisons, ou encore par l'ordre de ses mots. La présence (ou
l'absence) d'un simple article peut peser d'un grand poids dans la
compréhension de telle ou telle expression employée par le Christ.
L’Évangile de Jean s’y trouvait, non point à la quatrième, mais à la
seconde place, juste derrière Matthieu; la copie du Vème siècle
répercuta cet ordre adopté aussi dans le codex W 032 de Washington,
alors qu’il n’était plus habituel. Cet ancêtre pourrait avoir constitué
le premier recueil rassemblant les textes néotestamentaires et lors de
ce regroupement il y eut une tentative visant à harmoniser les évangiles
entre eux puisque certains passages de Marc et de Matthieu vinrent
s’interpoler en Luc (
9) .
Plus que les Évangiles de Marc Matthieu et Jean, les deux livres de Luc
comportent un grand nombre de leçons propres, témoignant d’une
connaissance approfondie des coutumes sacerdotales et de la liturgie du
temple. Cette attention au contexte hébraïque a suggéré que l’ancêtre du
codex Bezae était une première, sinon une seconde édition, produite par
l’auteur lui-même, à l’attention d’une communauté qui ne s’était pas
coupée de la Synagogue; les théories émises concernaient principalement
le texte des Actes. Ce texte archaïque était tellement en empathie avec
le cadre dans lequel la vie de Jésus s’était déroulée, que l’information
donnée y était au plus près de sa source. Visualiser
la
table des commentaires, permettra de s'en faire une idée.
Comparativement Marc et Matthieu témoignaient de la distance prise
progressivement dans les communautés qui s‘affermissaient à l’extérieur
de la Judée et de la Galilée; dans cette mouvance et dès le second
siècle, les Évangiles Synoptiques furent harmonisés entre eux et
retouchés de manière à être plus accessibles d’auditoires grecs et
latins.
1- J. Irigoin, datant “l'écriture grecque
du codex de Bèze”, de la première moitié du Vème siècle (
p.3-13) et L. Holtz “l’écriture latine du codex de Bèze”
entre 380 et 420, (p14-55) - dans Actes du colloque
International de Lunel (27-30 juin1994) - ce sont les années
400-420 qui ont été retenues depuis.
2 - R. L. Mullen, le codex de Bèze, un
témoin d’une version antérieure, dans Dossiers
d’Archéologie, janvier 2003 p 34-43.
3 - Lc 10,16D et 13:27D dans la première
Apologie de Justin
4 - Lc 2:45D; 14:26,27,33D; 19:5D, 24:39D;
Ac2:24D; 3:12-14D; 5:31D; 15:17-18,23D
5 - Le Latin suit le grec dans sa disposition .
Tantôt il est la traduction du grec correspondant, tantôt il
retranscrit le texte courant, et il arrive que sa leçon soit unique.
6 - Si C B Amphoux a adopté et développé la
thèse de Scrivener, D C Parker qui proposait Beyrouth comme lieu
d’origine a été réfuté par RL Mullen op.cit., qui évoquait
Constantinople et un transfert du codex vers la Gaule au début du
VIIème siècle.
7 - F.H Scrivener, Introduction pxvii .
Antonio Amassari a adapté le texte latin en fonction de ces stiques
et de la ponctuation dans son édition Bezae Codex Cantabrigiensis,
Editions Vaticanes 1996.
8 - M.E Boismard Le codex de Bèze et le
texte occidental des Actes, dans Actes du colloque
International de Lunel (27-30 juin1994) p.257-70.
9 - Notamment la généalogie, ou encore le
Notre Père, l’appel de Levi; il faut alors se référer aux autres
manuscrits poour connaître l’original lucanien.