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Commentaire des Actes des Apôtres selon le codex Bezæ Cantabrigiensis

par Sylvie Chabert d'Hyères



INTRODUCTION
Le Livre des Actes n'est pas entier dans le codex Bezae Cantabrigiensis qui souffre de pages manquantes entre les chapitres 8 et 10 (v 8:30 à 10:14 dans le texte Grec et 8:20 à 10:3 dans le texte Latin) certaines pages du chapitre 21 (21: 3 à 10, 21:16-18 enGrec, 20: 31 à 21:2, 8 en Latin)puis les derniers chapitres, de 22 à 28 (22:11 à 20, puis 29 à la fin en Grec, 22:3 à 11 puis 21 à la fin en Latin).
À la différence des évangiles, son texte a été très étudié et commenté par la critique textuelle et littéraire. Il a été traduit en Anglais dès 1923 par Canon J. M.Wilson, et c'est sa version remaniée qui est proposée ici en complément.
Scruter les multiples nuances de ce texte permet de le découvrir dans son contexte rédactionnel et de saisir l'attention de son auteur aux situations décrites et aux personnages dont il a laissé de vivants portraits.
Sur son auteur nous renvoyons le lecteur à l'article en ligne


BIBLIOGRAPHIE :

Read-Heimerdinger, J. and Rius-Camps, The Message of the Bezan Text of Acts: A Comparison with the Alexandrian Tradition:
            Vol. 1: Acts 1.1-5.42 Ed Harcover . xii + 377 pp. 2004
            Vol II : Acts 6.1-12.25: From Judaea And Samaira To The Church In Antioch , 2006
           Vol III : Acts 13.1-18.23, The Ends of Earth First and Second Phases of the Mission to the Gentiles, 2007

En ligne:
Bruce M. Metzger: A Textual Commentary on the Greek New Testament, Acts of the Apostles

 


Chapitre I


Ce premier chapitre du Livre des Actes des Apôtres offre, dans sa première partie, des points de rupture avec l'Évangile:

M.E. Boismard et A. Lamouille, attribuaient ce premier chapitre à un rédacteur nommé “Actes I” qu'ils différenciaient de l'auteur de l'ensemble du livre appelé “Actes II”.
Aux treize premiers verset de ce chapitre I qui forment une entité propre, auraient été rattachés les versets 14 et suivants qui , à l'origine, pouvaient se trouver à la fin du chapitre 2, verset 43.
Initialement le chapitre 2 avec la Pentecôte offrait une suite logique et sans rupture avec la promesse du Christ faite à la fin de l'évangile.



Théophile : Ce personnage n'est plus qualifié d' «excellent»; au moment de la rédaction des Actes il n'occupait plus alors de charge officielle.


- Ceux qu'il avait appelés à proclamer l' Évangile

τὸ εὐαγγέλιον , la bonne nouvelle, qui allait désigner le recueil des paroles et des actes de Jésus apparaît ici pour la première fois. Il ne revient plus avant le chapitre 15, v 7, sur les lèvres de Pierre. Jésus avait invité les Apôtres à évangéliser , mais il ne pouvait leur avoir demandé de proclamer l'évangile puisque celui-ci n'était pas encore écrit. On comprendrait que cette phrase ait été retirée par les copistes. Elle manifeste que ce début du chapitre 1 est le fait d'une rédaction tardive.

. 1,4-5: “la promesse du Père , dit-il,  que vous avez entendue par ma bouche : Jean a baptisé dans l'eau, vous dans l'Esprit Saint vous serez baptisés".

La prophétie que Jean Baptiste avait faite sur Jésus - "moi je vous baptise dans l'eau,...lui vous baptisera dans l'Esprit Saint et le feu" (Lc 3,16-17), est ici prêtée à Jésus comme une parole qu'il aurait reçue du Père. Ce verset visait à offrir une assise au souvenir de Pierre qui attribuait le propos à Jésus (cf Ac 11,16).
Mais Jésus se considérait-il "prophète"? Se voyait-il comme Zacharie (le père de Jean le Baptiste), à qui Dieu avait ouvert la bouche pour qu'il parle en son Nom ?  La refonte du verset dans la tradition alexandrine a évité cette difficulté. 
Par ailleurs dans l'Évangile, en Lc 24,49 selon le codex Bezae, Jésus intimait aux Apôtres de rester dans la ville pour y attendre "sa promesse" (non point celle du Père mais la sienne); il exprimait ainsi son autorité souveraine; comparativement, dans les Actes et notamment au v 7, Jésus est présenté dans un rapport hiérarchique au Père.
 
.1,6 est-ce le temps où tu accomplis une restauration en vue de la royauté pour Israël?
 
Les nuances de la phrase manifestent  les hésitations des disciples sur les intentions de Jésus.  Ils ne voulaient pas se fourvoyer en lui demandant de restaurer la royauté en Israël et leur demande prenait un caractère plus spirituel .

7- Il leur dit: «il ne vous revient pas de connaître les temps et moments que le Père a fixés de sa propre autorité»

Les paroles de Jésus concernant le Père dans l'évangile n'inscrivent pas de dimension hiérarchique entre le Père et lui (Lc 10:22 , 22:42 D05, et 23:46). C'est le contraire dans ce verset des Actes où l'autorité du Père précède et prévaut sur celle du Fils comme le développeront Pierre et Paul dans leurs discours.

.1,10 "dans un vêtement blanc"

L'expression est au singulier comme en Luc 24:4D alors qu'elle est au pluriel en de nombreux manuscrits. Les hommes en blanc rappellent les deux hommes que virent les femmes au tombeau au matin de la Résurrection. Mais ceux-ci étaient vêtus d'un vêtement d'éclair, signe de la présence du ressuscité, lumière  propice à éclairer l'intelligence des femmes troublées par la disparition du corps de Jésus. Ici le vêtement blanc correspond plus simplement à la pureté liturgique ou à l'état de sainteté.
 

.1,11 "Hommes Galiléens"

L'auteur des Actes a volontiers privilégié le terme ἀνήρ le mâle qui engendre, l'homme au sens masculin du terme (99 occurrences), sur celui d'ἀνθρώπος l'humain, homme femme ou enfant sans distinction de sexe ni d'âge (46 occurrences ). Or c'est la tendance inverse qui est observée dans l'Evangile de Luc avec 99 occurrences pour ἀνθρώποςcontre 26 pour ἀνήρ. Cette préférence de l'Evangile est a mettre en rapport avec le titre que Jésus s'est donné : Fils de l'humain (ἀνθρώπος) . 
 

.1,12 "la montagne dite de l'oliveraie"
Continuité et rupture puisqu'en Lc 22,39 se lit "la montagne des oliviers".  

.1,14 "avec les femmes et enfants"
 
Il est logique de retrouver les femmes et les enfants des Apôtres à Jérusalem. En effet la Pâque et la Pentecôte étaient des fêtes de pèlerinage qui amenaient les habitants de Judée et de Galilée à Jérusalem. Que les familles des Apôtres aient été présentes à leurs côtés ne devrait pas étonner. Ailleurs, l'indication des femmes , sans article, tout en ignorant leur identité familiale, tend à restreindre leur nombre à celles qui avaient suivi Jésus. La modification du verset témoigne du caractère liturgique que le texte commençait à revêtir, en se distançant de la réalité du quotidien. Même remarque en 2,39 où Pierre parlait initialement de "nos enfants", incluant sa descendance avec celle des tenants de la foule.
.1,15 "En ces jours -là".
L'expression est ici avec ταύταις comme en Ac3,1 et 6,1. Or selon le codex Bezae, dans son évangile Luc utilisait la même expression mais avec ἐκείναις dès la naissance de Jésus(Lc2,1), puis tout au long de son livre; par ce septantisme caractéristique, il inscrivait la venue de Jésus dans les temps messianiques annoncés par les prophètes. Faudrait-il comprendre que les temps messianiques s'arrêtaient à Jésus tant qu'il était visible? A moins que le rédacteur du premier chapitre des Actes n'ait pas perçu le sens de l'expression que lui conférait l'évangéliste ? Il n'est pas certain en fait que cet épisode épouse la place chronologique qui devrait être la sienne car parmi les éléments rapportés, certains paraissent postérieurs à la Pentecôte.
 
 

.1,15 "comme 120"

Avec ὡς = comme, dans son évangile Luc établissait une comparaison en ayant recours à l'allusion; il gardait wsei = environ pour une approximation; suivant ce principe, "comme 120" ne serait pas d'abord à considérer comme une estimation approximative mais plutôt comme une image signifiante. Il y avait par exemple 120 prêtres lors de la dédicace du Temple de Salomon (2Chr5:12). 120 était le nombre requis pour qu'une communauté puisse prétendre avoir son propre conseil ou sanhédrin.

1.17 "Il était compté parmi nous, Celui qui reçut du sort ce service-ci

Pierre parlait de  la "diakonie" de Judas. Il est généralement traduit par "ministère", les auteurs considérant à travers lui l'apostolat confié à Judas. Pourtant dans l'évangile comme dans la suite des Actes, le terme revêt le sens habituel qu'il a dans le grec classique , celui du service. Judas s'était vu attribuer le service de l'intendance de la communauté. Selon Jean, il tenait la bourse commune. Ce service lui avait été attribué par le sort car le verbe qui se retrouve en Luc 1:9 signifie "tirer au sort" ; il est renforcé du mot κλῆρος. l'objet servant au tirage au sort. La phrase demande à être traduite littéralement pour ne pas être prise au sens figuré :"il avait reçu sa part".  Il faut distinguer le ministère donné à Judas par élection au sein des Douze (lc 6:16) de son affectation à l'intendance qui lui échut par tirage au sort.

1.18 " il se trouva sur sa face".

Sous cette forme l'expression est peu aisée à traduire. L'adjectif πρηνὴς accompagne généralement un verbe de mouvement comme tomber ( "tomber la tête la première"). Qu'était-il arrivé à Judas : un accident, un châtiment? Avait-il perdu l'équilibre, avait-il été culbuté? L'auteur en disait trop ou pas assez. Pour combler un vide qui suscitait d'inévitables questionnements, Matthieu a proposé un récit de la mort de Judas fait d'emprunts littéraires au livre de Jérémie. A travers le remords il rendait le personnage moins noir et reportait la culpabilité sur les grands-prêtres.

Judas et la tradition

.1,19 Akeldamah

un mot araméen, le domaine du sang, selon le dialecte des habitants de Jérusalem et apparemment différent de celui de Pierre ou du rédacteur dans la mesure où la phrase paraît adjointe au discours de Pierre. 

.1,21" pendant tout le temps qu'entra et sortit parmi nous le Seigneur Jésus Christ".

Le Seigneur Jésus Christ; c'est ici la première occurence des Actes, et la confession même de Pierre en Luc 9:20D05. Entrer et sortir, une expression biblique rencontrée sous une forme similaire en Lc3,7, où le conducteur du troupeau était alors Jean.
 

.1,23 Joseph appelé Barnabas, surnommé Ioustos

Barnabas selon le codex Bezae et plusieurs autres témoins. Un nom commué ensuite en Barsabas comme en Ac 15,22.. Or il s'agit bien du même Joseph Barnabas qu'en Ac 4,36-37. où son nom Barnabas trouve une bonne explication dans le contexte. Il fut compagnon de Paul. Ioustos lui aurait été donné plus tard; ce surnom vient du latin justus le juste, une qualité reconnue à Joseph le fils de Jacob.
Qui était Barnabas?
 

.1,26" il fut dénombré avec les douze apôtres"

Sans son préfixe συν (D05) ou συγκατα (B et autres mss), le verbe signifie dénombrer mais aussi voter, apporter son suffrage, comme en Ac 26:1. C'est vraisemblablement pour ce second sens que Luc a eu recours à cet hapax legomenon. Sinon il lui suffisait de reprendre l'expression du v17, "compté parmi ".
 
Fallait-il ou ne fallait-il pas remplacer Judas? Pierre se posait la question et son discours avait eu pour objet d'y répondre. Après le tirage au sort, qui attribua à Matthias la diakonie de Judas - son service d'intendance - les Apôtres auraient voté; au tirage au sort succédait un vote par lequel ils acceptaient que Matthias soit compté comme l'un des Douze pour exercer le ministère avec eux. Pierre avait pris l'initiative du remplacement, mais il le fit ratifier par le collège des Apôtres.
 
Les raisons du tirage au sort: